Une transition énergétique qui tourne au cauchemar
En France, la chasse
aux "passoires thermiques" s’intensifie. Depuis 2023, les logements
classés G ne peuvent plus être loués, et d’ici 2028, ce sera le tour des
logements classés F. Mais derrière ces mesures écologiques se cache une
crise silencieuse : des milliers de propriétaires se retrouvent coincés
avec des biens impossibles à rénover.
- Trop
cher, trop contraignant, ou tout simplement techniquement infaisable : que
faire quand son logement devient inadaptable ?
- Va-t-on créer une nouvelle crise du logement en
excluant des biens du marché ?
Sylvain Gruelles,
expert en rénovation, tire la sonnette d’alarme : « On
pousse à la rénovation sans prendre en compte la diversité du bâti. Beaucoup de
propriétaires se retrouvent avec des maisons bloquées, ni vendables ni louables ».
I - Des logements
techniquement impossibles à rénover
1,5 million de
logements en France sont considérés comme des passoires thermiques (source
: ONRE), mais tous ne peuvent pas être mis aux normes. Pourquoi ?
- Les bâtiments historiques : des contraintes patrimoniales
infranchissables
En France, 15 %
du parc immobilier se trouve dans des secteurs protégés où les
Architectes des Bâtiments de France (ABF) limitent fortement les travaux.
Exemple : Un propriétaire
d’une maison classée en centre-ville de Bordeaux s’est vu refuser l’isolation
par l’extérieur pour préserver la façade historique. Résultat : il ne peut
pas améliorer son diagnostic énergétique et son bien devient invendable.
"On veut rénover,
mais on nous l’interdit ! L’isolation par l’intérieur est trop coûteuse et
réduit la surface habitable », selon Michel D., propriétaire concerné.
- Des coûts disproportionnés par rapport à la valeur du
bien
Dans certaines zones
rurales, les travaux de rénovation coûtent plus cher que la maison
elle-même.
Exemple : Une maison en Dordogne achetée 80
000€ nécessiterait 100 000€ de rénovation pour atteindre un DPE
satisfaisant. Un investissement absurde pour un propriétaire modeste.
"On nous dit qu’il
faut rénover, mais comment faire quand ça coûte une fortune et qu’on n’a pas
droit aux aides ?", selon Nathalie L., propriétaire en difficulté.
- Incompatibilité technique avec les normes énergétiques
Certains logements ne
peuvent tout simplement pas atteindre les critères fixés par les nouvelles
lois.
Cas fréquents :
- Murs
en pierre trop
épais, empêchant une isolation efficace.
- Planchers
en bois anciens,
non compatibles avec des systèmes modernes de chauffage au sol.
- Mauvaise
orientation et faible ensoleillement, qui rendent inefficace
l’installation de panneaux solaires ou de pompes à chaleur.
Sylvain Gruelles
insiste
: "On applique les mêmes critères à une maison du 19ᵉ siècle
et à un immeuble moderne. C’est une aberration technique."
II - Des propriétaires
ruinés et des logements bloqués
Les conséquences sont
désastreuses :
- Un
marché immobilier sous tension
- Certains
biens deviennent invendables : les acheteurs fuient les
passoires thermiques à cause des travaux à prévoir.
- D’autres
propriétaires sont contraints de brader leur bien jusqu’à -30% pour
espérer vendre.
- Des milliers de
logements interdits à la location
En 2023, 200
000 logements classés G ont été retirés du marché locatif (source :
Fnaim). Avec la future interdiction des logements classés F en 2028, ce
chiffre pourrait exploser.
- Des
propriétaires sans solutions
- Refus
de financement bancaire : les banques hésitent à prêter pour
des biens à faible DPE.
- Pas
d’aides adaptées :
MaPrimeRénov’ et les aides locales ne couvrent pas toujours les
rénovations lourdes.
"J’ai voulu
rénover, mais ma banque a refusé le prêt car mon bien ne sera jamais classé
mieux que F. Je suis bloqué." – Paul G., propriétaire en
Île-de-France.
III - Quelles solutions
pour sortir de l’impasse ?
Face à cette crise qui
s’amplifie, trois
mesures d’urgence pourraient être mises en place :
1. Créer un fonds
spécial pour les rénovations complexes
Les aides actuelles sont insuffisantes pour les cas extrêmes. Un fonds
d’urgence dédié aux biens inadaptables (bâtiments historiques, zones
rurales) permettrait aux propriétaires de rénover sans s’endetter à vie.
2. Adapter les
normes au bâti ancien
Plutôt que d’exiger des
performances énergétiques irréalistes, autoriser des rénovations
progressives :
- Isolation
partielle.
- Chauffage
amélioré.
- Bonus
pour le maintien des matériaux d’origine (bois, pierre).
3. Assouplir l’interdiction de location sous
conditions
Plutôt qu’un bannissement
brutal, permettre aux propriétaires de louer s’ils s’engagent dans un plan
de rénovation sur 5 ans avec un suivi obligatoire.
Conclusion : Un besoin
urgent d’adaptation des politiques publiques
L’intention derrière la
loi est louable : améliorer
la performance énergétique et lutter contre le réchauffement climatique. Mais
elle oublie un fait majeur : tous les logements ne peuvent pas être mis
aux normes de manière réaliste.
Si rien n’est
fait, nous risquons un double effet pervers :
- Des
logements laissés à l’abandon faute de rentabilité.
- Une
crise du logement accrue, avec une offre locative qui diminue.
"Il faut arrêter de mettre tous les logements dans le même moule. Sans mesures adaptées, on court à la catastrophe : un débat doit s’ouvrir sur l’adaptation des normes et des aides aux réalités du terrain ».