Par Stéphane Jacquin, Directeur de l’ingénierie patrimonial de Lazard Frères Gestion.
L'administration fiscale a mis en ligne sur le BOFIP (Bulletin Officiel des Finances Publiques) vendredi 14 juin 2013 ses commentaires sur le dispositif de plafonnement de l'ISF. Cette dernière indique que parmi les revenus à retenir pour le calcul du plafonnement, il y a lieu de prendre en compte les intérêts acquis sur les fonds en euro des contrats d'assurance-vie ou de capitalisation mono-support comme multi-supports. « Les revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment des contrats d'assurance-vie, souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France ou à l'étranger, sont pris en compte, chaque année pour leur montant retenu pour les prélèvements sociaux au titre du 3° du II de l'article 136-7 du Code de la Sécurité Sociale » (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614 ; § 200).
Une prise de position de l'administration surprenante, qui semble contraire à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2012. En effet, le Conseil constitutionnel a censuré le paragraphe de l'article 13 du projet de loi de finances pour 2013 qui prévoyait d'intégrer dans les revenus à prendre en compte pour le calcul du plafonnement certains revenus latents et notamment la variation de valeur des bons ou contrats de capitalisation et d'assurance-vie. Le Conseil constitutionnel avait considéré qu’ « en intégrant dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l'ISF (...) des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisé ou dont il a disposé au cours de la même année, le législateur a fondé son appréciation sur des critères qui méconnaissent l'exigence de prise en compte des facultés contributives » (décision n°2012-662).
Cette doctrine semble également en contradiction avec une décision du Conseil d'Etat rendue en matière de bouclier fiscal. Rappelons que pour ce dispositif, la loi, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2006 (n°2005-1719 - 30 décembre 2005), prévoyait d'intégrer dans les revenus à prendre en compte les intérêts des contrats mono-support euro mais ne se prononçait pas sur ceux des fonds en euro des contrats multi-supports. L'administration, dans ses commentaires (Inst.13-A-1-08 du 26 août 2008), avait entendu assimiler les contrats multi-supports investis à plus de 80% sur le support en euro à des contrats mono-supports. Une doctrine qui avait été annulée par le Conseil d'Etat. La haute juridiction avait considéré que « si le revenu retiré d'un contrat mono-support, définitivement acquis au titulaire du contrat à la date de son inscription en compte chaque année est réalisé à cette date, les revenus correspondant aux produits générés par le fonds en euro d'un contrat multi-supports ne peuvent être regardés comme ayant ce caractère dès lors que le titulaire du contrat dispose de la faculté, inexistante dans le cadre d'un contrat mono-support, de procéder à un arbitrage entre les diverses unités de compte ou entre les unités de compte et le fonds en euro de son contrat et que, par suite, ces produits ne sont pas définitivement acquis ; qu'ainsi, en disposant que le revenu tiré du fonds en euro d'un contrat multi-supports est réputé réalisé à la date de son inscription en compte et, à ce titre, pris en compte pour la détermination du droit à restitution lorsque l'épargne est en réalité exclusivement ou quasi-exclusivement investie sur le fonds en euro pendant la majeure partie de l'année, l'instruction du 26 août 2008 a ajouté une condition qu'il n'appartenait qu'au législateur de prévoir » (CE 13 janv. 2010 n° 321416).
Le caractère non définitivement acquis des intérêts des fonds en euro des contrats multi-supports a également été intégré par le législateur. En effet si, depuis juillet 2011, les intérêts acquis sur les fonds en euro des contrats multi-supports sont imposés lors de leur inscription au contrat et non plus lors de son dénouement, un mécanisme de reversement est prévu, lors d'un rachat partiel ou lors du dénouement du contrat, s'il apparaît que les prélèvements sociaux acquittés au fil de l'eau sur les intérêts du fonds en euro sont supérieurs à ceux calculés sur l'ensemble des produits attachés au contrat à la date du rachat ou du dénouement (Code de la Sécurité Sociale, article L136-7, § II 3° et III bis). Les prélèvements sociaux acquittés annuellement sur le support euro des contrats multi-supports apparaissent donc comme un simple acompte pouvant donner lieu à reversement.
Enfin, cette doctrine nouvelle est contraire à celle qui était en vigueur sous l’ancien dispositif de plafonnement qui s’est appliqué jusqu’en 2011. En effet, il résultait de cette doctrine que les produits des contrats d’assurance-vie et de capitalisation mono-supports comme multi-supports ne devaient être pris en compte dans les revenus que s’il avait été procédé à un rachat partiel ou total au cours de l’année considérée (Inst. 1er juin 1999, 7 S-6-99).
La position nouvelle de l’administration, outre qu’elle apparaît contestable, était inconnue des redevables au moment où ils ont déposé leur déclaration d’ISF 2013. Rappelons en effet que la date limite de dépôt de la déclaration accompagnée du paiement était fixée cette année au 17 juin pour les contribuables disposant d’un patrimoine supérieur à 2 570 000 € et que l’administration n’a publié ses commentaires que le vendredi 14 juin. Quant aux redevables disposant d’un patrimoine inférieur à 2 570 000 €, ils devaient mentionner sur leur déclaration de revenus, dont la date limite de dépôt sur support papier était fixée au 27 mai, le montant de leur patrimoine ainsi que le résultat de leur calcul de plafonnement.
Les redevables titulaires de contrats d’assurance-vie ou de capitalisation investis sur le support en euro au cours de l’année 2012 et qui ont bénéficié d’une réduction de leur ISF au titre du plafonnement risquent donc de se voir réclamer un complément d’impôt résultant de l’intégration, dans leur revenu au sens du plafonnement, des intérêts 2012 constatés sur le fonds en euro et, dans les impôts à prendre en compte, des prélèvements sociaux calculés sur lesdits intérêts (BOI-PAT-ISF-40-60-20130614 ;§ 140).
Ils auront donc le choix, soit de payer, soit de contester sur le fondement des arguments développés précédemment.
S’agissant des sanctions, l’administration pourra leur réclamer les intérêts de retard (0,40% par mois). Aucune autre sanction ne devrait à priori être encourue par les redevables qui s’étaient acquittés de leurs obligations déclaratives avant le 14 juin. Il n’en sera pas nécessairement de même pour ceux qui se sont acquittés de leurs obligations le dernier jour car à cette date l’administration avait pris position même si tous les redevables l’ignoraient en pratique !