Par Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française
71% des Français estiment que l’accès au logement est difficile. Et pour cause : les prix ont presque doublé depuis l’année 2000 : ils ont augmenté, en 10 ans, 1,72 fois plus vite que les revenus des ménages (2,02 en Ile-de-France, 1,6 en moyenne dans les autres régions).
Dans le même temps, le pouvoir d’achat immobilier des ménages a diminué de 25% environ. En 2012, les ménages consacrent, 22,2% de leur revenu aux dépenses courantes de logement, soit deux fois plus qu’aux dépenses d’alimentation ou de transport.
On observe aujourd’hui une grande difficulté des ménages à accéder à la propriété, en particulier dans les zones denses. Une comparaison entre 1998 et 2010 montre que les 30-35 ans qui peuvent acheter un bien immobilier correspondant à leurs besoins étaient bien plus nombreux auparavant : 7% à Paris en 2010 contre 32% en 1998 ; 52% contre 81% à Bordeaux ; 25% contre 76% à Marseille...
30 ans, si ce n’est plus, de dérives structurelles sur l’immobilier d’habitation ne peuvent se corriger que par un changement radical d’approche ; et nous avons en ce moment une opportunité unique de le faire : les taux longs de l’Etat Français sont à 0,6% pour le taux à 10 ans et 1,5% pour les emprunts d’Etat à 30 ans.
Cette situation unique, qui va durer plusieurs années si l’on en croit l’ensemble des acteurs de l’économie, créé un problème structurel pour les assureurs-vie : 1 400 Mds€ sont investis et chaque année entre les coupons historiques qui tombent (près de 50 Mds€) et les remboursements en capital (duration moyenne du passif de 10 ans), soit 140 Mds€, c’est près de 200 Mds€ que doivent investir cette année, comme les années suivantes, la communauté des assureurs-vie, soit 900 M€ par jour ouvré.
La quadrature du cercle est bien présente : la règlementation Solvabilité 2 pousse les assureurs à ne pas prendre de risque et s’ils investissent à 0,6%, très rapidement le rendement des assurés, compte tenu des coûts de l’assureur, va tomber à moins de 2%, ce qui fragilisera encore plus la prise de risque… Investir dans des actifs à fort risque, selon la bonne vieille théorie du "too much money chasing too few assets" risque à l’inverse de créer des bulles spéculatives qui éclateront. Alors, depuis quelques années, les assureurs se sont mis à investir dans l’immobilier… tertiaire. Ce dernier rapporte net entre 4% (Paris QCA avec un bail long) et 7% (logistique) selon le risque.
La probabilité pour les assureurs d’aller investir sur le logement est… nulle dans le contexte français, car le rendement net est de 2,5%. En Allemagne, les rendements locatifs de l’immobilier d’habitation et du tertiaire sont comparables et de fait les Allemands sont peu propriétaires de leurs logements. En France, l’attachement à la propriété de son logement est tellement fort qu’il a créé une situation où les prix ne sont plus compatibles ni avec le pouvoir d’achat des ménages, ni avec le rendement légitimement demandé par un investisseur institutionnel ; d’où le foisonnement d’incitations fiscales depuis 20 ans (Périssol à Duflot) pour inciter l’investissement des particuliers, situation qui ne fait qu’augmenter encore plus les inégalités et, en tout état de cause, n’a pas résolu le problème depuis 20 ans.
Créer un choc de l’offre pour diminuer les prix de 30% n’est ni possible ni souhaitable car la majorité des français s’étant endettée, nous nous retrouverions rapidement dans la situation des subprimes, les banques étant très largement exposées au risque immobilier d’habitation.
L’approche de rupture est la suivante : partant du constat que le rendement de l’OAT est à 0,6%, proposons aux assureurs d’investir dans de l’immobilier de logements :
- Via des fonds immobiliers dédiés générationnels (1 par an) ;
- Le revenu net courant est de 2,5% (taux d’occupation à 90%) et provient des loyers (rendement actuel de l’immobilier d’habitation) ;
- Que l’Etat arrête les dispositifs incitatifs à l’investissement des personnes privées (Duflot etc.) et qu’il garantisse, via la CDC, que le rendement des investisseurs institutionnels dans ces fonds immobiliers soit au terme de 15 ans de 2,5%.
Dans la hiérarchie des risques, des rendements et de la règlementation, l’investisseur institutionnel a le choix entre :
1/ l’obligation d’Etat français qui génère 0,6% et ne consomme pas de fonds propres.
2/ l’immobilier d’habitation qui génère 2,5% de revenu avec un risque de prix à la revente 15 ans plus tard et qui nécessite 25% de fonds propres règlementaires.
3/ l’immobilier d’entreprise qui génère en moyenne 5,5 % avec un risque de prix à la revente 15 ans plus tard et qui nécessite 25% de fonds propres règlementaires.
Il n’a donc aucune raison, et de fait, il ne le fait pas, d’investir dans le logement et cela d’autant plus qu’au-delà du rendement courant faible, le risque de prix est significatif compte tenu du décalage accumulé entre la capacité des ménages et le prix de l’immobilier.
En intervenant en garantie, c’est-à-dire, en garantissant qu’à l’échéance de 15 ans lors de la revente des biens à la découpe, la valeur de l’immobilier n’aura pas baissé en valeur faciale, l’institutionnel aurait ainsi le choix entre :
1/ l’obligation d’Etat français qui génère 0,6% et ne consomme pas de fonds propres.
2/ l’immobilier d’habitation qui génère 2,5% de revenu, une indexation possible des revenus/loyers pendant les 15 ans, un rendement minimum garanti par l’Etat de 2,5% et une consommation de fonds propres réduite, c’est à dire celle de l’Etat Français.
3/ l’immobilier d’entreprise qui génère en moyenne 5,5% avec un risque de prix à la revente 15 ans plus tard et qui nécessite 25% de fonds propres règlementaires.
L’Etat français, en échange de sa garantie sur le prix de vente dans 15 ans, pourrait aisément partager 50/50 avec l’investisseur l’éventuel sur-profit par rapport à 2,5% .
Quels sont les coûts/bénéfices pour l’Etat Français :
1/ La réduction ou l’arrêt d’un dispositif couteux, insuffisamment efficace, et qui ne profite qu’à une faible partie de la population (les personnes privées qui investissent dans l’immobilier avec les avantages fiscaux).
2/ La baisse du prix nominal de l’immobilier sur 15 ans avec comme barrière de sécurité :
a) Avoir acheté en gros et une vente à la découpe (généralement 15 à 20% de plus) qui vient compenser l’obsolescence des biens immobiliers sur les 15 ans.
b) Le partage du sur-profit éventuel avec les investisseurs institutionnels : autrement dit en mettant en place ce système sur N années, il peut se trouver que sur une période de 15 ans le prix ait baissé, la probabilité que cela se reproduise pendant 10 années glissantes signifierait que nous serions rentrés en forte période de récession et de déflation et cela durablement. Auquel cas, sur le plan social comme économique, il vaudra mieux avoir bâti avant des logements car dans une telle situation peu de personnes auraient alors les moyens de se loger…
3/ Aucun coût financier pour le budget de l’Etat mais l’existence d’un risque 15 ans glissant plus tard, risque qui historiquement ne s’est jamais manifesté sauf en 1945 (de 1930 à 1945, le prix de l’immobilier a baissé en valeur nominale).
Pour l’investisseur institutionnel, un placement à 2,5% minimum dont le seul inconvénient, puisque le rendement est garanti par l’Etat, est l’absence de liquidité par rapport à une OAT qui ne lui rapporte que 0,6%, soit une prime d’illiquidité de 1,9% ce qui, compte tenu de la nature de son passif, n’est pas un problème (la règlementation porte sur la solvabilité, les compagnies d’assurances sont moins concernées par la liquidité que les banques du fait même de leur passif).
Le déficit de logements étant estimé à 70 000, si l’on suppose un prix moyen de 300 000€, le montant ainsi à financer est de l’ordre de 20 Mds€, soit 1/10e des investissements annuels des compagnies d’assurance ou encore 1,4% de leur allocation d’actifs ; montants donc totalement compatibles.
L’épargne et la finance joueraient pleinement leur rôle d’intermédiation du temps via le placement jusqu’ici préféré des français qui est aujourd’hui menacé du fait de la baisse historique des taux longs.
L’Etat interviendrait alors en régulant les cycles et en ponctionnant sa part de profit car nul ne doute que sur 15 ans glissant l’immobilier reste une bonne protection contre l’inflation.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir