Par Philippe Lépinay, Président de la FAS*
Le gouvernement doit revenir sans délai ni tergiversations sur la surprenante suppression, fin août, de l’obligation faite à l’Etat depuis 1986 de proposer, lors d’une cession d’actions, 10 de ses titres aux salariés dans les entreprises issues du secteur public.
Une ordonnance scélérate, lourde de conséquences…
Depuis cet été, l’Etat se dispense de réserver aux salariés de l’entreprise dont il est actionnaire une partie des titres qu’il met en vente sur les marchés financiers. Cette obligation a, en effet, été supprimée par l’ordonnance 2014–948 du 20 août 2014 qui a abrogé, en catimini, la quasi-totalité de la loi du 6 août 1986 sur les privatisations. Cette ordonnance est revenue sur une disposition majeure qui imposait à l’Etat, lors d’une cession d’actions sur les marchés financiers, de réserver une tranche de 10% aux salariés de l’entreprise concernée.
Le gouvernement souhaite vendre ses participations dans les entreprises au meilleur prix possible. Certes, on peut comprendre cette volonté de l’Etat de tirer le meilleur profit de ses actifs, à l’heure où des milliards d’euros sont recherchés pour faire décroître notre dette.
Mais il est très regrettable que les auteurs de cette ordonnance n’aient pas perçu la portée de cette abrogation pour l’actionnariat salarié.
… sur la pérennité de l’actionnariat salarié à la française…
En effet, cette disposition de 1986 obligeant l’Etat à céder une partie de ses actions aux salariés a été un moteur déterminant du développement de l’actionnariat salarié en France. C’est incontestablement cette obligation qui a augmenté significativement la part des actionnaires salariés dans les entreprises françaises (salariés situés en France et à l’étranger, d’ailleurs) et a fait de notre pays un leader en la matière, devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne. La France compte près de 4 millions d’actionnaires salariés, chiffre qui dépasse celui des actionnaires individuels en dehors de l’actionnariat salarié.
L’actionnariat salarié made in France est original car il permet à la fois de détenir une part du capital d’une entreprise et de participer de droit à son système de gouvernance.
En effet, quand la part des salariés actionnaires dépasse 3% du capital d’une entreprise, le Conseil d’administration se trouve dans l’obligation d’accueillir en son sein un représentant des actionnaires salariés. Ce droit de siéger au conseil d’administration est comparable au droit que s’est réservé l’Etat d’être représenté au conseil d’administration des sociétés dont il détient une part du capital, précisément dans l’ordonnance du 20 août 2014.
L’expérience montre que cela permet de mieux faire comprendre les enjeux du développement d’une entreprise aux salariés et de les impliquer davantage dans sa stratégie de croissance. Même constat en ce qui concerne l’implication capitalistique des salariés. La motivation et la participation au partage des résultats sur le long terme s’en trouvent renforcées.
… et en décalage avec le discours du gouvernement sur son intention de booster l’actionnariat salarié
Les pouvoirs publics savent cela et ont adhéré depuis longtemps au concept de l’actionnariat salarié. Ils ont été les premiers, dans le passé, à donner l’exemple en s’investissant dans ce domaine novateur. D’où la loi de 1986 et son obligation faite à l’Etat de proposer 10% des actions cédées sur le marché aux salariés. Si l’Etat ne poursuit pas son rôle moteur en la matière, l’actionnariat salarié va se retrouver en danger.
Certes, toute entreprise privée peut, de sa propre initiative, instaurer ou développer un système d’actionnariat salarié. Beaucoup le font, heureusement. Mais l’Etat devrait être exemplaire, au lieu de faire des salariés les seuls exclus lorsqu’il cède des actions au secteur privé !
Les propos du gouvernement en faveur de l’actionnariat salarié ne manquent pourtant pas. Ce dernier est au cœur des missions du Conseil d’orientation pour la participation, l’intéressement, l’épargne salariale et l’actionnariat salarié (COPIESAS) mis en place sous l’égide du Premier Ministre en juin dernier, et les membres du gouvernement se prononcent en sa faveur, dès qu’ils en ont l’occasion. Il serait donc extrêmement paradoxal, pour ne pas dire choquant, que, d’une part, on crie haut et fort que l’on promeut l’actionnariat salarié et que, d’autre part, on supprime une disposition majeure qui a grandement participé au succès de celui-ci…
C’est pourquoi la FAS demande aux pouvoirs publics de revenir sur la suppression de l’obligation de l’Etat de proposer 10% des actions aux salariés lors d’une cession sur les marchés, et demande même à étendre celle-ci à toutes les cessions, puisque l’Etat veut se donner pleinement le choix du mode de placement, sur le marché ou hors marché.
Le levier de l’actionnariat salarié ne doit pas disparaître au risque de voir décroître un système qui modernise et bonifie la vie économique et sociale des entreprises françaises.
En tout état de cause, si le gouvernement ne revenait pas sur cette ordonnance, la FAS engagerait toutes les actions législatives appropriées pour faire en sorte que les actes rejoignent les paroles.
*FAS (Fédération des Associations d’Actionnaires Salariés et Anciens Salariés) a pour objet de créer les conditions de développement de l’actionnariat salarié : évolutions législatives et règlementaires, promotion de l’actionnariat salarié, pédagogie des mécanismes financiers et défense des associations. Présente dans de nombreux organismes officiels, la FAS y défend les intérêts des 3,7 millions d’actionnaires salariés en France et, plus largement, de l’ensemble des épargnants.
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