La
malédiction française ou l’art de se tirer une balle dans le pied.
L’auto-entrepreneuriat
est un excellent régime de création d’entreprises simplifié. Vouloir rabaisser
les seuils d’exonération de TVA est la fausse bonne idée malheureusement trop
classique.
Pascal Ferron,
président de Walter France et fondateur du site dédié aux auto-entrepreneurs,
MonEntrepriZ, réagit vigoureusement et explique pourquoi il faut, au contraire,
tout mettre en œuvre pour continuer à favoriser ce régime qui booste la
création d’entreprises en France.
L’auto-entrepreneuriat
est l’un des meilleurs exemples de simplification jamais créé en France depuis
des décennies et le meilleur régime tremplin de vocation entrepreneuriale
simple. Pourtant, depuis sa création, et malgré son succès jamais démenti, y compris
durant les périodes économiques les plus difficiles, il fait régulièrement
l’objet de tentatives de destruction, de complexification progressive tentant
de le rendre nettement moins attractif.
Parmi ces tentatives
heureusement avortées, citons la hausse peu argumentée des taux, le découpage
en plusieurs catégories d’auto-entrepreneurs avec des taux différents, le
nouveau dispositif du bail réel solidaire d’activité, etc. La malédiction
française consistant à détruire ce qui est simple et fonctionne parfaitement :
le syndrome de la « balle dans le pied » !
Rappelons que le régime
de l’auto-entreprise a été créé en 2008 pour encourager tous les futurs
entrepreneurs, généralement excellents dans leur métier, qui ont envie
d’entreprendre, mais qui sont des « phobiques administratifs » et qui
procrastinent devant le mur des formalités ou « bricolent » plus ou moins
légalement. Ils sont prêts à se lancer, mais avec des formalités
administratives et des contraintes extrêmement allégées. L’une des mesures
simplificatrices de ce régime concerne la franchise de TVA : en-dessous d’un
certain seuil de chiffre d’affaires, l’auto-entrepreneur ne facture pas
directement de TVA qui est incorporée à un taux global, mais ne la déduit pas
non plus, ni sur ses achats, ni sur ses investissements en équipement et en
matériel. D’ailleurs, le taux unique de prélèvement appliqué au chiffre
d’affaires inclut à la fois des charges sociales, des taxes, etc. Pour rappel,
le seuil de franchise de TVA est de 37 500 euros pour les prestations de
services, et de 85 000 euros pour les activités de négoce depuis le 1er janvier
(seuils déjà modifiés par des textes antérieurs pour application au 1er janvier
2025) et la moyenne du chiffre d’affaires annuel des auto-entrepreneurs actifs
est, selon l’Urssaf, de l’ordre de 20 000 euros en 2023.
> Les
auto-entrepreneurs sont le fer de lance de la création d’entreprises
La création
d’entreprises se porte bien en France depuis de nombreuses années. En 2024, 1,1
million de nouvelles entreprises se sont créées, soit une forte augmentation de
5,7%, avec globalement un rythme moyen mensuel de 93 000 créations, contre 74
000 avant le Covid en 2019 et 48 000 de 2011 à 2016. Les auto-entreprises, avec
716 194 créations annuelles, représentent 64,5% du nombre total de créations,
niveau proche de celui des années précédentes, en progression de plus de 7%,
alors que celle des petites entreprises individuelles classiques et en baisse
de plus de 3% ! De 2009 à nos jours, la création d’entreprises dites «
classiques » par mois n’a évolué que de 23-24 000 à 32 000, soit une
progression proche de 25%, quand celle des auto-entrepreneurs doublait presque.
|
Type d’entreprises créées en 2024 |
Pourcentage |
Auto-entrepreneurs |
716 194 |
64,5 % |
Forme sociétaire (SARL, SA, SAS…) |
284
564 |
25,6
% |
Entreprises individuelles classiques |
110
480 |
9,9
% |
Total |
1 111 238 |
100
% |
Depuis sa mise en
place, ce régime ne cesse de faire des émules. Le nombre d’auto-entrepreneurs
représente 2,7 millions d’actifs fin 2023, prouvant l’engouement récent pour
l’entrepreneuriat, n’en déplaise aux Cassandre patentées (petit rappel :
ceux qui n’ont pas réalisé de chiffre d’affaires depuis deux ans sont
automatiquement radiés. Ils sont plus de 5 millions inscrits ayant réalisé du
CA sur cette période, à rapprocher du total des 30 millions d’actifs en âge de
travailler dont 2, 3 millions de chômeurs).
Ce régime a, depuis
plusieurs années, largement acquis ses lettres de noblesse et constitue une
véritable évolution sociétale. Ce sont des jeunes qui créent leur activité
parallèlement à leurs études, des salariés qui veulent tester leur projet
d’activité et leur marché avant de se lancer, certains même conservant ce
statut par choix, et également des retraités qui valorisent ainsi leur
savoir-faire ou se font plaisir et gardent la santé en maintenant une activité.
Tous créent de la richesse et symbolisent le dynamisme entrepreneurial et ont
un critère commun : l’indépendance.
Ces auto-entrepreneurs
génèrent un chiffre d’affaires global annuel de près de 30 milliards d’euros,
et, selon l’Urssaf, progressent dans toutes les régions.
> Rabaisser les seuils : pourquoi c’est une fausse bonne idée
Certains décisionnaires
envisagent aujourd’hui de rabaisser les seuils ; l’idée émise étant un seuil
unique abaissé à 25 000 euros. C’est une spécificité française : entraver ce
qui fonctionne bien. Au fil des ans, ces fameux seuils d’exonération ont été
augmentés, justement pour favoriser ce statut et lui donner encore davantage de
souplesse. Après la dernière augmentation significative (doublement des seuils
pour l’accès au statut d’auto-entrepreneur en 2018, première Loi de Finance
suivant l’élection d’Emmanuel Macron), la croissance de leur création s’était
littéralement envolée.
Pourquoi créer une
contrainte nouvelle pour nos chers « phobiques administratifs » ? Arrêtons de
nous tirer des balles dans le pied !
Les deux arguments
prônés par les tenants de la réduction des seuils ne tiennent pas.
Le premier consiste à penser que cet abaissement permettrait à l’Etat, en récoltant la TVA, de faire rentrer beaucoup d’argent dans les caisses. Cette mesure est estimée à quelques centaines de millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires par an (400 millions selon certaines sources).
C’est sans compter sur la baisse d’activité que cette mesure entraînerait : soit une bonne partie des
250 000
auto-entrepreneurs concernés risqueraient de limiter leur chiffre d’affaires
d’eux-mêmes pour ne pas faire payer 20% de plus à leurs clients (taux de TVA en
vigueur), soit ils retourneraient dans le bon vieux cercle du paiement en cash
sous le manteau. Un entrepreneur, ça s’adapte !
Mais surtout, cela représente une goutte d’eau dans les besoins de financement de l’Etat qui,
rappelons-le, connaît un déficit de 170 milliards qui ne sera pas comblé avec des bouts de chandelle.
Les solutions réelles et avec un fort impact, tout le
monde les connaît mais aucun de ceux qui pourrait agir efficacement n’ose
bouger le petit doigt. Alors, envisager de casser le dynamisme de
l’entrepreneuriat français pour cela est une aberration totale. Si l’on veut
récupérer de l’argent, la pire idée est bien d’en trouver au détriment de la
vitalité d’entreprendre ! Heureusement, Bercy vient de réagir, en suspendant la
mesure. Mais seulement en la suspendant, pas en l’annulant : les mauvaises
idées contreproductives ont la vie dure !
Un autre argument couramment usité consiste à dire que les auto-entrepreneurs concurrencent les artisans par exemple, avec des tarifs qu’ils peuvent fixer plus bas puisque non soumis à TVA. C’est manquer totalement de pratique du terrain. Prenons l’exemple d’un jardinier auto-entrepreneur : il va faire du « petit jardinage », alors qu’une société pourra se charger des travaux plus conséquents. L’auto-entrepreneur ne peut pas recruter ; comme son nom d’origine l’indique, il travaille seul. Et lorsque son activité va grandir, il va avoir besoin d’investir, d’acheter du matériel, ou de recruter, et le calcul sera alors vite fait : pour pouvoir récupérer la TVA sur les machines achetées, il va devoir également la récolter
(la facturer), et donc passer en société !
> Priorité absolue à
la liberté et à la facilité d’entreprendre
Il n’est pas nécessaire
de produire de nombreux dessins ou graphiques complexes pour comprendre que
dans l’environnement économique actuel, la priorité absolue doit être de
favoriser, d’encourager, de financer et de booster l’entrepreneuriat sous
toutes ses formes !
Dans le paysage
économique français, les auto-entrepreneurs ont toute leur place et sont la
preuve vivante de l’enthousiasme et de l’envie d’entreprendre qui habitent nos
concitoyens. Alors arrêtons même d’envisager des mesures inefficaces et
nocives.
Pour Pascal Ferron : « Le rabaissement des seuils a été « suspendu » par nos gouvernants. Grand bien leur fasse d’y renoncer définitivement, et d’ouvrir grand, au contraire, toutes les voies qui mènent à la création d’entreprise, à la créativité, à l’innovation et à l’audace ! De grâce, motivons au lieu d’entraver ce qui est simple et fonctionne, et les résultats ne se feront pas attendre, au contraire ! »