Selon Emmanuel Petit, Directeur de la Gestion Obligataire chez Rothschild & Cie Gestion, « après un premier mois de Quantitative Easing, la BCE doit encore faire la preuve de sa capacité à atteindre ses objectifs de rachat d’actifs. »
Pour son premier mois de mise en œuvre effective de son « quantitative easing », la BCE devrait a atteint son objectif. Lancé le 9 mars dernier, il s’est bien soldé par environ 60 Mds€ de rachats d’actifs. Pourtant sa capacité à assumer son engagement au cours des prochains mois reste en question.
Une bonne partie des actifs éligibles à ces rachats n’est en effet pas « à vendre ». Si les grandes institutions internationales non-européennes, les banques voire les corporates situés hors de la zone euro ont vocation à régulièrement arbitrer leurs portefeuilles et pourraient céder en particulier leurs obligations souveraines européennes afin de réallouer leurs actifs sur d’autres marchés, il n’en est pas de même des investisseurs européens. Au sein de la zone euro, les banques privilégient la détention à échéance des obligations souveraines européennes, afin de gérer leurs besoins en fonds propres, avec une prépondérance traditionnelle pour les dettes domestiques. Et il en est de même, plus généralement, pour les investisseurs institutionnels locaux (compagnies d’assurance, caisses de retraites, fonds de pension…) et les banques centrales nationales.
Les investisseurs domestiques sont très attachés à la détention de leurs titres
Ce « noyau dur » représenterait plus de 40% des actifs susceptibles d’être acquis par la BCE. Mais surtout, leur proportion est très inégalement répartie entre les différents pays de la zone euro. C’est ainsi qu’environ 85% des détenteurs de dette allemande sont étrangers et pourraient donc être amenés à liquider leurs positions. Mais à l’inverse, près de 60% des détenteurs de dette italienne ou espagnole et 50% des détenteurs de dette portugaise sont des investisseurs domestiques, par définition très attachés à la détention de leurs titres. La BCE aura donc naturellement plus de difficulté à acheter la dette des pays périphériques de la zone euro.
Néanmoins, les premiers effets de l’assouplissement monétaire initié par la BCE sont bien perceptibles sur le marché du crédit corporate. Et c’est bien l’une de ses priorités. Les volumes d’émissions sur le marché primaire ont progressé, mais en outre la part des émissions longues (supérieures à 10 ans) a atteint 40% cette année, contre à peine 20% il y a quelques années. En moyenne les maturités ont même doublé en comparaison de l’année 2009, une année record également.
Dans ce contexte d’ailleurs, l’un des phénomènes majeurs du moment est la formidable progression de la présence des émetteurs américains sur le marché du crédit en euro, attirés par l’élargissement significatif de l’écart de taux entre les deux côtés de l’Atlantique, qui s’est opéré depuis début 2014. Ils ne représentent en effet pas moins du quart des émissions en 2015 contre 15% l’année dernière et même environ 5% au début des années 2010. En conséquence, la dégradation insidieuse des fondamentaux du marché du crédit européen est indéniable, car les entreprises américaines mènent des politiques moins conservatrices que leurs homologues européennes, augmentant d’une manière plus offensive le levier dans leur bilan. De même, l’aplatissement de la courbe, lié à la recherche de rendement des investisseurs prêt à acheter des maturités de plus en plus longues, conduit à une forte hausse globale du risque de taux. Dans ces conditions, il reste très judicieux aujourd’hui d’investir sur des portefeuilles obligataires flexibles, qui se concentrent sur les maturités intermédiaires (3/5 ans), mais aussi d’aller capter des primes de risques sur des ratings qui ne sont pas les plus élevés, tels que le BBB.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir