Par Sylvain Elkouby, dirigeant-fondateur de SyndicExperts.com
Les ministères de l'Economie et du Budget viennent, en application de la loi du 29 décembre 2013, de décider que 5 départements français, dont Paris, expérimenteraient la révision des bases cadastrales pour une intégration dans les rôles - c'est-à-dire dans les appels de taxe - dès 2016. La généralisation sur tout le territoire est prévue par le gouvernement pour 2018. Cette décision pourrait bien entraîner des conséquences lourdes pour les ménages, bien au-delà des rituelles augmentations du 1er janvier...
De quoi s'agit-il et quel est l'enjeu ? Les quatre taxes familières que sont la taxe d'habitation, la taxe foncière, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ainsi que la contribution foncière des entreprises, sont calculées en multipliant pour chaque bien concerné la valeur locative qui y est attachée par un taux voté par chaque commune.
La valeur locative utilisée est le fruit d'un travail d'enquête réalisé par l'Etat... en 1970. Depuis, en dépit de deux lois, promulguées en 1990 et en 2007, les gouvernements successifs ont reculé devant l'obstacle d'actualiser les bases : les taxes de nombre de contribuables en auraient été substantiellement réévaluées, alors que l'on s'approchait des échéances électorales.
Il est incontestable que ces bases doivent être revues, par pur conformisme économique : en 1970, le parc était bien différent de ce qu'il est devenu. Les immeubles anciens de cœur de ville ne jouissaient pas du confort le plus élémentaire, sanitaire en particulier, tandis que les constructions récentes de périphérie, notamment HLM, étaient équipées de façon moderne. La réalité s'est largement inversée, et le patrimoine intra-muros, à la faveur de vagues de rénovation et de réhabilitation, a été transfiguré.
Résultat, quarante-cinq ans plus tard : l'impératif d'équité est mis à mal, et les mieux lotis paient moins que les autres. Certes, les communes ont fini par compenser ce déséquilibre par des augmentations de taux, mais l'équation s'en trouve faussée.
Il résultera de ce travail d'actualisation une photographie fiable du patrimoine des Français et chacun paiera selon la qualité de l'actif détenu ou utilisé. Pourtant, ce beau principe cache un effet pervers politique. En fait, jusqu'à présent, les taux ont compensé l'obsolescence des bases. Les conseils municipaux en ont joué, au-delà même du besoin de revaloriser indirectement ses bases. Entre 2007 et 2012, la taxe foncière a grimpé de 68% dans la capitale, et dans des proportions comparables dans de nombreuses villes.
Quelle va être l'attitude des assemblées municipales lorsque les nouvelles bases seront inscrites au cadastre et mises à la disposition des élus pour le calcul des taxes ? Les taux baisseront ils ?
Précisément, on peut en douter... L'association des communes de France a déclaré que ses membres appliqueraient la réforme à enveloppe budgétaire constante, c'est-à-dire qu'ils n'en profiteraient pas pour augmenter le produit de l'impôt. En pratique, cela veut dire qu'à taux constant, certains ménages paieront plus, et d'autres moins. Il serait équitable que les taux soient revus à la baisse, puisque leur évolution n'a servi qu'à pallier des bases périmées. Une telle décision aurait pour effet d'atténuer les augmentations fortes qui sont à attendre pour une grande partie des habitants et des propriétaires. On sait notamment que les centres anciens abritent non seulement des ménages aisés, mais aussi des habitants aux revenus intermédiaires, qui ont accédé à la propriété au cours des deux dernières décennies et qui sont encore sous la charge des remboursements de prêt pour la plupart. On sait aussi que c'est là que se trouve ce qu'il est convenu d’appeler le parc social de fait, qui loge des familles à faibles revenus et des défavorisés.
En clair, ce mouvement d'actualisation des bases locatives est porteur de lourdes conséquences pour les Français. Il mérite mieux que l'incognito qui lui a servi de camouflage en cette fin d'année. Un vrai débat national, impliquant l'Etat, les maires, les représentants des propriétaires, des locataires et des professionnels de la gestion immobilière, doit s'ouvrir.
Les ménages n'accepteraient pas que les décideurs publics les fassent ployer encore un peu plus sous le fardeau fiscal sous prétexte d'une simple révision administrative.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir