Extrait de la tribune du Général Christian
Houdet, expert des conflits et des enjeux stratégiques
Dans cette analyse
incisive, le Général Houdet nous invite à réfléchir sur un monde en
recomposition, où l’ordre international, fragilisé par des crises majeures
(annexion de la Crimée, invasion de l’Ukraine, tensions en Asie-Pacifique),
bouscule le droit international et redéfinit les rapports de force.
Un monde en
recomposition et un droit international fragilisé
Depuis une décennie,
l’ordre international fondé sur le droit et la diplomatie multilatérale vacille
sous l’effet de crises majeures : l’annexion de la Crimée en 2014, l’invasion
de l’Ukraine en 2022, la montée des tensions en Asie-Pacifique, la progression
d’impérialismes agressifs et la remise en cause du multilatéralisme par
certaines grandes puissances.
Le respect des
frontières, pilier du droit international, est bafoué par des stratégies de
fait accompli, tandis que l’ONU est plus que jamais incapable d’imposer son
autorité face aux vetos des grandes puissances.
Dans ce contexte,
l’Europe et la France doivent repenser leur rôle stratégique. La guerre en
Ukraine a démontré la nécessité d’un réarmement massif, d’une autonomie
stratégique et d’une redéfinition des alliances, notamment vis-à-vis des
États-Unis et de l’OTAN.
Une stratégie de
sécurité européenne indépendante
L’Europe, prise en étau
entre une Russie agressive et une Amérique dont l’engagement devient incertain
(notamment en cas de retour de Donald Trump à la Maison Blanche), doit
envisager une nouvelle architecture de sécurité. Trois axes majeurs se dégagent
:
Un réarmement massif et
un pilier militaire européen autonome
● Relancer une
industrie de défense européenne : L’Europe doit accroître massivement sa
production d’armements (chars, artillerie, drones, systèmes de défense
antiaérienne). La France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie doivent
industrialiser rapidement leur effort de défense. Un fonds européen de défense
devrait accompagner cette transition.
● Accroître la dissuasion conventionnelle :
Une capacité de mobilisation rapide de soldats et de réserves devrait permettre
de déployer entre 500 000 et 800 000 soldats, suffisants pour dissuader toute
action russe contre les États volontaires de cette architecture de sécurité
européenne.
● Garantir une dissuasion non-nucléaire :
La priorité doit être donnée à la dissuasion conventionnelle pour éviter une
escalade vers un conflit nucléaire dévastateur.
La puissance nucléaire
française comme garant de sécurité ?
● Élargir la
doctrine nucléaire française : La France, seule puissance nucléaire
indépendante de l’UE, pourrait intégrer ses alliés sous un “parapluie nucléaire
européen”, moyennant un financement partagé.
● Moderniser la
force de frappe : Face aux nouvelles menaces, la France doit renforcer sa
crédibilité nucléaire en modernisant ses sous-marins et sa composante
aéroportée.
Une OTAN européenne
sans les États-Unis ?
L’idée d’une OTAN
européenne est souvent évoquée mais difficile à concrétiser. Une alternative
serait une Organisation de Sécurité Européenne (OSE), intégrant les nations
volontaires (France, Allemagne, Pologne, pays nordiques et méditerranéens).
● Transformer
l’Europe en acteur militaire crédible : Cette OSE pourrait utiliser la
structure de commandement de l’OTAN, sans dépendre des États-Unis et en
excluant les pays réticents.
● Maintenir un dialogue stratégique avec
Washington sans dépendance : L’objectif n’est pas de rompre avec les
États-Unis, mais d’être en mesure d’agir sans eux si nécessaire.
Vers une paix durable
en Ukraine : quelle stratégie ?
L’Europe doit adopter une approche réaliste face à la guerre en Ukraine.
- Un soutien militaire et économique prolongé à Kiev pour
éviter une victoire russe qui fragiliserait tout le continent.
- Un plan de reconstruction massive, financé par un fonds
européen des nations volontaires.
- Une stratégie d’endiguement de la Russie, renforçant le flanc
Est de l’Europe et imposant à Moscou une ligne rouge claire contre toute
nouvelle agression.
En conclusion, le bouleversement du
droit international impose à l’Europe de sortir de sa naïveté stratégique. Si
la France et l’Europe ne construisent pas rapidement un pilier militaire
solide, elles deviendront des proies faciles pour les puissances
révisionnistes.
Seule une Europe stratégiquement autonome, armée et solidaire pourra garantir une paix durable sur le continent.