Par Fiona
Cappelletto, Alumna de KEDGE Business School (Promo 2024), accompagnée par
Simona D’Antone, Professeure associée de Marketing à KEDGE Business School.
Alors que les soldes d’hiver battent leur plein, certaines enseignes choisissent de s’en tenir à l’écart. Leur raison ? Défendre une autre vision de la mode : la slow fashion.
Cette alternative durable à la mode jetable séduit, mais encore trop timidement. Entre préoccupations environnementales et quête de sens, le défi est clair : comment transformer cette niche en un véritable phénomène de société ?
Dans le cadre de son
mémoire de fin d’études, Fiona Cappelletto, Alumna de KEDGE Business School
(Promo 2024), accompagnée de Simona D’Antone, Professeure associée de Marketing
à KEDGE, a étudié les pratiques d’une quinzaine de marques, créateurs, fabricants,
détaillants et associations de la filière textile, engagés pour une mode lente
et ayant performé grâce à leurs modèles et leurs mécanismes. Voici les grands
axes à retenir de ce travail, mené durant un an, et ayant pour objectif
d’éclairer les freins et les leviers pour convaincre davantage de consommateurs
de rejoindre ce courant écoresponsable.
Un constat alarmant, mais des solutions en vue
Avec 4 milliards de
tonnes de gaz à effet de serre émises chaque année, le secteur de la mode
dépasse l’impact environnemental cumulé des vols internationaux et du trafic
maritime. À cela s’ajoutent des volumes de production démesurés, alimentés par
des habitudes de consommation impulsives. Ces dernières, souvent dictées par
des désirs plutôt que des besoins, sont largement encouragées par les
stratégies marketing des marques de fast fashion.
En plein essor, le
marché de la seconde main séduit de plus en plus de consommateurs grâce à des
plateformes comme Vinted, promettant de réduire ces effets néfastes. Néanmoins,
ce modèle reste imparfait et repose toujours sur des dynamiques consuméristes,
ce qui peut entraîner des effets pervers comme l’effet rebond. Par exemple,
certains consommateurs justifient une surconsommation de vêtements durables,
estimant que leurs achats "verts" compensent leurs excès.
Heureusement, une
solution prometteuse a émergé ces dernières années : la slow fashion. Cette
approche privilégie un processus plus réfléchi et durable dans la production,
l’achat, l’utilisation et la fin de vie des vêtements. Progressivement,
certains acteurs du secteur ont adapté leurs modèles pour mieux préserver les
ressources, réduire les déchets, garantir une rémunération juste des
travailleurs et faire circuler la valeur tout au long de la chaîne de
production.
Pour que ce modèle
fonctionne véritablement, le changement doit être systémique. Cela implique non
seulement une transformation des modes de production, mais aussi la
mobilisation des institutions publiques, des entreprises et, surtout, une
évolution profonde des comportements des consommateurs.
Le pouvoir des marques
dans la transition
Les marques proposant
une mode alternative jouent un rôle clé, à la fois politique et éducatif. Elles
ont la capacité de transformer le marché en ouvrant la voie vers un
approvisionnement plus éthique, des certifications élevées au rang de normes ou
encore de nouveaux outils comptables centrés sur la durabilité.
Ce rôle politique et
éducatif se concrétise par l’influence des politiques publiques et des normes
du secteur, ainsi que par une véritable reconstruction du sens de « consommer »
et du consommateur responsable. En effet, ces marques œuvrent pour redéfinir le
sens de « s’habiller », mais aussi de la production et de l’achat de vêtements
auprès des consommateurs. Par leurs produits et services, elles éduquent à la
responsabilité environnementale, remettent en question les idées reçues et
désamorcent les dynamiques consuméristes. Le marketing de ces marques prend
ainsi un sens nouveau : il ne se limite plus à une simple mise en marché, mais
s’associe à des valeurs fortes, dans le but d’influencer durablement les
comportements d’achat et de façonner le consommateur de demain.
Un exemple marquant est
celui de Loom, une marque qui propose des vêtements conçus en Europe, durables
et résistants, sans collections, promotions ni publicités. Ce modèle évite
d’inciter les clients à consommer des biens inutiles et met en avant une approche
réfléchie et responsable.
Comment y parvenir ?
Construire un
consommateur responsable est un processus de long terme, qui commence dès le
plus jeune âge par une prise de conscience des enjeux environnementaux et
sociaux de l’industrie de la mode. Cela nécessite également d’encourager des
comportements d’achat réfléchis. Toutefois, l’éducation seule ne suffit pas :
les marques doivent s’impliquer activement en proposant des alternatives
pratiques, positives et accessibles.
Pour cela, elles
doivent garantir une transparence totale sur leurs chaînes de valeur, impliquer
les consommateurs dans des initiatives collectives, et respecter la dimension
sociale et culturelle de la mode. Cela implique de répondre aux aspirations esthétiques
et identitaires de la société, tout en proposant des solutions durables.
Une piste clé consiste
à réduire le nombre de tendances et de saisons, afin de concevoir des vêtements
à forte valeur émotionnelle et durable. Proposer des pièces uniques, éloignées
des standards de la fast fashion, peut transformer l’achat en une véritable
expérience. Cela renforce le lien entre le consommateur et le créateur, tout en
cultivant ce sentiment d’appartenance souvent recherché à travers la mode.
Les marques interrogées
dans cette étude illustrent plusieurs approches concrètes pour responsabiliser
les consommateurs :
• Les technologies
numériques,
comme les applications d’aide à la décision ou les scores environnementaux,
permettent d’éclairer leurs choix.
• Les outils
collaboratifs,
tels que les questionnaires ou la précommande, permettent d’intégrer les
consommateurs dans les processus de design, afin de garantir des productions
adaptées à leurs besoins réels.
• Des discours positifs
et déculpabilisants,
qui valorisent les bénéfices d’une consommation raisonnée, sont essentiels pour
embarquer les consommateurs dans cette transition.
En prônant une consommation plus responsable, respectueuse de l’environnement et des travailleurs, ces initiatives ouvrent la voie à une réinvention de la mode et de ses pratiques. Alors que les soldes continuent d’éduquer et de façonner des générations de sur-consommateurs, une question se pose : les marques de slow fashion, grandes absentes de ces périodes promotionnelles, ne devraient-elles pas imaginer d’autres moments forts, plus éthiques, pour nous réapprendre à consommer autrement ?