Par Blandine Allix et Nabila Fauché-El Aougri,
Avocates Associées chez Flichy Grangé Avocats, Pôle Ethique et Diversité
Malgré le dispositif législatif et réglementaire déjà existant, il y a toujours :
- un écart de rémunération de 27% entre les femmes et les hommes ;
- 80% des salariés femmes qui occupent un emploi à temps partiel ;
- 23% de femmes (seulement) présentes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40.
Le projet de loi qui a été adopté en première lecture par le Sénat le 17 septembre 2013 et par l’Assemblée Nationale le 28 janvier 2014, prévoit, outre des dispositions relatives notamment à la lutte contre la précarité des femmes et à la protection des femmes contre les violences et les atteintes à leur dignité, des dispositions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle qui sont, pour l’essentiel, les suivantes :
1/ Négociation unique et globale sur l’égalité professionnelle
Actuellement, l’article L.2242-5 du Code du travail prévoit une négociation annuelle sur les objectifs d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. De son côté, l’article L.2242-7 du même code prévoit une négociation annuelle salariale visant « à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. »
Le projet de loi (article 2 E) vise à simplifier ces deux obligations de négociation en prévoyant, au niveau de l’entreprise, une négociation unique et globale sur les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. Il s’agit ainsi de regrouper tous les thèmes lors d’une seule et même négociation.
2/ Modification dans le contenu du rapport de situation comparée femmes/hommes
Actuellement, les articles L.2323-47 et L.2323-57 du Code du travail prévoient l’obligation, pour l’employeur, de remettre chaque année, au comité d’entreprise, un rapport sur la situation économique de l’entreprise, rapport qui doit, concernant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, comporter notamment une « analyse permettant d’apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de rémunération effective et d’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale ».
Le projet de loi prévoit à l’article 5 ter un nouveau domaine de comparaison : la santé et la sécurité au travail. Il s’agira pour les entreprises de collecter les données sur ces questions de manière à mieux appréhender l’effet de l’organisation du temps travail et des conditions de travail sur la santé et la sécurité des femmes et des hommes.
Il prévoit, par ailleurs, que ce rapport doit, dans les entreprises de moins 300 salariés, recouper les données salariales en fonction de l’âge, du niveau de qualification et du sexe des salariés à postes équivalents, de façon à mesurer d’éventuels écarts dans le déroulement de carrière. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, le rapport doit analyser les écarts de salaire et les déroulements de carrière en fonction de l’âge, de la qualification et de l’ancienneté. Il décrit l’évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers.
Prévoir une analyse des niveaux de rémunération des salariés des deux sexes au regard du niveau de qualification et de l’ancienneté constitue une réelle avancée. En effet, une analyse des niveaux de rémunération ne tenant pas compte du niveau de qualification et de l’ancienneté des salariés manque, bien évidemment, de pertinence et rend cette analyse peu exploitable. L’instauration d’un indicateur de promotion sexué constitue, également, une initiative pertinente, car il va permettre de suivre l’évolution des taux de promotion par métiers. Il est, cependant, regrettable que ce taux ne soit, à ce stade, prévu uniquement pour les entreprises d’au moins 300 salariés.
3/ Interdiction temporaire de licencier un salarié homme
Une protection contre le licenciement des pères est désormais instituée par le projet de loi qui prévoit que le contrat de travail ne peut pas être rompu pendant les 4 semaines suivant la naissance de l’enfant, sauf faute grave ou impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant.
4/ Partage entre les deux parents du complément de libre choix d’activité
Cette mesure constitue pour le Ministre des Droits des femmes « un des axes forts » de son projet. Rappelons que tout salarié qui justifie d’une ancienneté minimale d’une année à la date de la naissance de son enfant (ou de l’arrivée à son foyer d’un enfant de moins de 16 ans confié en vue de son adoption) peut demander un congé parental d’éducation d’une durée initiale d’un an au plus, mais pouvant être prolongé 2 fois pour prendre fin, au plus tard, au 3ème anniversaire de l’enfant. Pendant ce congé, le salarié peut prétendre à une prestation familiale dite « complément de libre choix d’activité » (CLCA) dont la durée de versement est actuellement d’une durée maximale de 6 mois pour l’allocataire qui a un seul enfant à charge et d’une durée allant jusqu’aux 3 ans de l’enfant lorsque l’allocataire a deux enfants à charge.
Afin d’inciter les pères à prendre un congé parental et favoriser ainsi la reprise d’activité des mères, le projet de loi prévoit le partage entre les deux parents du CLCA qui s’intitulerait à l’avenir « prestation partagée d’éducation de l’enfant » (PPEE).
La durée de versement de la PPEE doit être fixée par décret. D’après les indications données par Madame Vallaud-Belkacem, pour les familles avec un seul enfant, il s’agira de 6 mois supplémentaires qui s’ajouteront aux 6 mois actuels, dès lors que chacun des parents ferait valoir simultanément ou successivement son droit à la PPEE (la prolongation est donc subordonnée au fait que le second parent en soit bénéficiaire). A partir de deux enfants à charge, la durée de versement restera de 3 ans mais 6 mois seraient réservés au deuxième parent. Ainsi, si le père n’exerce pas son droit à la prestation en interrompant son activité, la mère ne pourra y prétendre que pendant une durée de 2 ans ½.
Si cette réforme vise à favoriser le retour des femmes à l’emploi et à modifier la répartition des responsabilités parentales, outre le changement des mentalités que cela implique, on peut se demander si elle va réellement inciter les pères qui perçoivent une rémunération plus élevée que la mère à prendre un tel congé. En effet, le montant du CLCA varie actuellement de 329,38€ (taux réduit) à 572,81€ (taux plein) mensuels selon que l’activité est totalement suspendue ou non. Si ces montants ne sont pas modifiés, il n’est pas certain, compte tenu de ces considérations financières, que dans les couples où le père a le revenu le plus élevé, ce dernier soit prêt à interrompre temporairement son activité professionnelle pour s’occuper de ses enfants. On verra si l’objectif voulu par le gouvernement de 100 000 pères demandant à bénéficier d’un congé parental d’ici 2017 sera atteint. Dans tous les cas, si ce dispositif ne devait pas rencontrer le succès escompté par le gouvernement, on aura réduit la durée du congé parental des mères sans pour autant parvenir à l’égalité recherchée.
5/ Accès interdit aux marchés publics
La mesure certainement la plus forte pour les entreprises est celle prévue à l’article 3 du projet de loi qui vise à interdire l’accès aux marchés publics aux entreprises qui ont fait l’objet, depuis moins de 5 ans, d’une condamnation définitive pour discrimination sur la base de l’article 225-1 du Code pénal ou qui n’ont pas, au 31 décembre de l’année précédant celle où la consultation est lancée, mis en œuvre l’obligation de négociation prévue à l’article L.2242-5 du Code du travail (négociation sur les objectifs d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes) ni réalisé ou engagé la régularisation de leur situation à la date à laquelle elles soumissionnent à un marché public.
Si cette mesure est maintenue, les entreprises qui auront été condamnées pénalement pour discrimination, se verront donc doublement sanctionnées. Il en sera de même pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auront pas engagé la négociation. En effet, outre la sanction envisagée dans le projet de loi, ces entreprises encourent une pénalité financière (1% maximum de la masse salariale) si elles n’ont ni accord collectif ni plan d’action relatif à l’égalité professionnelle.
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