51% des professionnels interrogés évoquent une perte de lien humain dans
une enquête inédite réalisée auprès de plus de 2 500 travailleurs du secteur
social, avec le soutien de la Fonda, l’UNAFORIS, l’UNIOPSS et la Mission Locale
de Charleville-Mézières
A l’occasion de la
journée mondiale du travail social du 18 mars, Emmaüs Connect, avec le soutien
de partenaires experts du l’action sociale et de l’insertion, publie les
résultats d’une enquête inédite pour mesurer les effets de l’accélération
numérique dans le domaine de l'action sociale et de l'insertion. Cette enquête
révèle que si le numérique a profondément transformé le secteur social, il a
entraîné une dégradation de l’accompagnement humain et une augmentation de la
part de médiation numérique subie dans ces métiers. Face à ces constats, Emmaüs
Connect livre des préconisations pour remettre le numérique au service du
travail social.
« À travers cette
étude, nous affirmons une conviction commune : le numérique, s’il est choisi et
non subi, peut devenir un levier d’inclusion. Mais cela exige une
transformation profonde de nos approches et de notre éthique, où l’humain reste
au centre des décisions et où la technologie s’aligne sur nos valeurs de
solidarité et de justice sociale », extrait de notre éditorial inter-associatif
Une remise en question
de la place de l’accompagnement humain, pourtant au cœur de l’action sociale
L’accélération des
usages numériques a des effets collatéraux profonds, dénoncés par 43% des
répondants. En particulier, une surcharge de travail administratif : reporting,
collecte de données, multiplication des démarches réalisées à la place de
l’usager… le numérique introduit des tâches supplémentaires qui empiètent sur
leur mission première d’accompagnement social.
En parallèle, la
numérisation des démarches induit une réduction des échanges en face à face
avec les usagers, ce qui est perçu comme une perte de qualité dans
l'accompagnement. « Il y a maintenant 3 personnes lors des entretiens :
l'usager, le travailleur social et l'ordinateur » selon un témoignage de
l’enquête. 51% des professionnels interrogés évoquent une perte de lien
humain. Couplée à une hausse des demandes de reporting, cette situation
entraîne selon eux une baisse structurelle du temps d’accompagnement qui
s’oppose à la promesse initiale d’un numérique simplificateur.
L’accompagnement au
numérique, une pratique qui déstabilise tous les métiers de l’aide sociale
Autre enseignement fort : si l’accompagnement numérique ne fait pas formellement partie du périmètre du travail social, 91% des répondants disent pourtant l’intégrer dans leur champ d’action quotidien.
Avec la dématérialisation des démarches et la disparition des guichets humains, les personnes accompagnées, souvent exclues ou éloignées du numérique, se tournent vers les structures sociales pour les aider. Or, 55% des répondants estiment manquer de ressources pour accompagner les publics en difficulté numérique et 38% doivent orienter ces publics vers d'autres structures.
« Les personnes
deviennent dépendantes des professionnels qui maîtrisent le numérique. Des
personnes sans difficulté de compréhension se tournent aujourd'hui vers les
services sociaux pour des difficultés d'accès aux droits », selon un témoignage
issu de l’enquête.
Les outils numériques
massivement adoptés pour optimiser organisation et communication au quotidien
Si des craintes
subsistent sur les effets collatéraux du numérique, l’étude révèle,
contrairement à une idée répandue, que 81% des professionnels répondant
affirment vivre bien ou très bien la numérisation. Une démonstration que ces
métiers sont pleinement intégrés à l’évolution des pratiques dématérialisées et
y voient de nombreux avantages pratiques : 59% estiment que cela « facilite
l’organisation », « permet de gagner du temps », « permet un meilleur accès à
l’information » ou « permet une meilleure communication entre professionnelles
». Parmi les témoignages : « La possibilité de traduire en direct,
gratuitement, grâce aux outils en ligne nous fait parfois gagner un temps
dingue ! » ; « On a vu l’arrivée de nouveau outils très efficaces ! Pour
positionner notre public sur des formations, pour collaborer en interne, pour
faire avancer rapidement des partenariats par exemple … »
Les préconisations
d'Emmaüs Connect pour un usage numérique plus respectueux de l’accompagnement
humain dans l’action sociale
Face à ces constats,
Emmaüs Connect formule plusieurs préconisations articulées autour de 3 axes
clés :
1. Accompagner et
outiller les professionnels de l’action sociale et les personnes accompagnées
dans les usages et l’accès au numérique
Alors que l’étude
montre une omniprésence des outils numériques dans leur métier, plus de 43% des
professionnels de l’action sociale interrogés estiment ne pas avoir été assez
formés sur le numérique. Il est donc essentiel de :
• Financer la formation des professionnels de
l’action sociale tout au long de leur carrière et l’équipement des structures
sociales en outils numériques,
• Intégrer plus largement les questions
numériques au programme de formation des métiers de l’action sociale, notamment
celles de “culture numérique”.
L’étude souligne
également les effets d’exclusion de plus en plus important du tout-numérique et
l’urgence à y répondre par des politiques publiques de grande ampleur :
• Déployer un plan de financement de
l’inclusion numérique de long terme permettant d’assurer la continuité des
initiatives déjà engagées (notamment le dispositif Conseillers numériques).
2. Penser le numérique au service du métier en
réduisant le temps de gestion au profit de l'accompagnement
• Réduire la quantité de données individuelles
collectées dans le cadre des démarches administratives et continuer le
développement dans une logique de “dites-le nous une fois” en vue d’alléger le
reporting ;
• Réduire la quantité de reporting exigée
auprès des professionnelles notamment dans le cadre des financements
associatifs ;
• Généraliser le versement automatique des
prestations sociales ;
• Impliquer les professionnelles de l’action
sociale dans la co-construction des outils métiers numériques de demain
3. Réhumaniser l’accompagnement et garantir des
alternatives au tout-numérique
Pour éviter que la
charge des démarches administratives d’accès aux droits se reporte sur les
professionnels de l’action sociale et de l’insertion et empiète sur son temps
d’accompagnement social, Emmaüs Connect recommande de :
• Inscrire dans la loi l’obligation de proposer
des alternatives aux démarches dématérialisées, avec un accès à un point de
contact physique et téléphonique ;
• Faire respecter le droit à ne pas recourir à
une démarche dématérialisée, conformément à l’article L.112-8 du Code des
relations entre usagers et administration ;
• Simplifier les procédures administratives,
harmoniser et adapter l’ergonomie et le design des services en ligne ;
• Prévoir des points d’accès administratifs joignables par téléphone pour les professionnelles dans la gestion et le traitement des dossiers des personnes accompagnées.