Par Barthelemy de
Badts, consultant RH chez Factorial
L'entretien annuel
d'évaluation, autrefois considéré comme un pilier des Ressources Humaines, est
aujourd'hui de plus en plus critiqué et parfois même abandonné par certaines
entreprises. Longtemps perçu comme un moment clé pour évaluer les performances
des collaborateurs et discuter de leurs perspectives de développement, cet
exercice, qui n'est pas obligatoire contrairement à l'entretien professionnel se révèle
souvent inefficace et anxiogène, autant pour les évaluateurs que pour les
évalués. Les critiques portent principalement sur son caractère obsolète, les
biais qui influencent les évaluations, ainsi que la confusion des objectifs
poursuivis par cette pratique. Dans ce contexte, de nouvelles approches
émergent pour offrir un suivi plus adapté et constructif aux employés.
Les limites de
l'entretien annuel d'évaluation
L'une des principales
limites de l'entretien annuel réside dans la confusion des genres entre
évaluation de la performance et développement des compétences. Ces deux
objectifs, bien que nécessaires, sont difficilement conciliables au sein d'un
même entretien. En effet, l'idée de faire évoluer un collaborateur tout en
l’évaluant crée une tension qui nuit à la sincérité et à l'ouverture des
échanges. Les collaborateurs hésitent souvent à aborder leurs difficultés ou à
demander de l'aide, de peur que cela ait des répercussions négatives sur leur
carrière ou leur rémunération.
Par ailleurs,
l'entretien annuel souffre également de nombreux biais qui impactent
l'objectivité des évaluations. Les biais cognitifs, tels que le favoritisme
envers des personnes qui ressemblent au manager ou les stéréotypes de genre,
faussent souvent les jugements. De plus, la mémoire sélective du manager et
l'influence de facteurs contextuels, comme son humeur du jour, rendent
l'évaluation subjective et imprécise. Des études
auraient montré que les femmes, bien qu'ayant de meilleures performances, sont
souvent sous-estimées en termes de potentiel par rapport à leurs collègues
masculins, soulignant l'importance de remettre en question la pertinence des
évaluations basées sur des impressions personnelles.
Pour couronner le tout,
l'entretien annuel, en se concentrant sur des performances passées et non sur
des objectifs continus, favorise une approche rétrospective et peu
constructive. Il tend à réduire les échanges à un exercice formel dénué de
sens, davantage perçu comme une corvée administrative qu'un véritable outil de
développement. Cela expliquerait en partie pourquoi de nombreuses entreprises
envisagent de supprimer ce rituel au profit de solutions plus régulières et
axées sur l'amélioration continue.
Quelles alternatives à
l'entretien annuel d'évaluation ?
Face aux limites de
l'entretien annuel, des alternatives se mettent en place pour répondre aux
besoins des entreprises et des collaborateurs de manière plus adaptée. La
dissociation entre le suivi RH et l'évaluation opérationnelle en est un
exemple. Certaines entreprises ont choisi de mettre en place des « points
RH » réguliers, qui sont consacrés exclusivement aux préoccupations
personnelles et au bien-être des employés, sans aborder directement les
questions de performance. Ces échanges permettent de maintenir un dialogue
ouvert et d'identifier les problèmes potentiels sans pression, tout en
favorisant un climat de confiance.
Une alternative qui se
développe est le feedback continu. Contrairement à l'entretien annuel,
qui se concentre sur une évaluation ponctuelle, le feedback continu vise
à offrir des retours réguliers tout au long de l'année, permettant ainsi une
correction des comportements et une amélioration des performances en temps
réel. Certaines entreprises ont adopté des séances de feedback 360°, où
le collaborateur reçoit des retours de ses pairs ainsi que de ses supérieurs,
afin de co-construire un plan de développement plus précis et adapté. Ce type
de démarche favorise une dynamique d'apprentissage collectif, tout en évitant
les effets de surprise négatifs souvent associés aux entretiens annuels.
Enfin, le concept du keeper
test, inspiré des pratiques de Netflix, propose une approche radicalement
différente en posant directement la question suivante : « Si je devais
quitter l'entreprise demain, est-ce que tu te battrais pour me retenir
? ». Cette méthode mensuelle vise à encourager une franchise totale
entre le manager et le collaborateur. Bien que cette approche puisse s'avérer
efficace pour éviter les situations de stagnation, elle nécessite une culture
d'entreprise fondée sur la transparence et la bienveillance, sans quoi elle
risque de devenir une source d'angoisse supplémentaire avec un jeu de pouvoir
contre-productif entre l’entreprise et le salarié.
Vers une culture du
feedback et de la reconnaissance continue
Au-delà des solutions
mentionnées, il apparaît nécessaire de promouvoir une culture du feedback
régulier et de la reconnaissance continue au sein des entreprises. Les
collaborateurs sont de plus en plus mobiles, et le besoin de reconnaissance est
une attente forte qui ne peut plus être satisfaite par un simple entretien
annuel. La mise en place de points de rencontre réguliers, tels que des
échanges en tête-à-tête hebdomadaires ou mensuels, permet d'aborder l'ensemble
des aspects du travail et de créer des opportunités d'évolution en temps réel.
Cette culture du feedback continu permet également d'éviter les ressentiments qui peuvent s'accumuler lorsque les problèmes ne sont pas adressés rapidement. La transparence et l'authenticité deviennent des éléments clés pour renforcer l'engagement et la satisfaction des employés. La pratique des « retours sur expérience », qui se tiennent peu de temps après la fin d'un projet, est également une approche efficace pour permettre aux équipes de s'améliorer continuellement.
Toutefois, il est
nécessaire de former les managers et les collaborateurs à l'art du feedback.
Les entreprises qui réussissent à instaurer une communication bienveillante
parviennent à tirer le meilleur potentiel de leurs équipes, tout en créant un
environnement de travail favorable à l'épanouissement de chacun. Pour ce faire,
des formations sur la communication, ainsi que l'adoption de principes tels que
les accords toltèques, peuvent être des outils précieux.
L'entretien annuel d'évaluation, tel qu'il est pratiqué depuis des décennies, montre aujourd'hui ses limites dans un monde du travail en pleine mutation. Souvent perçu comme anxiogène et déconnecté des réalités quotidiennes des collaborateurs, il tend à être remplacé par des pratiques plus régulières, axées sur le développement personnel et la reconnaissance continue. Dissocier les points RH du suivi opérationnel, instaurer une culture du feedback régulier et s'assurer que chaque collaborateur se sente écouté et valorisé sont des enjeux majeurs pour les entreprises qui souhaitent fidéliser leurs talents et les accompagner dans leur développement. En adoptant ces nouvelles pratiques, les entreprises pourront construire des relations de travail plus authentiques et collaboratives, propices à la performance et à l'épanouissement.