Pressions sur les matières premières et sur les devises, ralentissement économique et réformes structurelles ont créé des divergences parmi les marchés émergents au cours des derniers mois. Cette évolution met en évidence que tous les investissements dans les marchés émergents ne se valent pas.
Quatre experts en investissement de Natixis Global AM analysent un monde émergent en transition.
Ils livrent également leurs réflexions sur la Chine et l’Inde, ainsi que les opportunités et les risques qu’ils ont identifiés sur les marchés obligataires, les marchés des changes et les marchés des actions.
Peter Marber, Head of Emerging Market Investments
Loomis, Sayles & Company
Alors que les données microéconomiques spécifiques des différents marchés émergents sont nombreuses, trois facteurs macroéconomiques clés influencent les prix des actifs sur ces marchés : l’effondrement des prix des matières premières, l’affermissement du dollar et l’assouplissement quantitatif (QE) de la BCE.
Pour ce qui concerne les matières premières, la baisse des prix a contribué au tassement du volume des flux commerciaux en USD. Si cela a eu des conséquences négatives évidentes pour les exportateurs de pétrole tels que la Russie, le Venezuela et les autres, certains marchés en ont cependant récolté les bénéfices, notamment les importateurs comme la Chine, l’Inde et les Philippines. L’effondrement des matières premières a également participé à la solidité de l’USD, la demande pour les devises des pays émergents s’étant affaiblie avec le commerce mondial.
La devise américaine s’est appréciée de manière impressionnante, au moment où les États-Unis semblent sur le point de relever les taux d’intérêt pour la première fois depuis presque dix ans, alors que la plupart des autres grandes économies connaissent encore une phase de ralentissement et recourent à l’assouplissement monétaire. Le contraste est d’autant plus frappant avec la zone euro qui vient d’annoncer le début de son programme d’assouplissement quantitatif. Cette décision a poussé de nombreux investisseurs à se détourner de l’euro, qui enregistre son niveau le plus faible contre l’USD depuis plusieurs années. Le billet vert adopte les mêmes tendances au Japon face au yen qui s’affaiblit, tout cela contribuant à la poursuite de la hausse de la devise américaine.
Le résultat de ces ajustements est une progression des primes de risque sur les marchés émergents, et plus particulièrement pour les pays exportateurs de pétrole. La chute des cours du pétrole a provoqué un élargissement considérable des spreads en Russie et mis le Venezuela au bord du défaut de paiement. La faiblesse des devises des pays émergents a également contribué à l’élargissement des spreads sur la dette en devises fortes, particulièrement pour les pays et les sociétés s’étant surendettés en USD, leurs engagements ayant augmenté en monnaie locale. Le JPMorgan Government Bond Index-Emerging Markets (GBI-EM), principal indice de référence des marchés émergents, a reculé d’environ 15% en USD au cours des deux dernières années, ce qui a également contribué au plafonnement des performances des actions des marchés émergents.
Opportunités sur les taux d’intérêt couverts en change. Dans cet environnement, les marchés émergents offrent deux opportunités intéressantes : les taux d’intérêt couverts en change et les crédits à duration courte libellés en USD. Les taux d’intérêt locaux sur la plupart de ces marchés se sont effondrés, provoquant une progression des marchés obligataires des régions émergentes. De plus, du fait de l’écartement des spreads, les investisseurs qui ont privilégié les obligations libellées en USD d’une maturité de 6 ans ou moins ont bénéficié de rendements positifs soutenus. Le crédit en devise forte noté BBB et BB contenait un potentiel de rendement d’environ 4 à 5% pour ses détenteurs, avec une volatilité très faible. Étant donné les conditions macroéconomiques actuelles, ces deux segments devraient profiter des ajustements des marchés mondiaux et ainsi conserver un potentiel de rendements positifs.
David Lafferty, Chief Market Strategist
Natixis Global AM
La nature des investissements sur les marchés émergents a considérablement changé depuis la grande crise financière. Au cours des années 2000, la performance sur ces marchés était tirée par plusieurs facteurs communs dont des taux de croissance à deux chiffres ou s’en approchant, une appréciation des devises locales et une augmentation des exportations, coïncidant souvent avec la demande de matières premières.
L’uniformité n’est plus de mise.
Aujourd’hui cependant, ces facteurs ne dominent plus sur les marchés émergents. Les prévisions de croissance du PIB dans ces régions sont désormais plus proches de 4 à 5%. La forte de demande de matières premières a chuté et la plupart des devises des pays émergents subissent les pressions dues à l’anticipation d’un resserrement de la politique monétaire américaine. En l’absence de ces moteurs macroéconomiques, chaque pays évolue désormais en fonction de ses propres fondamentaux et non plus comme faisant partie d’une classe d’actifs homogène. On peut en conséquence prévoir des divergences dans les performances de chaque pays, causées par des différences de taux d’intérêt et d’inflation, de taux d’épargne domestique, de balance des paiements courants et de dépendance vis-à-vis des matières premières. La sélection des titres, des pays et des devises aura d’autant plus d’importance que les performances divergeront.
Chaque pays suivant désormais sa propre route, les perspectives globales pour le segment marchés émergents sont relativement sombres. La solidité de l’USD rappelle la crise monétaire des années 1980-1990 en ce que la dette libellée en dollar est plus difficile à rembourser. La faiblesse des devises locales crée de l’inflation (avec pour conséquence la cherté des importations), et la hausse des taux d’intérêt pour y remédier entrave la croissance. Enfin, la chute des prix des matières premières, plus particulièrement celui du pétrole, peut affaiblir gravement la croissance du fait d’une baisse des exportations dans les principaux pays émergents tels que la Russie, le Brésil, le Venezuela, le Moyen-Orient et certains pays d’Afrique.
Il faut endurer pour faire durer la croissance
Malgré cet environnement, nous continuons à considérer les marchés émergents comme une classe d’actifs essentielle sur le long terme, aussi bien pour les actions que pour les obligations. Les taux de croissance cyclique ont baissé certes, mais du fait des données démographiques et de la jeunesse de la population, la plus grande partie de la croissance séculaire dans le monde aujourd’hui réside encore dans les pays émergents. Pour ce qui est des actions, les valorisations peuvent être trompeuses. Les titres des marchés émergents possèdent un ratio cours/bénéfice relativement plus élevé que les autres marchés, mais ceci est faussé par des facteurs de risques spécifiques et par le fait qu’il s’agit d’entreprises publiques.
Les obligations des marchés émergents continuent d’offrir des rendements attrayants, et la qualité du crédit s’est améliorée durablement. Même si l’on constate un gonflement de la dette souveraine, la croissance concomitante du PIB assure la soutenabilité de la dette.
De plus, la solidité de l’USD ne devrait pas être vue systématiquement comme un épouvantail, pour plusieurs raisons :
1/ Dans de nombreux pays des marchés émergents, une dette libellée en monnaie locale coexiste désormais avec la dette libellée en USD.
2/ L’affaiblissement relatif de la monnaie locale dope les exportations.
3/ La croissance de la consommation sur les marchés émergents contribue à faire croître leur économie et les rend plus indépendants vis-à-vis du commerce et des financements extérieurs.
Le Mexique et l’Inde parmi les favoris
Pour ce qui est des marchés spécifiques, nous favorisons le Mexique et l’Inde. Le Mexique devient plus compétitif grâce à des réformes structurelles dans les secteurs de l’énergie et de l’éducation, et ses coûts de production s’améliorent en comparaison de la hausse du coût de la main-d’œuvre en Asie. Le Mexique bénéficie également de la reprise progressive de l’économie américaine voisine. L’Inde a été lente à entamer des réformes, mais le nouveau gouvernement du Premier ministre Modi prend des mesures pour éradiquer la corruption, réduire les subventions agricoles et ouvrir l’industrie à la concurrence. Par contraste, la Russie semble plus risquée, son économie souffrant considérablement sous le poids des sanctions internationales et de la chute du cours du pétrole. Dans cet environnement de volatilité des monnaies et des matières premières, les analyses de gérants de portefeuilles expérimentés peuvent être précieuses pour les investisseurs.
Kenneth Andrade, Chief Investment Officer
IDFC Asset Management
L’Inde a connu une importante amélioration de ses conditions macroéconomiques au cours de l’année passée. Le pays pourrait afficher un excédent de ses paiements courants au cours de cette année civile.
L’inflation est sous contrôle et, après avoir réussi à contenir le déficit budgétaire de l’année fiscale en cours, l’objectif est de le réduire au cours de la prochaine année fiscale. La forte variation du prix des matières premières a contribué à ce changement fondamental de la situation financière du pays. Cette amélioration est de bon augure pour la santé financière globale du pays et va permettre à l’Inde de planifier une nouvelle phase de croissance. Les tendances à long terme, à savoir la démographie et la jeunesse de la population, restent la base de la croissance du pays.
Si ces tendances restent favorables, les marchés semblent cependant avoir déjà anticipé la demande induite par la croissance. En conséquence, les niveaux de valorisation actuels pourraient pénaliser la performance des marchés des actions.
Nous considérons que le potentiel de poursuite des revalorisations est limité après la forte hausse de l’année dernière. La croissance des bénéfices constituera probablement le principal moteur de la progression des prix des actions, mais ce soutien a été hésitant. Le niveau très bas des taux de croissance en 2014 est un point positif. Ces taux devraient remonter au cours des deux prochaines années.
Le désendettement des entreprises indiennes sera une tendance significative des deux prochaines années, tout comme le retour à une croissance profitable et l’augmentation des cash flows. Parallèlement, le consommateur aura tendance à s’endetter. Cette tendance est de nature essentiellement structurelle et devrait durer longtemps. Dans ce scénario, l’investissement peut se concentrer sur la recherche de titres sous-évalués ou porteurs de croissance plutôt que de suivre simplement les mouvements des marchés et profiter des écarts de valorisation.
François Théret, Chief Investment Officer
Natixis AM Asia Limited
Il ne fait aucun doute que l’économie chinoise ralentit. Tous les indicateurs pointent vers la faiblesse des investissements et le déclin des investissements directs étrangers (IDE). Le rythme de croissance commençait déjà de ralentir au cours du quatrième trimestre de 2014 et les prévisions révélaient des risques de baisse plus importante. La plupart des indicateurs, notamment la production industrielle et la croissance des exportations et des importations, sont en berne depuis.
Nouvelles mesures d’assouplissement monétaire prévues en avril. Devant un tel ralentissement, il est plus que probable que la Banque populaire de Chine prendra des mesures d’assouplissement monétaire supplémentaires afin de soutenir la croissance. Les chiffres de croissance pour le premier trimestre 2015 seront annoncés le 15 avril. Nous prévoyons que le gouvernement chinois anticipera les mauvais indicateurs économiques et abaissera le ratio de réserves obligatoires (RRR) ainsi que les taux d’intérêt une nouvelle fois début avril pour injecter des liquidités dans l’économie.
Heureusement, rares sont les participants aux marchés qui se focalisent sur les chiffres de croissance du PIB. Un grand nombre d’investisseurs tablent sur un indicateur de croissance décevant, et pourtant le marché des actions flambe. Sur un marché peu cher, tout est dans la politique de soutien à l’économie. La question principale n’est pas de savoir si le taux de croissance chinois sera de 7%, mais plutôt si la Chine parviendra à surmonter le ralentissement structurel de son économie par le biais de réformes concrètes portant sur les entreprises d’État, la finance, la fiscalité et les droits fonciers afin de façonner une Chine « nouvelle ».
Risque de déflation en Asie. La contraction de l’économie chinoise, une activité commerciale morose, des capacités de production excédentaires et un endettement régional en hausse ont tous contribué à une croissance décevante. Je considère la faiblesse de la demande en Asie ainsi que le bas niveau des prix de l’énergie et des matières premières comme posant un risque de déflation. Les responsables politiques devraient prendre des mesures afin d’empêcher que les anticipations de déflation ne s’installent. Dans ce contexte, la décision récente de réduire les taux d’intérêt malgré les inquiétudes au sujet d’une politique de normalisation de la Fed semble appropriée. L’économie mondiale n’étant probablement pas en mesure actuellement de servir de catalyseur à la croissance des économies asiatiques, nous devrions assister à de fortes divergences de performance en fonction de la marge de manœuvre dont chaque économie dispose pour doper sa croissance.
L’assouplissement monétaire profite aux financières. Les institutions financières semblent être parmi les premières bénéficiaires de l’assouplissement monétaire annoncé récemment en Chine. Les marchés actions de la Chine et de Hong Kong ont rebondi, mais le processus de progression des valorisations pourrait se poursuivre dans certains segments. En ce qui concerne la sélection des titres, nous restons concentrés sur les sociétés qui bénéficieront des réformes à long terme, telles que celles qui touchent les entreprises d’État, et des mesures prioritaires.
Dans d’autres parties de la région, les risques du programme de réformes du gouvernement chinois comportent un potentiel de hausse. Un changement de politique gouvernemental est généralement associé à des attentes de croissance plus élevée, ce qui tend à induire une surperformance des titres cycliques domestiques. Ce phénomène est très visible en Inde où, malgré des valorisations tendues, nous estimons que l’argument en faveur d’un investissement structurel reste intact, justifié par les effets favorables des tendances de l’inflation et des taux directeurs. De même, le résultat des élections présidentielles indonésiennes en 2014 a un impact positif sur la croissance à long terme de ce pays. Je décèle également des opportunités parmi les actions de petites et moyennes sociétés exposées à la croissance de l’économie nationale.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir