Les plastiques jouent un rôle essentiel dans des secteurs tels
que l’alimentation, la mobilité, l’habillement et la santé, apportant des
innovations majeures et des avantages pratiques. Cependant, leur recyclage
reste insuffisant, avec seulement 10% des déchets plastiques recyclés,
engendrant des risques écologiques et sanitaires considérables.
Face à cette
problématique, une gestion plus efficace de leur cycle de vie est devenue
cruciale. Le recyclage chimique, complémentaire des méthodes mécaniques
traditionnelles, représente une solution prometteuse pour traiter les
plastiques complexes. Bien que cette filière soit encore émergente, elle offre
un potentiel significatif, tant économique qu’environnemental, soutenu par des
avancées technologiques et une demande croissante sur des marchés stratégiques.
L’étude d'E-Cube Strategy Consultants examine ces enjeux, enrichie des
témoignages d’acteurs clés de la chaîne de valeur, tels que la pétrochimie, les
metteurs sur le marché, les recycleurs et les investisseurs.
Une situation critique
: chiffres et constats
• 500 millions de tonnes (Mt)/an : production
mondiale de plastiques, ayant plus que doublé depuis 2000.
• 350 Mt/an de déchets plastiques.
• 10% : part des déchets plastiques aujourd’hui
réellement recyclés.
• 20 Mt/an : quantité de plastiques rejetés
dans l’environnement chaque année.
• 2/3 des plastiques ont une durée de vie
inférieure à 5 ans, générant une croissance rapide des déchets.
La famille des plastiques recouvre une très grande diversité de produits avec ~5 300 formulations de polymères différentes. Les plastiques sont généralement mélangés entre eux, ou à d’autres matériaux pour s’adapter au mieux aux propriétés souhaitées pour leur usage final. Les plastiques sont également traités et contiennent de nombreux additifs chimiques – colorants, plastifiants, ignifugeants etc. Plus de
16 000 composés chimiques sont utilisés
dans la fabrication des plastiques, pour l’esthétisme, la durabilité ou encore
pour la maniabilité. Ces produits, souvent toxiques, sont plus ou moins
miscible au polymère, compliquant leur séparation lors du recyclage.
Ainsi, malgré une
demande croissante de matières recyclées, la capacité de recyclage reste
insuffisante. Plus de 50% des déchets plastiques sont mis en décharge et 20%
incinérés, libérant des gaz à effet de serre. Si aucune action significative
n’est entreprise, la production de déchets plastiques pourrait atteindre 800
Mt/an d’ici 2050 (source : OCDE).
Le recyclage chimique :
un levier technologique essentiel
L’Europe demeure leader
en matière d’intégration du recyclage dans sa production plastique, avec
environ 19% de ses volumes issus de matières recyclées. En 2022, plus de 30 Mt
de déchets plastiques ont été collectés en Europe et ~9 Mt ont été recyclés
mécaniquement. Si le recyclage mécanique reste la méthode dominante, il
présente des limites pour les plastiques complexes (multicouches, textiles,
additifs chimiques) et les procédés mécaniques peuvent, par leur répétition,
dégrader la structure des polymères. Le recyclage chimique offre des solutions
complémentaires, notamment pour les applications exigeant une qualité
équivalente au plastique vierge.
Technologies
principales :
• Procédés thermiques (pyrolyse) : plastique chauffé à
haute température en l'absence d'oxygène pour obtenir de l'huile de pyrolyse,
utilisée comme carburant ou pour produire à nouveau du plastique. Cette
technologie est particulièrement adaptée aux polyoléfines et polystyrènes.
• Dépolymérisation : Retour aux monomères
de base via l’utilisation de solvants ou d’enzymes.
• Dissolution : Utilisation d’un
solvant qui interagit spécifiquement avec le polymère ou avec les éléments
indésirables permettant la séparation sélective du polymère, qui peut ensuite
être réutilisé.
Principaux marchés
finaux pour le recyclage chimique :
La pyrolyse des
polyoléfines répond à une demande forte, stimulée par l'obligation d'incorporer
des matières recyclées dans les plastiques d'emballage. Inadaptés au recyclage
mécanique, ces polymères (HDPE, LDPE, PP) représentant environ 70 % des emballages
plastiques, offrent une opportunité pour le recyclage chimique,
particulièrement attractif pour les grands groupes pétrochimiques en raison de
son intégration facile aux infrastructures existantes et de la stabilité
d'approvisionnement qu'il procure.
Le recyclage chimique
ouvre également de nouvelles perspectives pour les plastiques complexes,
notamment le PET hors bouteilles, les PVC et les polyuréthanes.
• PET hors bouteilles : Ce marché, d’abord
porté par des engagements volontaires, pourrait bientôt être soumis à des
obligations réglementaires. Les applications dans les barquettes et les fibres
textiles sont particulièrement prometteuses. Le textile, qui utilise déjà une
part importante du PET recyclé des bouteilles, représente un débouché majeur
malgré sa fragmentation et sa faible capacité à absorber les surcoûts. Les
initiatives comme Textile Exchange visent un marché de 6 Mt/an d’ici 2030.
• PVC et polyuréthanes : Ces matériaux
présentent des défis techniques spécifiques (sous-produits corrosifs pour le
PVC, diversité des formulations pour les polyuréthanes), rendant le recyclage
complexe et coûteux. Bien que les volumes soient plus faibles, ces marchés de
niche offrent des opportunités pour des produits recyclés à forte valeur
ajoutée ou des intrants peu coûteux.
Un marché en
sous-capacité : opportunités et défis
Le marché européen du
recyclage chimique présente un potentiel significatif en termes de demande,
porté par les obligations réglementaires d’incorporation de matières recyclées
:
• Les volumes en jeu sont significatifs : le marché potentiel
induit par la réglementation européenne est estimé entre 0,8 et 1,5 Mt d’huile
de pyrolyse d’ici 2030 et pourrait atteindre 1,8 à 4,3 Mt d’ici 2040.
• Selon Plastics Europe, l’industrie prévoit
environ 3,4 Mt/an de résine recyclée issue du recyclage chimique d’ici à 2030.
Cependant, capacités de
recyclage chimique installées en Europe restent limitées : ~100 kt/an en 2024
pour l’huile de pyrolyse (~500kt/an estimés à 2030), loin des besoins attendus.
Le développement d’une industrie du recyclage chimique européenne reste confronté
à plusieurs défis :
• Un enjeu de compétition internationale. La production européenne de plastique recyclé mécanique a, pour la première fois, reculé en 2023, atteignant 10,3 Mt, soit une baisse de ~6% par rapport à l’année précédente. Ce déclin s’inscrit dans une tendance plus large affectant l’ensemble de la production plastique, qui a diminué de ~8% sur la même période. Cette situation s’explique principalement par la hausse des coûts énergétiques et la concurrence accrue de pays où les normes environnementales sont nettement moins strictes qu’en Europe.
• Les défis technologiques auxquels font face les
filières de recyclage chimique
- Coûts élevés : Les
investissements (CAPEX) sont estimés à environ 3 M€/t pour des technologies
comme la pyrolyse, et jusqu’à plus de 6 M€/t pour des solutions dédiées aux
plastiques PET difficiles à recycler. Ainsi, les besoins d’investissement
totaux pour 2030 sont estimés entre 10 et 15 Md€, uniquement pour la partie
recyclage. La compétitivité du recyclage chimique des plastiques dépendra de la
baisse des coûts, principalement grâce au passage à l’échelle industrielle.
L’augmentation des capacités de production permettra de réaliser des économies
d’échelle sur les CAPEX (répartition des coûts fixes sur des volumes plus
importants) et de réduire les OPEX en optimisant les processus et en négociant
de meilleurs contrats d’approvisionnement pour les intrants et l’énergie.
- Disponibilité des intrants : La
compétition pour l’accès aux déchets de qualité s’intensifie et deviendra plus
forte si les infrastructures de collecte et de tri n’évoluent pas en parallèle.
- Empreinte carbone : La
forte consommation d’énergie des procédés chimiques reste un enjeu majeur. Le
recyclage chimique des plastiques est énergivore, notamment lors des étapes
avales comme le vapocraquage et la polymérisation. Pour la pyrolyse, le
rendement matière est limité à environ 60% en raison des pertes sous forme de
gaz résiduaires et de char.
Perspectives
stratégiques pour les acteurs industriels
Clémence de Pommereau, Associate Partner, Laurine Palix, Manager, et Mathieu Genova, Consultant chez E-CUBE Strategy Consultants et co-auteurs de cette étude, soulignent que pour réussir la transition vers un modèle circulaire, « les acteurs de la filière présentent, selon leurs positionnements (pétrochimistes, plasturgistes, metteurs sur le marché, gestionnaire de déchets, recycleurs), des avantages compétitifs et des défis spécifiques (accès aux intrants, proximité des marchés finaux, actifs mobilisables etc.) pour adresser le marché du recyclage chimique. Ils devront donc collaborer de manière étroite tout au long de la chaîne de valeur afin de développer des solutions durables et des garanties, tout en optimisant la gestion de la fin de vie des matériaux. Des innovations contractuelles (sécurisation des flux et prix d’intrants à long terme), des intégrations verticales (entrées au capital, création de JV, investissements communs dans des projets), des logiques modulaires au plus près des flux de déchets, ou le ciblage de marchés à fortes contraintes réglementaires ou de niche à forte valeur ajoutée sont autant de stratégies d’acteurs dont on constate l’émergence et qui devront se développer pour permettre le passage à l’échelle du marché. Des stratégies spécifiques pour flécher les financements vers la filière devront également être mises en œuvre : les acteurs devront concevoir des thèses d’investissement et des véhicules adaptés afin de naviguer efficacement dans ce secteur en pleine évolution. »