À
l’heure où l’Union européenne bénéficie d’une forte intégration financière et
d’une monnaie unique, le recours à des politiques monétaires accommodantes
paraît souvent la voie la plus sûre pour soutenir la croissance. Pourtant, une
étude menée par trois chercheurs, dont Messaoud Chibane et Gabriel
Giménez-Roche, enseignants-chercheurs à NEOMA Business School, alerte sur les
effets secondaires de cette abondance de crédits distribués à des conditions
trop avantageuses. Ces conditions alimenteraient la formation de bulles
boursières susceptibles d’éclater et, en raison de l’interdépendance des
marchés, de provoquer des krachs à répétition dans plusieurs pays de la zone
euro.
Des placements faussés par la facilité du crédit
Lorsque le crédit coule
à flots, les décisions d’investissement s’éloignent des fondamentaux
économiques. Les banques, moins regardantes, financent des projets de longue
durée, incertains et peu productifs, tandis que les entreprises favorisent le
rachat d’actions plutôt que le développement de capacités industrielles. Ce
phénomène de « malinvestissement » est identifié par les chercheurs comme une
conséquence directe du contexte monétaire. « Lorsque les taux sont
artificiellement maintenus à un niveau très bas, la perception du risque se
brouille, expliquent les chercheurs. Les agents économiques s’engagent
alors dans des stratégies qui gonflent la valorisation des marchés, sans
création de valeur solide en retour ».
L’effet domino sur les
grandes places boursières européennes
Les travaux des
chercheurs ont porté sur cinq économies phares de la zone euro (Allemagne,
France, Italie, Espagne, Pays-Bas) entre 2002 et 2022. Leurs résultats révèlent
que plus la probabilité de krach augmente, plus les places boursières de ces
pays se synchronisent, rendant la diversification géographique moins efficace. «
Un krach localisé n’est plus un simple accident isolé : il peut se propager
rapidement aux autres marchés, créant une réaction en chaîne. Au sein d’une
union monétaire intégrée, le moindre choc sur une grande place boursière menace
l’équilibre financier de l’ensemble de la zone », mettent en garde les
chercheurs.
Agir en amont pour
limiter les dégâts
Pour éviter que la situation ne dégénère, les chercheurs préconisent la mise en place d’un outil permettant d’évaluer la probabilité de krach à l’avance, afin de resserrer temporairement les conditions de crédit lorsque le risque grimpe. Cette approche préventive permettrait de couper l’herbe sous le pied des bulles spéculatives avant qu’elles n’éclatent. « L’idée est d’agir au bon moment, précisent les chercheurs. En freinant la création de crédit dès que les indicateurs virent à l’orange, on prévient la formation de bulles trop fragiles et on protège les marchés d’une contagion incontrôlée. » Plus largement, cette étude rappelle aux autorités monétaires, aux régulateurs et aux investisseurs la nécessité de surveiller les effets à long terme des politiques de soutien. Dans une Europe où tout est lié, anticiper vaut mieux que panser les plaies laissées par des krachs à répétition.