Par François Gagnon, Président ERA Europe et ERA France
Madame Anne Hidalgo avait annoncé la couleur qui l'a distinguée de ses compétitrices et compétiteurs : si elle était élue, il serait construit 10 000 logements par an sur le territoire de la capitale, 7 000 sociaux et 3 000 privés.
La promesse, louable, a sans doute contribué à séduire les Parisiennes et les Parisiens qui ont voté pour elle. Même s'il n'existe pas de mandat impératif en France, cet engagement est posé sur la table et opposable à celle qui l'a pris solennellement. L’adjoint qu'Anne Hidalgo a nommé pour suivre les dossiers de logement, l'élu communiste Ian Brossat, a endossé la promesse derechef.
Seulement voilà, comment fera-t-on ? Au-delà des discours de campagne, l'équipe qui est investie de piloter le destin de Paris va devoir passer à l'acte. On voit mal comment elle y parviendrait, le souhaita-t-on de toutes ses forces...
Il faut d'abord rappeler quelles sont les performances actuelles, accomplies par la même majorité municipale, dont Madame le Maire était un membre éminent : moins de 2 000 logements nouveaux par an les bonnes années, sans compter une polémique non tranchée quant aux logements existants réhabilités, assimilés sans coup férir à des logements neufs... On parle donc d'un quintuplement de la production actuelle. L'objectif est pour le moins ambitieux.
Problème : Madame Hidalgo et Monsieur Brossat sont muets sur les moyens. Quid du foncier ?
La mobilisation des terrains de l'État et des collectivités, idée forte de la ministre Cécile Duflot, est un échec retentissant. Alors qu'on s'attendait à un abondement de l'offre foncière, avec des emprises à prix maîtrisés, on ne voit rien venir.
Quid de l'équilibre économique des opérations et du bilan des opérateurs ? La loi, à l'initiative de la majorité présidentielle, qui est aussi la majorité parisienne, impose désormais 25% de logements sociaux dans chaque construction. Il y a fort à parier que cet impératif légal ne sera qu'une base et que les édiles de la capitale exigeront davantage, comme ils l'ont déjà fait naguère et 30% sera sans nul doute la toise.
Dans ces conditions, le coût du logement privé ne cessera de croître, puisqu'on déshabille Pierre pour habiller Paul. Plus exactement, conscient de l'érosion de la solvabilité des accédants et des investisseurs, quel promoteur acceptera un scénario dans lequel les logements privés d'un programme augmenteront encore par rapport à ce que l'on connaît...et qui peine à se vendre ?
S'agissant des immeubles qui par le passé étaient acquis et réhabilités par des investisseurs, la loi ALUR, qui renchérit sur la loi Aurillac du 13 juin 2006, va dissuader à coup sûr les meilleures volontés professionnelles. Il sera désormais quasi impossible de vendre un immeuble à la découpe, et par conséquent on ne l'achètera pas: si le congé pour vente délivré à un locataire occupant intervient moins de deux ans avant la fin du bail, la reconduction du contrat est de plein droit, introduisant une viscosité empêchant toute opération de moyen terme.
Au demeurant, l'adjoint au maire chargé du logement n'a pas fait mystère, dès ses premières déclarations, qu'il ferait un usage dynamique du droit de préemption urbain :
1/ quel investisseur se risquera-t-il à se porter acquéreur d'un immeuble bâti ou d'un terrain avec cette épée de Damoclès sur la tête ?
2/ qui aimera-t-il être otage de la municipalité et ne pouvoir décider de son projet immobilier ?
Bref, les promesses de Madame Hidalgo et de son entourage sont bien peu crédibles. On peut se demander d'ailleurs si elles n'entrent pas dans le cadre de la lutte intestine au Grand Paris entre la ville centre et le reste du territoire de ce nouvel espace...
La probabilité que les quelque 70 000 logements à construire fixés par la loi sur le Grand Paris voient le jour hors de la capitale est forte, et, avec elle, la disqualification des élus parisiens. Une consolation: 40% des demandes de logements sociaux adressés à Paris proviennent d'habitants des communes de la région Ile-de-France, et environ la même proportion de souhaits de locataires ou de propriétaires privés. Ces ménages seront bien plus probablement satisfaits par la création de pôles nouveaux hors de Paris que par le dynamisme de la construction parisienne, qui restera un fantasme.
Il est simplement inacceptable de jouer avec les attentes des Franciliens à si bon compte.
Telle Puck à la fin du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, l'équipe municipale pourra toujours dire à la fin de son mandat : "Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement que vous n'avez fait qu'un mauvais somme."
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