Le
dispositif de l’apport cession permet à un entrepreneur de réduire l’impact
fiscal de la vente de son entreprise.
Claire
Muller et Frédéric Thienpont, juristes Fiscalité & Patrimoine au sein de
Walter France, expliquent ici les conditions qui doivent être respectées, et
les autres avantages qui découlent de ce choix stratégique.
L’apport
cession est un dispositif très prisé à l’heure actuelle. De nombreux dirigeants
s’orientent vers cette solution lorsqu’ils veulent céder leur entreprise, afin
de maximiser le produit de la vente ou dans une optique de transmission. Dans
ce cadre, le législateur a mis en place des dispositifs spécifiques - report ou
sursis d’imposition de la plus-value – dans l’objectif d’inciter les chefs
d’entreprise à réinvestir dans des activités opérationnelles, l’objectif étant
de soutenir et de dynamiser l’économie du pays.
> Qu’est-ce que l’apport cession ?
Les
titres d’une société d’exploitation sont apportés à une société dite “holding”.
En échange, l’apporteur (le propriétaire de la société d’exploitation) reçoit
des titres de la nouvelle société. Celui-ci devient donc associé de la holding
et seulement indirectement, de la société d’exploitation. A partir de ce
moment, c’est la holding qui détient l’intégralité des titres de la société
d’exploitation et qui en est l’associée unique
(en cas d’apport à 100% des
titres de la société d’exploitation).
> Attention à bien étudier chaque étape
Dans le
cas d’une holding créée spécifiquement pour recevoir les titres de la société
d’exploitation, il conviendra d’étudier avec soin les différentes étapes.
Avant
de démarrer :
valider la faisabilité. Est-il possible d’apporter les titres de la société
d’exploitation ? Y a-t-il une clause d’agrément ou de préemption ? Existe-t-il
un pacte d’associés ? Est-il possible d’apporter à une personne morale ?
Valider ensuite que c’est le bon moment pour céder-apporter et vérifier que ce
montage est le plus approprié : l’apporteur a-t-il envie de réinvestir ? Le
dispositif d’exonération de plus-value lié à l’apport-cession ne va-t-il pas le
priver d’autres dispositifs, comme par exemple les exonérations liées au départ
à la retraite ?
Evaluer
la société d’exploitation au juste prix. Eviter les sur- ou les sous-évaluations. Le
rapport d’un commissaire aux apports sera exigé, sauf pour les sociétés
civiles. Attention : l’évaluation de la société aura un impact sur la
plus-value.
Constituer la société holding : un contrat d’apport des titres de la société d’exploitation doit être rédigé et il convient d’apporter la plus grande attention aux statuts. Par exemple, une date de clôture des comptes identique à celle de la société d’exploitation pourra permettre d’appliquer une intégration fiscale. Et surtout, si cette opération est effectuée dans l’objectif d’une succession, bien étudier les agréments et les clauses de démembrement.
Attention également : la forme
sociale de la holding (SAS, SARL, Société civile) aura un impact sur le statut
social du dirigeant, la fiscalité et les obligations déclaratives.
Tous ces
choix auront des incidences sur la succession, notamment si ce dispositif
s’articule, le cas échéant, avec un pacte Dutreil.
Une fois
la holding créée, le dirigeant devra veiller à bien respecter toutes les
formalités : option à l’IS, attestations, déclarations diverses et variées… Le non-respect
des obligations pourra faire annuler l’exonération de plus-value.
>
Les cas de report ou de sursis de la plus-value
Il
existe deux dispositifs fiscaux spécifiques : soit le report, soit le sursis
d’imposition de la plus-value. Si le dirigeant de la holding en détient le
contrôle suite à l’apport, la plus-value va être en report. S’il n’est pas
majoritaire, la plus-value va être en sursis. Pour l’administration fiscale, il
existe une présomption de contrôle si le dirigeant détient au moins un tiers de
la holding et qu’aucun autre associé n’en détient davantage. Autre condition :
la holding doit être soumise à l’impôt sur les sociétés.
En cas
de report de la plus-value :
L’apport
doit être réalisé en France, dans un État membre de l’Union européenne ou dans
un État ou un territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale
contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la
fraude et l'évasion fiscales. La plus-value est calculée, figée et déclarée
mais le paiement est différé/reporté à la réalisation d’un événement à venir
(cession, annulation des titres, etc.). La fiscalité qui s’applique est donc
l’assiette et le taux du jour de l’apport. Les règles sont connues, le
dirigeant sait ce qu’il devra payer. Cela peut être intéressant dans le sens où
la fiscalité a tendance à augmenter…
En cas
de sursis de la plus-value :
La
plus-value sera calculée et payée lors de la réalisation d’un événement à venir
(cession, annulation des titres, etc.) aux conditions applicables à ce
moment-là. La fiscalité qui s’appliquera sera l’assiette et le taux du jour de
l’événement mettant fin au sursis. Les règles sont donc inconnues.
>
Exemples pour les différents cas de figure
Prenons
l’exemple d’un dirigeant qui a créé sa société il y a plus dix ans avec un
capital modique, et dont la valorisation se monte aujourd’hui à 1 M€.
Cession
sans apport préalable. Dans ce cas, la plus-value est égale à 1 M€. Le dirigeant
paiera 128 000€ d’impôt sur le revenu, 172 000€ de prélèvements
sociaux et 40 000€ de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
Lorsqu’il aura tout payé, il disposera de 660 000€ à titre personnel.
Apport
puis cession dans les trois années suivantes. Dans ce cas, la plus-value est égale à
zéro puisque la holding revend les titres au prix qu’elle a reçu. Avec un même
prix de cession de 1 M€, l’obligation de réinvestissement est de 600 000€.
La somme intégralement disponible se monte à 400 000€. Le dirigeant
dispose d’un million de trésorerie au sein de la holding, mais il doit
réinvestir 60%.
Apport
puis cession après le délai de trois ans. La plus-value est toujours égale à zéro
puisque la holding, comme dans le cas précédent, revend les titres au prix
qu’elle a reçu. En revanche, il n’y a plus d’obligation de réinvestir. Le
dirigeant dispose d’un million de trésorerie qu’il est libre d’utiliser comme
il le souhaite.
Prise
de valeur entre l’apport et la cession. En prenant le même exemple, mais avec une
revente à
1,5 M€, la fiscalité s’élève à 15 000€ (la plus-value de 500 000€
dans la holding bénéficie d’un régime spécifique permettant une imposition
réduite de l’ordre de 3%). Il n’existe là non plus aucune obligation de
réinvestissement ; la somme de 1 485 000€ est intégralement disponible.
Récapitulatif
>
Cession dans les trois ans : les conditions du maintien du report de plus-value
Si la
holding revend les titres apportés dans les trois ans, la holding doit
réinvestir 60% du prix de cession. Mais attention, ce réinvestissement est très
encadré. Le plus important à retenir est que la holding doit réinvestir la
partie concernée du prix de cession dans une activité commerciale,
industrielle, artisanale, agricole, libérale ou financière. L’objectif du
législateur étant de nourrir l’activité économique, les activités de gestion du
patrimoine mobilier ou immobilier sont donc exclues.
Cette
exclusion est susceptible d’être renforcée dans un avenir proche, un amendement
au projet de loi pour 2025 a été déposé en ce sens, exposant clairement : «
Les activités de gestion de tout bien immobilier ou société immobilière ou de
prestation hôtelière au sens de l’article 251 D du code général des impôts sont
également exclues du bénéfice de cette dérogation (…). »
Le
réinvestissement doit intervenir dans les deux ans, et doit durer un an
minimum, voire cinq ans pour les parts ou actions de fonds type FCPR (fonds
commun de placement à risque), ou FPCI (fonds professionnels de capital
investissement).
Il est
possible de réinvestir dans une holding animatrice mais attention, là encore, à
bien vérifier qu’elle ait une véritable activité commerciale.
>
Comment réinvestir ?
La
holding peut :
-
financer des moyens permanents d’exploitation affectés à son activité
(matériels…) ;
-
acquérir des titres d’une société opérationnelle ou d’une holding animatrice.
Cette acquisition doit conférer le contrôle de la société opérationnelle en lui
permettant soit de détenir la majorité des droits de vote ou des droits sur les
bénéfices, soit d’exercer le pouvoir de décision ;
-
souscrire au capital d’une société opérationnelle ou d’une holding animatrice
en numéraire au capital initial ou lors d’une augmentation de capital, sans
condition liée au contrôle de cette société ;
-
souscrire des parts de capital investissement (FCPR, FPCI, SCR, SLP), à
condition que le fonds détienne au moins 75 % de sociétés opérationnelles,
>
Sur quel support réinvestir ?
Il est
permis et même conseillé de placer son argent sur plusieurs supports distincts
afin de limiter les risques. Le dirigeant peut réinvestir :
- dans
une société commerciale d’un tiers, en respectant bien les conditions décrites
plus haut. Attention, car si les conditions d’éligibilité ne sont pas remplies,
le report de plus-value tombe. Une durée de dix ans est conseillée, et les
rendements sont très fluctuants ;
- en
prenant une participation dans des sociétés non cotées via des fonds
spécialisés de private equity (FCPR, FPCI) pour financer leur croissance ou
leur restructuration. Dans ce cas, une société de gestion gère les fonds et
évite d’y consacrer du temps. Il faut généralement attendre cinq à dix ans
avant de récupérer en capital à la fin. Il est possible de choisir le secteur
dans lequel on peut réinvestir. Le rendement peut aller jusqu’à être supérieur
à 10% par an. Attention, il est obligatoire que le FCPR investisse au moins 75%
dans des sociétés non cotées, sinon le report de plus-value tombe et le
dirigeant perd le bénéfice de l’apport-cession ;
- dans
un Club Deal Immobilier (5-6 ans), souvent par le biais d’un FCPI, qui peut
rapporter autour de 7% par an. Plusieurs investisseurs prennent part au projet
et achètent un bien rare en commun (un hôtel, un immeuble…) pour le rénover
puis le revendre, par exemple.
>
Les conséquences des changements de situation
Plusieurs
cas de figure peuvent se présenter.
- Si le
dirigeant déménage hors de France, la plus-value est immédiatement due.
- S’il
décède, la plus-value en report est purgée définitivement. Les héritiers
n’auront jamais à la payer.
- S’il
transmet la holding dans le cadre d’une donation, la plus-value en report est
purgée si les donataires conservent les titres cinq voire dix ans après la
donation. Sinon, les donataires (enfants) devront payer 100 % de la plus-value
en report en lieu et place du donateur.
- S’il
échange les titres de la holding : maintien du report initial et, le cas
échéant, des reports successifs, quel que soit le nombre d'opérations réalisées
dans le cadre des dispositions de l'article 150-0 B ter du CGI (qui réglemente
le dispositif d’apport-cession).
- S’il
vend la holding qui détient la société de participation (par cession, rachat,
annulation des titres par réduction de capital, etc.) : la plus-value est
immédiatement due.
En cas
de vente de la société d’exploitation par la holding, tout dépend si la vente a
lieu avant ou après une durée de trois ans.
- Avant
la fin de la 3ème année de l’apport, le report est maintenu si 60 % du prix de
cession est réinvesti dans une « activité économique ». Il n'est mis fin au
report d'imposition qu'à proportion des titres cédés, rachetés, remboursés ou
annulés.
- Après
la fin de la 3ème année de l’apport, le report est maintenu tant que les
évènements précédents n’interviennent pas (cession holding, donation, décès,
expatriation).
Si la
holding ne vend qu’une partie de sa société d’exploitation, ce n’est que sur
cette partie qu’il doit réinvestir. Par exemple, s’il vend 60%, les 40%
restants resteront toujours en report d’imposition.
>
Si les conditions ne sont pas respectées…. il faut payer la plus-value !
Si le
dirigeant ne respecte pas les conditions de réinvestissement de 60%, la
plus-value est immédiatement due, avec des intérêts de retard (0,2% par mois)
décomptés à partir du jour de l’apport des titres.
Si le
FCPR/FPCI dans lequel il a investi ne remplit pas la condition de 75%
d’investissements éligibles, la plus-value est due si cette condition n’est pas
remplie au terme des 5 ans de placement.
Une
attention toute particulière doit être portée aux obligations déclaratives.
Celles-ci sont nombreuses, à toutes les étapes : l’année de l’apport
(constitution de la holding), pendant le report, et l’année de fin de report.
Elles doivent être réalisées, selon les obligations, par le donateur et par le
donataire. En cas de non-respect, ils risquent une amende de 150€ par
déclaration non effectuée, et surtout la perte du bénéfice du report
d’imposition.
>
Un exemple de préconisation
Toujours
dans l’hypothèse d’une valorisation de la société d’exploitation à un million
d’euros, une bonne solution peut être, pour le dirigeant, de conserver 20% de
cette société en direct, et d’apporter 80% à la holding.
Les 20%
(200 000€) permettent d’obtenir 140 000€ (après paiement de la flat
tax de 30%) libre de réinvestissement, sur son compte bancaire personnel.
Les 80%
(800 000€) permettent de diminuer le montant des 60% de réinvestissement
dans une « activité économique » (480 000€ au lieu de 600 000€) et
d’optimiser la plus-value sur les 40% libre de réinvestissement (320 000€ au
lieu de 400 000€).
Cette
solution permet de s’acquitter de ses dettes personnelles et/ou de concrétiser
un projet personnel en évitant la frustration de ne pas pouvoir utiliser les
fruits de cette vente. Elle permet également de créer des revenus
complémentaires en direct (dividendes) et non au sein de la holding pour ne pas
tout encapsuler.
>
Avantages et inconvénients de l’apport-cession en synthèse
-
Obligation de réemploi de 60% du prix de cession en cas de cession dans les
trois premières années après l’apport.
- Le
produit de cession est encapsulé au sein de la holding à l’IS : une fiscalité
sera due en cas de distribution de dividendes ou de réduction de capital (30%).
- Perte
du bénéfice de l’abattement de 500 000€ pour départ à la retraite.
-
Administratif : gestion de deux comptabilités, deux approbations des comptes
avec les coûts que cela engendre.
Mais :
- Le
dirigeant conserve 100% du prix de cession et peut réinvestir l’intégralité,
sans fiscalité, afin de se créer des revenus complémentaires.
- Il peut
démarrer sa transmission successorale et préparer sa retraite.
- Les
placements éligibles pour réinvestir sont très diversifiés et rémunérateurs,
bien qu’ils ne doivent pas représenter l’ensemble du patrimoine placé.
Les
conclusions de
- Frédéric
Thienpont :
« L’apport-cession peut être un outil de transmission très intéressant si on
anticipe bien l’opération, et qu’on peut dépasser les trois ans pour éviter
l’obligation de réinvestissement. »
- Claire Muller : « Attention à bien respecter l’obligation de réinvestir dans une activité commerciale et pas dans l’immobilier. Et attention également à respecter toutes les obligations déclaratives durant toute la durée de l’opération. »