Par Cyril
Brégou, Associé au sein de People Base CBM, cabinet de conseil en stratégie et
politique de rémunération.
Dans un monde où les
inégalités économiques occupent une place centrale dans les débats publics, la
question des rémunérations des dirigeants d’entreprise, en particulier celles
des sociétés cotées, reste un sujet de controverse. Ces packages impressionnants,
même s’ils semblent justifiés par les performances financières et la complexité
des responsabilités qui reposent sur les épaules de leurs bénéficiaires, sont
la plupart du temps « dictés » par le marché (tant en termes de montants que de
nature des dispositifs proposés). Une question se pose alors : le marché a-t-il
toujours raison ?
Une rémunération au
sommet : état des lieux
Prenons les entreprises
du CAC 40, l’élite boursière française. Selon une étude du cabinet, les
dirigeants de ces sociétés cotées ont perçu en 2023, une rémunération moyenne
de plusieurs millions d’euros
(à 7 474 649€ très exactement), dont un salaire
fixe moyen à 1 300 841€, un bonus annuel à 1 763 514€ et des actions de
performance à 4 032 207€. Ces chiffres, bien qu’impressionnants, masquent
toutefois d'importants écarts entre des PDG emblématiques et d'autres moins en
vue. L’étude indique par exemples des écarts très significatifs sur les
salaires fixes (d’environ 1 à 4 entre les moins bien et les mieux rémunérés) et
des amplitudes pouvant aller jusqu’à 44 millions d’euros pour les rémunérations
à long terme notamment (actions de performance) !
Les arguments du marché
: performance ou déconnexion ?
Tout cela repose sur
une logique : attirer les meilleurs talents et les inciter à maximiser la
valeur pour les actionnaires. Mais cette justification est-elle toujours
légitime ?
Les défenseurs de ces
niveaux de rémunération avancent que le marché agit de manière rationnelle. La
gestion d’une multinationale exige des compétences rares, une vision
stratégique globale et une capacité à naviguer dans un environnement économique
complexe. En ce sens, les niveaux de rémunération reflètent simplement la loi
de l’offre et de la demande. Mais on est en droit de s’interroger quand, entre
2006 et 2023, l’indice du CAC 40 a progressé de 35% alors que la rémunération
des Dirigeants augmentait quant à elle de plus de 50% !
Par ailleurs, une
critique fréquente réside dans la déconnexion apparente entre ces rémunérations
et les réalités économiques du reste de la population. En 2023, l’écart moyen
entre la rémunération d’un dirigeant du CAC 40 et celle d’un salarié moyen au sein
des mêmes entreprises dépassait 140 fois. Ce fossé, difficile à ignorer,
suscite un malaise croissant, notamment dans un contexte d’inflation et de
crise sociale.
Une autre question
pourrait se poser : si les dirigeants de ces entreprises étaient tous rémunérés
du manière proche (disons pour l’exemple à 3,5 millions d’euros afin de
parvenir à un ratio d’équité médian de l’ordre de 45 et non de 90 comme
aujourd’hui), auraient-elles des difficultés à recruter de bons profils ? Les
performances de ces sociétés seraient-elles moins bonnes ? A méditer…
Une pression
grandissante : ESG et gouvernance
Les investisseurs
eux-mêmes s'interrogent. L’essor des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et
de Gouvernance) a entraîné une surveillance accrue des rémunérations. Les
actionnaires institutionnels n’hésitent plus à voter contre des packages jugés
excessifs ou mal alignés sur la performance réelle de l’entreprise.
Vers un modèle plus
équitable ?
Alors, comment répondre
à cette question délicate si le marché continue de dicter les rémunérations des
dirigeants ? Il semble évident qu’une forme de régulation doive s’imposer,
notamment grâce à un travail plus approfondi des administrateurs et des comités
des rémunérations. Cela pourrait passer par :
• Une plus grande ambition dans le choix
(nature et niveau) des critères de performance.
• Un meilleur alignement de ces derniers avec
la stratégie de l’entreprise.
• Un meilleur contrôle, voire un plafonnement
des écarts salariaux dans les entreprises.
• Une intégration renforcée des enjeux
sociétaux dans les décisions de gouvernance.
Les niveaux de rémunération des dirigeants ne sont pas qu’une question économique : ils sont le miroir des valeurs de notre société. Si le marché a ses propres logiques, celles-ci doivent désormais composer avec des attentes croissantes en matière d’éthique, de transparence et de justice. Le défi consiste à trouver un équilibre entre attirer les meilleurs talents et maintenir la légitimité sociale de ces entreprises. Une équation complexe, mais essentielle pour l’avenir.