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[Tribune] Le règlement DORA, adopté en conseil des ministres le 15 octobre dernier, rentrera en application le 17 janvier 2025

Par Julie Jacob, avocate experte en RGPD, data, IA, cyber et propriété intellectuelle.

 

La transformation numérique du secteur financier, déjà largement entamée, a été catalysée par la pandémie et les exigences croissantes des consommateurs. Mais cette numérisation accélérée n’est pas exempte de défis majeurs : cyberattaques sophistiquées, dépendance technologique accrue, et complexité des systèmes interconnectés.


Dans ce contexte, le Digital Operational Resilience Act (DORA), adopté par l’Union européenne, marque un tournant réglementaire essentiel pour le secteur financier. Plus qu’un cadre technique, DORA pose des questions juridiques fondamentales sur la gestion des risques numériques et la responsabilité des acteurs face aux nouvelles obligations.

 

DORA : Une régulation nécessaire et ambitieuse

 

DORA s’inscrit dans une volonté de l’Union européenne d’harmoniser les normes en matière de gestion des risques liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce règlement, qui deviendra pleinement applicable en janvier 2025, s’adresse à une vaste palette d’acteurs : banques, compagnies d’assurance, sociétés de gestion d’actifs, et même prestataires de services TIC. Il impose des obligations strictes dans cinq domaines clés : gestion des risques TIC, notification des incidents, tests de résilience, surveillance des prestataires de services TIC, et partage d’informations en cybersécurité.

 

L’objectif premier de ce Règlement est le renforcement de la résilience opérationnelle numérique, qui désigne la capacité d'une organisation à continuer d'offrir ses services malgré des perturbations liées à des incidents technologiques, informatiques ou des cyberattaques, et de protéger les infrastructures et populations européennes.

Si l’objectif est louable, il pose également des défis juridiques inédits. DORA ne se contente pas de demander aux entreprises de se protéger : il leur impose une transparence accrue, une rigueur organisationnelle, et une gestion proactive des tiers, le tout sous la supervision d’autorités européennes aux pouvoirs renforcés.

 

Un renforcement des responsabilités juridiques

 

L’un des aspects les plus marquants de DORA réside dans la responsabilité accrue des organes de direction des entités concernées. Ces derniers doivent non seulement valider les politiques de gestion des risques liés aux TIC, mais aussi superviser activement leur mise en œuvre. Le règlement exige également une formation continue des dirigeants sur ces enjeux techniques, plaçant de facto la cybersécurité et la résilience numérique au cœur des préoccupations stratégiques.

 

D’un point de vue juridique, cela soulève plusieurs questions :

 

- Quelle est l’étendue exacte de la responsabilité des dirigeants en cas de non-conformité ou d’incident majeur ?


- Comment articuler cette responsabilité avec celle des prestataires de services TIC, souvent impliqués dans la chaîne de valeur numérique ?

 

Les entreprises devront intégrer ces nouvelles exigences dans leurs politiques internes et leurs contrats. En particulier, les clauses avec les prestataires devront être revues pour inclure des garanties de conformité à DORA, des mécanismes de reporting, et des obligations de coopération en cas d’incident.

 

Des convergences avec le RGPD et d’autres réglementations

 

DORA ne fonctionne pas dans un vide réglementaire. Il s’inscrit dans un écosystème juridique où d’autres textes comme le RGPD (Règlement général sur la protection des données) jouent déjà un rôle central. Si le RGPD se concentre sur la protection des données personnelles, DORA élargit la perspective en ciblant la continuité opérationnelle et la sécurité des infrastructures.

 

Les interactions entre ces deux régulations sont nombreuses. Par exemple, un incident TIC peut impliquer une violation de données personnelles, nécessitant une double notification : à l’autorité compétente sous DORA et à l’autorité de protection des données sous le RGPD. Cette situation met en lumière la nécessité pour les entreprises de coordonner leurs efforts de conformité et de se doter de mécanismes de gouvernance unifiés.

 

En parallèle, les exigences de DORA rappellent celles d’autres initiatives européennes, telles que la directive NIS2 sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information. Une approche cohérente est donc indispensable pour éviter les doublons et maximiser l’efficacité des investissements en cybersécurité.

 

Une opportunité pour l’innovation contractuelle

 

DORA offre également une occasion de repenser les pratiques contractuelles dans le secteur financier. En imposant une surveillance accrue des prestataires tiers, il invite à la création de contrats plus équilibrés et transparents. Ces derniers devront intégrer des clauses précises sur la sécurité des données, les responsabilités en cas d’incident, et les modalités de résiliation en cas de non-conformité.

 

À terme, cela pourrait encourager la création de standards contractuels européens, créant un terrain stable propice à faciliter la négociation entre les acteurs financiers et leurs prestataires tout en renforçant la sécurité juridique au sein de l’espace européen.

 

Les prestataires de services TIC, souvent des géants technologiques, devront accepter de nouvelles formes de contrôle et de reporting. Cela pourrait redéfinir l’équilibre des pouvoirs entre les acteurs financiers et leurs partenaires technologiques. Pour les entreprises européennes, cela constitue également une opportunité de valoriser des fournisseurs locaux, potentiellement plus réactifs et alignés sur les exigences réglementaires européennes.

 

Anticiper pour mieux se conformer

 

La date limite de mise en conformité - janvier 2025 - peut sembler lointaine, mais le chantier est vaste. Les entreprises devront effectuer une analyse d’impact juridique et organisationnelle pour identifier les écarts entre leur situation actuelle et les exigences de DORA. Cette démarche passera par :

 

- L’audit du SI et des pratiques de gestion des risques TIC.

- La cartographie des prestataires TIC et la mise à jour des contrats avec ces derniers.

- La surveillance et l’évaluation régulière des prestataires critiques pour assurer leur conformité et la vôtre.

- La formation des équipes juridiques et techniques.

- La mise en place de mécanismes de reporting et de gestion des incidents.

- La mise à jour des politiques et documentations relatives à la sécurité (PSSI, PCA, PRA, etc.)

 

L’approche proactive sera ici la clé. Les entreprises qui anticiperont leur mise en conformité pourront non seulement éviter des sanctions potentielles, mais aussi tirer parti de DORA comme un levier de compétitivité. En renforçant leur résilience numérique et en inspirant confiance à leurs clients, elles se positionneront comme des leaders dans un marché en mutation.

 

Un cadre pour une résilience juridique et technique

 

DORA représente une avancée majeure pour la résilience numérique du secteur financier, mais il ne doit pas être perçu comme une contrainte.

 

C’est une opportunité pour repenser la gestion des risques numériques sous un prisme juridique, où la conformité devient un levier stratégique.

 

Pour les acteurs concernés, l’enjeu sera de naviguer dans cette complexité réglementaire avec agilité et pragmatisme. Avec DORA, l’Union européenne envoie un message clair : la sécurité numérique n’est pas seulement une question technique, mais un impératif stratégique et juridique. À l’heure où les menaces cybernétiques ne cessent de croître, c’est une révolution nécessaire, et peut-être salutaire.

 

Bien que le règlement DORA soit d’application directe dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, la France a initié une adaptation législative par le biais de la loi dite "Résilience", présentée en Conseil des ministres le 15 octobre 2024. Cette loi introduit certaines spécificités dans le cadre de l’application nationale du règlement, notamment en matière de sanctions. Le texte prévoit en effet un montant maximum d’amende pouvant atteindre 2% du chiffre d’affaires annuel mondial ou 10 millions d’euros, le montant le plus élevé étant retenu.

 

Cette transposition vise également à préciser les modalités pratiques de mise en œuvre de DORA sur le territoire français, en renforçant notamment la coordination entre les autorités nationales compétentes et les entreprises assujetties.

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