Malgré de nombreuses incohérences, le texte définitif de la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, adopté le 18 juin 2014 (loi n° 2014-626), ne sera vraisemblablement pas soumis à la censure du Conseil Constitutionnel.
Aurélie Pouliguen-Mandrin et Nicolas Sidier, avocats au cabinet Péchenard & Associés, passent en revue les mesures phare de cette réforme, riche de 21 articles, exclusivement dédiés au statut des baux commerciaux.
Mesure n° 1 : Suppression de la référence à l'ICC
L’article 9 de la loi supprime la référence à l'indice du coût de la construction pour les hypothèses de renouvellement et de révision triennale du loyer ; seuls l'ILC et l'ILAT pourront s’appliquer.
L'ILAT et l'ILC, dont l'adoption n'avait jusqu'alors qu'un caractère facultatif, deviennent donc les indices de droit commun, chacun dans leur domaine propre (ce qui pourra donner lieu à discussion).
L'on ne peut hélas affirmer que l'ICC ait totalement disparu, puisque la loi ne vise pas l'ensemble des hypothèses et, notamment, n'empêche pas le recours à l'ICC dans une clause d'indexation et, par conséquent, pas davantage dans l'hypothèse de révisions dites conventionnelles de l'article L.145-39 du Code de Commerce, c'est-à-dire les dispositions permettant un retour à la valeur locative lorsque le loyer, par l'effet d'une clause d'indexation a évolué de plus ou moins 25% au regard de sa dernière "fixation" judiciaire ou conventionnelle.
Par ailleurs, si les dispositions relatives à la révision triennale sont d'ordre public, tel n'est pas le cas de celles relatives au renouvellement. L'on peut donc encore envisager une dérogation contractuelle à ces dispositions prévoyant une référence à l'ICC.
Il est d'ores et déjà manifeste que le législateur, inspiré par une volonté de simplifier ces mécanismes pour réduire de 3 à 2 le nombre d'indices applicables, ouvre la voie à une nouvelle source de contentieux, sauf à ce que l'ensemble des baux en cours soit harmonisé pour supprimer définitivement toute référence à l'ICC…ce qui apparaît peu vraisemblable. Cela ne fera, à n'en pas douter, l'affaire ni des bailleurs ni des preneurs et, dans un contexte économique tendu – dont le projet semblait pourtant avoir pris la mesure – pourrait s'avérer particulièrement contre-productif.
Les dispositions ci-dessus sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de la loi.
Curieusement, la loi qui prévoit un mécanisme spécifique d'application dans le temps a omis la révision triennale, qui constituait pourtant l'une des deux hypothèses couvertes par cette réforme.
Malgré le soin pris par les rédacteurs de la loi, il faut comprendre que ces dispositions n'entreront en vigueur, concernant les baux en cours, qu'à l'issue de leur prochain renouvellement.
Mesure n° 2 : Lissage du déplafonnement du loyer
Mesure phare de la réforme, il est introduit un mécanisme de lissage de 10% par an du déplafonnement du loyer applicable dans différentes hypothèses.
S'il est incontestable que le mécanisme du plafonnement est destiné à protéger le locataire, la réforme conduit à lui octroyer un deuxième niveau de protection, dont l'effet conduira nécessairement à creuser le décalage entre les loyers et les valeurs locatives.
La rédaction retenue sera, à n'en pas douter, la source de nouveaux contentieux qui devraient surgir rapidement puisque ces dispositions sont d'application quasi-immédiate, c'est-à-dire selon la formule adoptée "applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du premier jour du troisième mois suivant la promulgation de la loi". Notons à cet égard, entre autres anomalies, qu'aucune mention n'est faite aux hypothèses de révision, alors que ce dispositif a justement vocation à s'appliquer aux révisions triennales et conventionnelles. Hypothèses dans lequel le mécanisme de lissage est susceptible de s'appliquer :
a) Le renouvellement du bail commercial en cas de modification notable des éléments mentionnés du 1° au 4° de l'article L.145-33 du Code de Commerce, c'est-à-dire :
1. Les caractéristiques du local considéré.
2. La destination des lieux.
3. Les obligations respectives des parties.
4. Les facteurs locaux de commercialité.
b) Le lissage s'applique également à l'hypothèse du renouvellement s'il est "fait exception aux règles du plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail".
Il faut donc comprendre que le lissage s'appliquera aux baux d'une durée conventionnelle supérieure à neuf ans. En revanche, dans le silence de la loi, il faut également considérer que le lissage ne s'appliquera pas aux baux d'une durée contractuelle de neuf ans, mais effective supérieure à douze ans.
Le lissage s'appliquera-t-il aux baux d'une durée contractuelle supérieure à neuf ans, mais effective de plus de douze ans ? Cela est vraisemblable, bien qu'incompréhensible.
Il faut sans doute également considérer dans le silence de la loi que le lissage ne s'applique pas au renouvellement :
- des baux comprenant une clause de renonciation à la règle du plafonnement,
- des baux visés par les articles R.145-9 à R.145-11 du Code de Commerce, c'est-à-dire les terrains nus, les locaux à usage exclusif de bureaux et les locaux monovalents.
c) Le lissage s'applique aux hypothèses de fixation à la valeur locative lors d'une révision triennale, c'est-à-dire dans l'hypothèse d'une modification "matérielle" des facteurs locaux de commercialité sur la période triennale considérée.
d) Le lissage s'applique, enfin également, aux hypothèses de révision conventionnelle prévues à l'article L.145-39 du Code de Commerce.
Comment comprendre la cohérence d'un texte qui prévoit notamment que le lissage est susceptible de s'appliquer à la révision d'un bail de bureaux, mais pas à son renouvellement ?
Les tribunaux auront notamment à interpréter la notion de loyer de référence de ce lissage, qui est définie sans autre précision comme étant le "loyer acquitté au cours de l'année précédente".
S'agit-il donc du loyer effectivement réglé ou du loyer fixé aux termes des articles L.145-34 et L.145-38 du Code de Commerce ? S'agit-il encore de l'année qui précède le renouvellement ou la révision ? S'agit-il d'une année civile ou d'une année calendaire ?
Le texte prévoit que le lissage n'est applicable qu'aux cas d'augmentation, ce qui traduit une volonté évidente de pénaliser les bailleurs, les diminutions de loyers ne subissant aucun mécanisme de correction et s'imposant, par voie de conséquence, en totalité à leur date d'effet.
Le texte ne précise pas non plus si le lissage implique la prise en compte d'un montant fixe de 10% du loyer de départ ou réactualisé chaque année. La différence est notable puisque dans le premier cas, dès que la valeur locative atteindra le double du loyer en cours, le lissage empêchera de parvenir à cette valeur locative, ce qui est, de toute évidence, contraire aux dispositions de l'article L.145-33 :
"Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative".
Il est vrai que ces dispositions ne sont pas d'ordre public, mais l'on ne peut que critiquer cette immixtion du législateur dans les relations contractuelles des parties.
Mesure n° 3 : La durée du bail et les modalités de congé
- La loi prévoit que le preneur ne pourra plus renoncer aux facultés de résiliation triennale qu'il tire du statut et ne pourra donc plus s'engager pour des périodes dites "fermes" de 4, 5, 6, 7, 8 ou 9 ans. Ce point n’est pas sans conséquence sur la sécurité du rendement locatif pour les bailleurs.
En l'absence de dispositions relatives à l'application de cette mesure dans le temps, il faut considérer que cela ne concerne que les nouveaux baux ou les renouvellements postérieurs à la promulgation de la loi. La solution, s'agissant de dispositions d'ordre public, n'a cependant rien d'évident.
Il est expressément prévu que les locations à usage exclusif de bureaux, les baux de plus de 9 ans, les locaux construits en vue d'une seule utilisation, ainsi que les locaux de stockage pourront en revanche prévoir une renonciation aux facultés de résiliation triennale.
- La loi prévoit désormais que le congé pourra être donné par lettre RAR ou par acte extra-judiciaire au libre choix des parties.
La jurisprudence fournit cependant d'innombrables exemples de contestations relatives au contenu de l'enveloppe, de sorte que l'on peut considérer que cette mesure pavée de bonnes intentions mènera tout droit, si les parties optent pour la lettre recommandée, au contentieux.
Mesure n°4 : Le bail dérogatoire et la convention d’occupation précaire
- La loi prévoit que la durée d’un bail dérogatoire ou la durée globale de plusieurs baux dérogatoires successifs, pourra être allongée à trente-six mois au lieu des vingt-quatre actuels.
L'article L.145-5 du Code de Commerce prévoit cependant une précision dont la rédaction interpellera nécessairement les praticiens : "A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux".
C'est donc l'identité du fonds qui déterminera s'il est possible ou non de conclure au-delà de cette durée de trente-six mois un nouveau bail dérogatoire dans les mêmes locaux.
Une lecture littérale du texte conduit donc à se demander s'il ne suffit pas de changer à l'échéance contractuelle la destination du bail pour conclure un nouveau bail dérogatoire dont la durée globale pourra ainsi dépasser les trois ans visés par la loi. Telle n'était pas l'intention du législateur qui, il faut le rappeler, souhaitait par cette mesure donner un "coup de pouce" aux jeunes entrepreneurs "pour tester la viabilité économique de leur projet sans s'engager sur des investissements lourds et durables dans le cadre de baux commerciaux".
Il apparaît difficile de comprendre l'intérêt de ces dispositions au regard de la suppression des dérogations à la résiliation triennale par le locataire. Quel intérêt en effet aurait un jeune entrepreneur, pour reprendre la formule ministérielle, de risquer, si son commerce démarre de façon satisfaisante, de perdre son droit au bail en concluant un bail dérogatoire de trois ans, alors qu'il disposerait d'une sécurité juridique de neuf ans et du droit au renouvellement s'il concluait directement un bail soumis au statut des baux commerciaux tout en conservant la possibilité de le résilier à l'issue de la première période triennale.
- L’article 4 de la loi crée un nouvel article L. 145-5-1 du Code de commerce afin de définir la convention d’occupation précaire, laquelle qui se caractérise par des "circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties". Cette précision, qui ne revêtait sans doute aucun caractère indispensable, consacre une jurisprudence qui paraissait jusqu'ici bien établie.
Mesure n°5 : Les états des lieux et l’inventaire de charges, impôts et taxes
Une nouvelle section 6 bis et deux nouveaux articles L 145-40-1 et L. 145-40-2 du Code de commerce relatifs respectivement à l’établissement d’états des lieux et d’un inventaire des charges, impôts et taxes, sont créés. Il convient de préciser que la numérotation choisie soumet ces deux nouveaux articles à l’ordre public des baux commerciaux en vertu de l’article L. 145-15 du Code de commerce.
- Il est prévu qu’un état des lieux sera établi à chaque conclusion, cession ou cessation de bail, mutation ou cession de fonds de commerce. Il sera établi de manière contradictoire et amiable par les parties ou tout tiers mandaté par elles, ou à défaut par un huissier de justice sur l’initiative de la partie la plus diligente et à frais partagés entre elles.
Si le bailleur n’a pas fait toute diligence à cette fin, il ne pourra invoquer la présomption de l’article 1731 du Code civil sur le présumé "bon état" des locaux lors de la prise à bail.
Concernant l'application de la loi dans le temps, il est prévu, aux termes d'une rédaction qui aurait gagné à être simplifiée que : "Pour les baux conclus entrés en vigueur avant l'entrée en vigueur de la présente loi, l'article L.145-40-1 du Code de Commerce, dans sa rédaction résultant de la présente loi, s'applique à toute restitution d'un local, dès lors qu'un état des lieux a été établi lors de la prise de possession".
Le législateur n'a donc prévu de dispositions spécifiques relatives à l'application de la loi dans le temps qu'en ce qui concerne l'hypothèse de la restitution et non l'ensemble des autres hypothèses visées à l'article L.145-40-2 et, notamment la cession du bail ou du fonds de commerce.
Et encore, cette précision extrêmement restrictive, ne s'applique qu'à la condition qu'un état des lieux ait été effectivement établi lors de la prise de possession.
- Le futur article L. 145-40-2 du Code de commerce encadrera strictement la répartition des charges, impôts et taxes entre le bailleur et le preneur. Un inventaire mentionnant la répartition de ces charges impôts et taxes devra être établi et annexé au bail. Un état récapitulatif annuel devra être établi par le bailleur et adressé au preneur dans un délai fixé par voie réglementaire. Le bailleur devra également informer le preneur en cours de bail de tout nouvel impôt, charge, taxe ou redevance. Le bailleur doit également lors de la conclusion du bail et tous les trois ans, communiquer à son locataire :
a) un état provisionnel des travaux qu’il envisage de réaliser et un budget prévisionnel,
b) un état chiffré récapitulatif des travaux réalisés sur les trois années précédentes. Dans le cas particulier d’un ensemble immobilier comprenant plusieurs locataires, le contrat de bail devra prévoir la répartition des charges ou du cout des travaux entre les différents locataires, laquelle doit être fonction de la surface occupée.
- Un décret pris en Conseil d’Etat doit fixer les modalités d’application de cette mesure. Il précisera également quels montants de charges, impôts, taxes et redevances, ne pourront être répercutés au preneur en raison de leur nature. Les débats se sont concentrés autour de l'impôt foncier et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
L'on aboutit objectivement à un système assez comparable aux baux d'habitation et rien n'exclut que le décret à intervenir laisse aux frais du bailleur d'autres charges qui n'ont pas encore été débattues. Tout cela promet d'intenses négociations entre acteurs professionnels du secteur, mais il est d'ores et déjà acquis que cette disposition remet en cause le dispositif des baux investisseurs dits "triple-net".
Il est tout, sauf certain, que le législateur ait bien mesuré l'impact d'une telle mesure qui conduira à n'en pas douter à une surenchère des valeurs locatives de départ.
Mesure n°6 : Le droit de préemption du preneur en cas de vente du local loué
La loi crée un droit de préemption du preneur en cas de vente par le propriétaire du local loué (L.145-46-1 du Code de commerce). Il est prévu que le bailleur notifie par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre récépissé ou émargement son souhait de vendre.
Le locataire disposera alors d'un délai d'un mois pour répondre et s'il préempte, disposera d'un délai complémentaire de deux mois pour réaliser la vente, délai porté à quatre mois s'il recourt à un prêt. Le législateur a prévu, si la vente n'est pas réalisée à l'expiration du délai, que l'acceptation de l'offre de vente devient sans effet, formule qu'il convient d'approuver dans la mesure où elle évitera un contentieux de l'annulation.
Le nouvel article L.145-46-1 du Code de commerce exclut le droit de préemption des locaux à usage industriel, ce qui ne manquera pas de causer des difficultés de caractérisation à certains locaux artisanaux ou commerciaux.
Le droit de préemption ne sera pas non plus applicable dans un certain nombre d'hypothèses de cession des locaux dans le cadre d'une cession globale ou concernant un immeuble comprenant différents locaux ou encore lorsque la cession a lieu au bénéfice du conjoint du bailleur ou à l'un de ses descendants ou ascendants.
Le mécanisme ressemble bien évidemment aux dispositions de la loi du 31 décembre 1975 et au dispositif prévu dans le cadre de la loi du 6 juillet 1989.
Le texte ci-dessus s'applique à toute cession d'un local intervenant à compter du 6ème mois qui suit la promulgation de la loi.
Conclusion
Il faut retenir de cette loi dont le périmètre couvre également l'urbanisme commercial, le statut de l'auto-entrepreneur et de l'artisanat, les mesures qui viennent d'être détaillées.
D'autres modifications méritent également d'être signalées :
- Le statut des baux commerciaux s'appliquera aux personnes de nationalité étrangère.
- Les clauses contraires au statut des baux commerciaux actuellement sanctionnées par la nullité seront dorénavant réputées non écrites, de sorte que la prescription de deux ans ne leur sera pas applicable,
- Les sociétés issues de fusion, scission, bénéficiaires d’apport d’une partie de l’actif ou de transmission universelle de patrimoine, seront nonobstant toute stipulation contraire, substituées à la société bénéficiaire d’un bail, et ce dans tous les droits et obligations en découlant.
- Le champ d'application de la commission de conciliation dont la saisine reste facultative, est élargi aux litiges relatifs à la révision ainsi qu'aux charges et aux travaux (L. 145-35 du Code de commerce). Les litiges relatifs à l'application de l'article L.145-39 restent donc exclus.
- En matière de cession de bail commercial, le bailleur devra avertir le cédant resté garant du cessionnaire de tout défaut de paiement dans le délai d’un mois à compter de la date la somme aurait dû être acquittée. Bien que la loi ne prévoit pas de sanction spécifique, un raisonnement par comparaison aux clauses de garantie d'actif et de passif amène à considérer que le bailleur ne sera plus recevable à agir en garantie à l'encontre du cédant, le cas échéant.
- Toujours en matière de cession de bail commercial, la clause de garantie du cédant ne peut être invoquée que durant le délai de trois ans à compter de la cession du bail.
- Le bénéfice de la délivrance d'un congé à tout moment par le preneur se prévalant de ses droits à la retraite, s’ouvre aux ayant-droits du preneur décédé. Cet article est applicable dès l'entrée en vigueur de la loi.
- La réglementation en matière de droit de préemption des communes en cas de cession de fonds de commerce, de baux commerciaux et de terrains faisant l'objet d'aménagement commercial est précisée ; le formalisme entourant le droit de préemption est renforcé. Le sujet est ici suffisamment vaste pour justifier une chronique spécifique.
Plus d’informations : www.Pechenard.com
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