L’analyse d’Ophelie Mortier, Chief Sustainable Investment Officer chez DPAM
Décrite comme le feu de joie de la
bureaucratie environnementale en Europe, la Commission européenne a récemment
dévoilé sa proposition de simplification de la réglementation en matière de
développement durable, en réduisant le champ d'application de certains aspects
de sa législation phare, dans le but d'améliorer la compétitivité de l’Union
Européenne. Mais ce feu de joie aura-t-il l'effet escompté ?
La proposition de
simplification Omnibus de la Commission européenne, concerne trois
réglementations principales relatives aux entreprises :
• La directive sur les
rapports de durabilité des entreprises (CSRD)
• La directive sur le
devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD)
• La taxonomie
La CSRD incite les
entreprises à communiquer sur leur impact environnemental et social global,
afin de mieux comprendre l'interaction entre ces dernières et leur
environnement.
En résumé, la CSDDD
intègre les lignes directrices et les cadres internationaux en matière de
droits de l'homme, obligeant les entreprises à évaluer ces risques tout au long
de leur chaîne d'approvisionnement.
La taxonomie vise à
identifier les activités économiques ayant un effet favorable sur le climat sur
lesquelles les entreprises s'alignent et qui n'entravent pas d'autres aspects
environnementaux.
Simplification ou
déréglementation ?
Le package de
simplification Omnibus a donné lieu à d'intenses débats.
Tout d'abord, en ce qui
concerne le timing : la CSRD et la CSDDD viennent à peine d'entrer en vigueur,
quelles sont déjà en cours de démantèlement. Les entreprises invoquent la perte
de compétitivité par rapport à leurs concurrents non européens, tels que la
Chine ou les États-Unis, où les réglementations ESG sont plus souples. La
stagnation de plusieurs grandes économies européennes semble être à l'origine
de cette décision politique, malgré l'absence de preuves claires établissant un
lien entre ces réglementations et les problèmes de compétitivité.
Il est important de
noter que la directive sur la responsabilité sociale des entreprises (CSRD),
qui prévoit des obligations de déclaration à partir de maintenant et du milieu
de l'année prochaine, est le résultat de plus de quatre ans de discussions entre
les parties prenantes, y compris les entreprises. De nombreuses entreprises ont
déjà commencé à se conformer à cette directive, qui a été transposée dans la
réglementation nationale de certains États membres, comme la Belgique. Ces
entreprises ont commencé à interpréter et à adopter un cadre de double
matérialité, en engageant des frais pour rassembler les données requises et
pour répondre aux exigences de vérification des auditeurs.
Les entreprises
reconnaissent généralement la nécessité de disposer de données ESG
standardisées et fiables, telles que les émissions de CO2 ou de Gaz à effet de
serre. Cependant, se conformer à la CSRD, très normative, est coûteux et la
vérification externe ajoute un fardeau supplémentaire, malgré son importance
dans le processus.
Deuxièmement, en ce qui
concerne le contenu :
Il existe un consensus sur la réduction du nombre d'éléments ou de normes sur
lesquels les entreprises doivent publier leurs rapports. Toutefois, la
réduction du nombre d'indicateurs clés de performance ne signifie pas une
réduction significative des entreprises assujetties à la directive. Or, la
proposition modifie principalement le champ d'application plutôt que le
contenu. Près de 80 % des entreprises initialement visées par la directive sont
désormais exemptées de l'obligation d'information. C'est un chiffre important,
bien qu'atténué par la capacité d'investissement et l'impact tangible de ces
entreprises. Les PME, qui devraient rester dans le périmètre d'application,
avec des exigences restreintes, sont maintenant exclues. Initialement, seules
les grandes entreprises entraient dans le champ d'application, les PME
bénéficiant des normes élaborées par les plus grandes. Pour alléger les
exigences imposées aux PME, il aurait peut-être été préférable de proroger la
CSDDD. Cette directive a plus d'impact sur les PME que la CSRD, car ces
dernières font partie des chaînes de valeur. Toutefois, la limiter aux
fournisseurs directs réduirait également le champ d'action des PME.
Ces dernières sont
essentielles à la croissance en Europe et au renforcement de la compétitivité.
Il est essentiel que les investissements affluent vers ces entreprises, et la
transparence est bénéfique pour les investisseurs. L'objectif étant de fournir
les informations nécessaires aux investisseurs, et non de se contenter de
cocher les cases d'une longue liste de critères.
Il convient de
mentionner les VSME, c'est-à-dire les indicateurs volontaires que les PME
pourraient communiquer. Certaines données, définies en fonction des besoins des
investisseurs, pourraient être rendues obligatoires pour garantir les flux de
capitaux vers les PME.
Troisièmement, les
prochaines étapes :
L'initiative de simplification est bienvenue, mais elle ne doit pas atténuer
les ambitions initiales. Les investisseurs et les entreprises recherchent la
stabilité après une vague de réglementations aux échéances variables et à
l'interopérabilité douteuse, ce qui accroît l'incertitude.
Pour les entreprises,
cette pause pourrait clarifier leurs obligations. Toutefois, le processus
réglementaire implique désormais une consultation du Parlement européen et du
Conseil, ce qui signifie qu'il faudrait jusqu’à 12 à 15 mois pour obtenir des
précisions. Compte tenu des difficultés rencontrées dans le passé pour discuter
de la CSRD et de la CSDDD, il est possible que ce ne ne soit pas plus facile
cette fois-ci avec de nouveaux représentants.
Pour les investisseurs,
il est important de noter que ces réglementations sont interconnectées avec des
règlements essentiels comme le SFDR et MIFID. Le SFDR fait l'objet d'une
révision en profondeur, avec de nouvelles catégories de produits financiers attendues
dans le courant de l'année et des adaptations du niveau 2 toujours en attente
des normes techniques. Comment pouvons-nous envisager de nouvelles catégories
telles que la Transition alors que les entreprises ne sont pas soumises à une
obligation annuelle de reporting sur leurs trajectoires de transition ?
En l'absence de données
ESG adéquates, fiables et opportunes, les gérants s'appuieront sur des
estimations et des données et notations ESG par des agences tiers, souvent
coûteuses. Le point d'accès unique européen (ESAP) est crucial pour les données
fournies par les entreprises. Nous avons besoin de données brutes plus
objectives et quantitatives provenant directement des entreprises, car les
notations ESG seules ne fournissent pas suffisamment d'informations aux
investisseurs pour qu'ils puissent valider les trajectoires de transition des
entreprises.
Avec la simplification
de la CSDDD, qui se concentre uniquement sur les partenaires commerciaux
directs dans la chaîne de valeur, la diligence raisonnable et le reporting
d'ici juillet 2028, comment les investisseurs peuvent-ils garantir leur devoir
fiduciaire et la conformité avec les réglementations du SFDR et de la Taxonomie
?
Vision stratégique
contre charge administrative
La question clé est de
savoir comment faire en sorte que les informations ESG soient stratégiques
plutôt que perçues comme un fardeau. Les données ESG sont essentielles pour
détecter les risques et les opportunités, comme l'identification des actifs
toxiques. En se concentrant uniquement sur les charges liées à la conformité et
au reporting, on risque de s'éloigner de l'analyse stratégique ESG. L'abandon
de la double matérialité amènerait l'Europe à se concentrer uniquement sur la
matérialité financière, en ignorant les impacts environnementaux et sociaux. La
double matérialité est essentielle pour comprendre les risques et les
opportunités à long terme.
L'ESG doit être
considéré comme une stratégie et non comme une charge de travail. Dans un monde
où les ressources sont limitées, il est peu probable que l'on puisse gérer la
pénurie sans règles. Les défis environnementaux entraîneront des défis sociaux,
ce qui compliquera la gestion. L'Europe est un vaste marché de capitaux, qui a
besoin de réglementations renforcer la souveraineté et la compétitivité et
financer la transition.
Ces réglementations
doivent s'aligner sur :
Une transparence accrue
: Des
données fiables, des prévisions améliorées et moins de surprises signifient de
meilleurs résultats.
Une orientation
stratégique :
L'ESG devrait être considérée comme une stratégie, et non comme une charge de
reporting, et devrait s'aligner sur l'International Sustainability Standards
Board afin d'éviter des exigences complexes et coûteuses.
Dans cet environnement
incertain et volatil, il est essentiel de se concentrer sur la matérialité des
questions ESG tout en maintenant les convictions d'investissement et la
performance durable. L'Europe a besoin d'investissements accrus, en équilibrant
la croissance et la durabilité. La transparence et la stabilité sont plus
importantes que jamais.
Le monde financier et celui des entreprises doivent travailler ensemble à une simplification intelligente, en revenant aux objectifs initiaux de ces réglementations tout en favorisant la croissance et la compétitivité de l'UE.