Par Blandine Allix, Avocat Associé, Flichy Grangé Avocats, Pôle Contentieux à risques.
Créée par la loi du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle est un mode de rupture amiable du contrat de travail à durée indéterminée qui se concrétise par la signature par l’employeur et le salarié d’une convention de rupture soumise à l’homologation de l’administration du travail, convention prévoyant le versement par l’employeur au salarié d’une indemnité spécifique de rupture au moins égale à l’indemnité (légale ou conventionnelle selon le cas) de licenciement.
Bien que ce mode de rupture, qui n’est pas une transaction, peut être source de contestations de la part du salarié (qui peut notamment tenter d’obtenir, en faisant valoir l’existence d’un vice de consentement, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) et malgré le durcissement au 1er janvier 2013 du régime social de l’indemnité spécifique (assujettissement au forfait social au taux de 20 % de la part de l’indemnité inférieure au plafond d’exonération des cotisations sociales), la rupture conventionnelle continue à séduire les employeurs puisque leur nombre est resté stable en 2013. Selon les données publiées il y a quelques jours par le Ministère du travail à la suite d’une étude faite par la DARES (Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques), 318.500 ruptures conventionnelles ont été homologuées en 2013 contre 319.900 en 2012.
Les décisions récentes de la Cour de cassation dans le cadre de litiges initiés par des salariés qui demandaient à ce que la rupture conventionnelle soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour vice de consentement, risquent-elles de ralentir en 2014 la conclusion de ce mode de rupture du contrat de travail ?
La réponse est négative. En effet, la Cour de cassation a rejeté, dans quatre arrêts rendus en janvier 2014, l’argument des salariés qui tentaient de faire valoir l’existence d’un vice du consentement sur la base d’éléments de fait totalement distincts.
En effet, dans un arrêt rendu le 15 janvier 2014, le salarié avait fait valoir qu’il avait fait l’objet de deux avertissements respectivement 6 et 3 mois avant la signature par les parties de la convention et qu’il avait en outre fait l’objet de nouveaux reproches sur l’exécution des tâches confiées. La Cour de cassation juge que l’existence, au moment de la conclusion, d’un différend entre les parties, n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture (Cass.soc., 15 janvier 2014, n°12-23942). Elle confirme ainsi sa jurisprudence initiée en mai 2013 (Cass.soc., 23 mai 2013 n°12-13865) et réitérée en septembre 2013 (Cass.soc., 30 septembre 2013 n°12-19711).
Dans trois arrêts rendus le 29 janvier 2014, la Cour de cassation donne d’autres précisions sur l’appréciation du caractère vicié du consentement du salarié. Dans ces espèces, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur l’incidence quant à la validité de la rupture conventionnelle :
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d’une erreur dans la convention de rupture sur la date d’expiration du délai de rétractation de 15 jours calendaires (dans cette espèce, la convention de rupture signée par les deux parties et homologuée par l’administration informe bien la salariée de la possibilité de se rétracter, c’est-à-dire de revenir sur sa décision, mais mentionne un délai de rétractation inférieur au délai légal de 15 jours calendaires) ;
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du défaut d’information du salarié d’une entreprise, ne disposant pas d’institution représentative du personnel, sur la possibilité de se faire assister, lors de l’entretien au cours duquel les parties conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié inscrit sur une liste dressée par l’autorité administrative (en l’espèce, le salarié, qui n’avait pas été informé par l’employeur de cette possibilité, avait demandé à son supérieur hiérarchique, titulaire d'actions de l'entreprise, de l’assister) ;
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du défaut d’information du salarié sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l'emploi en vue d’envisager la suite de son parcours professionnel.
S’agissant de l’erreur sur la date d’expiration du délai de rétractation, la Cour de cassation juge qu’elle ne peut « entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation » (Cass.soc., 29 janvier 2014, n°12-24.539). Or en l’espèce, la Cour d’appel avait exclu tout vice de consentement.
S’agissant du défaut d’information sur l’assistance, la Cour de cassation juge qu’il « n'a pas pour effet d'entraîner la nullité de la convention de rupture en dehors des conditions de droit commun » (Cass.soc., 29 janvier 2014, n°12-27.594). Autrement dit, ce défaut d’information ne rend pas automatiquement nulle la convention de rupture : il est nécessaire qu’un vice du consentement ait été constaté. Or en l’espèce, la Cour d’appel avait estimé qu’aucune pression ou manœuvre n’avait été exercée sur le salarié, qui avait lui-même demandé à son supérieur hiérarchique de l’assister, pour l’inciter à consentir à la convention de rupture. La Cour de cassation, amenée à statuer pour la première fois sur cette question, met ainsi fin à une jurisprudence contradictoire des Cours d’appel qui, soit concluaient à l’annulation automatique de la convention de rupture en considérant que cette information sur l’assistance était obligatoire (CA Lyon, 23 septembre 2011 n° 10/09122 et CA Reims, 9 mai 2012 n° 10-1501), soit considéraient qu’aucune information particulière ne s’imposait à l'employeur à ce titre et qu’il appartenait au salarié de prendre ses dispositions (CA Nîmes 12 juin 2012 n° 11-00120).
Enfin, s’agissant du défaut d’information du salarié d’une entreprise sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l'emploi, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel pouvait considérer que la liberté de consentement du salarié n’avait pas été affectée puisqu’elle avait constaté que le salarié avait conçu un projet de création d'entreprise (Cass.soc., 29 janvier 2014, n°12-25.951).
La Cour de cassation maintient donc le cap qu’elle a pris depuis 2013 : le salarié doit démontrer l’existence d’un réel vice du consentement pour obtenir des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce cap va dans le sens de la loi du 25 juin 2008 dont l’objectif était, rappelons-le, d’une part de faciliter, afin de développer in fine le recrutement et donc l’emploi, le départ des salariés (qui souhaitent quitter l’entreprise ou que l’employeur souhaite voir partir mais sans avoir de motif réel et sérieux de licenciement à leur encontre) en leur garantissant des droits, d’autre part de minimiser les sources de contentieux en sécurisant la rupture par une procédure spécifique destinée à garantir le libre consentement du salarié et en prévoyant un délai de contestation raccourci de 12 mois.
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