Par Lars Seier Christensen, co-founder & CEO, Saxo Bank A/S
Le jour où j'ai vu le Bitcoin s'échanger à près de mille dollars, je n’en croyais pas mes yeux ! J'aurais pourtant dû le voir venir : une offre limitée, beaucoup de buzz et de demande - tout paraît si évident après coup, comme souvent.
Et je ne peux pas trouver l'excuse de ne pas avoir été pleinement au courant de l'existence du Bitcoin à un moment où il s'échangeait encore bien en dessous de dix dollars. Du fait de mes penchants libertariens bien connus, un certain nombre d'amis aux vues similaires m'avaient incité à prendre part à cette expérience nouvelle, non étatique et non régulée. Honte à moi de ne pas avoir écouté. J'espère qu'eux, au moins, ont gagné beaucoup d'argent.
Si je n'ai pas investi sur le Bitcoin c'est parce que j'avais des doutes sur sa viabilité à long terme, et cette inquiétude demeure. On a beaucoup parlé du Bitcoin ces derniers temps - et pas toujours de manière positive, comme dans le cas de l'arrestation de ce créateur de place de marché Bitcoin, à New York, sur des accusations de blanchiment d'argent.
Je crois que Bitcoin a fait une erreur en maintenant l'anonymat de ses détenteurs, bien que certains de ses utilisateurs - dont certains particulièrement indésirables -l'aient justement adopté pour cette raison. Cela offre aux autorités une excellente excuse pour l'interdire quand et où elles le voudront. Et cela pourra très bien être une interdiction sous de faux motifs, juste parce que les autorités n'aiment pas la compétition. J’ai bien peur que la Chine et la Russie ne soient que les premiers pays à réagir.
Vue sa structure, le fait d'interdire le Bitcoin ne va bien sûr pas l'éradiquer. Mais cela fera en sorte d'empêcher que les citoyens respectueux de la loi et les entreprises ne l'utilisent - ce qui le rendra pratiquement inutile. Ainsi, la fausse impression de sécurité apportée par son réseau réputé incontrôlable ne pèsera pas lourd s'il y a une volonté concertée de restreindre le marché du Bitcoin. Je crois donc qu'il serait sage d'accepter et d'adopter un certain niveau de régulation, même si cela est contre-intuitif pour ses défenseurs, même si cela sert seulement à éviter une réaction encore plus radicale des gouvernements, mécontents de voir leur monopole d'émission de la monnaie remis en question.
Bien sûr, pour les early-adopters, plus avisés que moi, la phénoménale envolée du prix a été formidable, mais elle a aussi des conséquences négatives. Je pense que le prix élevé et l'énorme volatilité - la valorisation a plongé fin novembre de 1 242$ à environ 500$ en quelques heures - vont rendre difficile son acceptation par des entreprises sérieuses.
A terme, je pense que le Bitcoin va se retrouver face à de sérieux défis, même si je crois que ce type de monnaie numérique peut avoir sa place dans l'économie sous un format mieux pensé et avec une valeur plus liée à des actifs réels. Sans aucun doute, de nombreuses banques centrales ont également fait des dégâts en émettant du papier-monnaie déconnecté de la réalité, et il est concevable que le secteur privé puisse aussi faire mieux que les institutions publiques dans le domaine de la monnaie. C'est le cas dans presque toutes les activités qui existent... pourquoi pas là ?
Tout ce qui peut être régulé dans la sphère financière sera régulé. Il faut vous y habituer ! Cela s'appliquera aussi aux monnaies numériques. Mais la régulation peut être leur ticket d'entrée vers l'acceptation et le succès - et ne doit donc pas être seulement considérée comme un point négatif.
Le Bitcoin reste une partie infime du système économique et ne sera pas une menace sérieuse pour des modèles plus établis avant longtemps. Mais s'il le devient un jour et sait surmonter la question réglementaire, il sera adopté.
Toutefois, je crois que l'on verra de nouveaux modèles, et de meilleurs, se développer au fil du temps. Il est rare que le premier entrant gagne et remporte la mise et, étant données les faiblesses mentionnées, il y a de la place pour de nombreuses améliorations.
Comprendre l'économie durable pour s'y investir