Éric Houdet, Fondateur de
Homapi, explore ici cette mutation profonde.
Alors que
l'intelligence artificielle transforme nos sociétés, une réalité troublante se
dessine : loin de combler les écarts, l'IA risque d'élargir encore le fossé
entre ceux qui possèdent le savoir et les outils de demain, et les autres. Le
paradoxe est flagrant : alors même que l'on parle de démocratisation de la
connaissance, l'accès aux technologies avancées reste l'apanage de
quelques-uns. Derrière l'illusion d'une IA au service de tous, c'est un pouvoir
concentré qui se consolide, entre les mains de ceux capables de maîtriser cette
révolution.
Depuis des décennies,
la société française s'est structurée autour de ses élites, formées par des
institutions prestigieuses et occupant des postes clés dans la politique,
l'économie et la culture. Le prestige et l'influence de ces élites, issues de
formations d'excellence, reposaient sur un socle de savoir et de maîtrise, un
privilège d'accès à l'information et aux institutions. Mais aujourd'hui, face à
une révolution technologique sans précédent, les cartes sont rebattues, et le
pouvoir des élites traditionnelles est questionné. Est-ce la fin des élites en
France ?
Historiquement, le
propre des élites françaises résidait dans leur capacité à apprendre, analyser
et réciter mieux que les autres. Cette élite, formée aux méthodes académiques
les plus rigoureuses, se distinguait par une maîtrise de connaissances approfondies
et une aptitude à manier les concepts avec aisance. Un parcours balisé par les
grandes écoles comme l'ENA ou Polytechnique leur assurait une reconnaissance
sociale et une légitimité indiscutée. Mais à l’heure de l’intelligence
artificielle, cette prérogative s’effrite. Avec des outils de plus en plus
performants, capables de synthétiser, d’analyser et de créer des contenus
complexes en quelques secondes, ce savoir encyclopédique et cette capacité à
structurer l’information ne sont plus l’apanage d’une élite.
Cependant, si
l'intelligence artificielle semble rendre le savoir plus accessible, elle ne
démocratise pas réellement le pouvoir qu'elle confère. L'utilisation efficace
de l’IA exige un accès privilégié aux données, aux technologies de pointe et
aux compétences pour les exploiter, ce qui creuse davantage l'écart entre les
initiés et le reste de la population. Ce phénomène n’est pas sans rappeler
l’univers des cryptomonnaies, où seuls les initiés, armés de connaissances
techniques et de réseaux spécialisés, sont parvenus à tirer profit de la
révolution numérique. Dans le domaine des cryptoactifs, ce sont les premiers
acteurs et les mieux informés qui ont amassé des fortunes et gagné en
influence, tandis que la majorité reste en dehors de ce monde opaque et souvent
complexe. De la même manière, ceux qui maîtrisent l’IA et ses enjeux deviennent
des élites technologiques, tandis que le reste de la société peine à accéder à
cette nouvelle forme de pouvoir.
Cette redistribution des cartes permet aux figures issues de parcours moins traditionnels de s’imposer. Dans les domaines de la technologie, de l’entrepreneuriat et même de l’activisme social, de nouveaux types de leadership émergent. La légitimité de ces nouveaux leaders repose sur leurs compétences en matière d’innovation, d’adaptation rapide et de connexion avec la réalité des défis contemporains.
Aujourd’hui, les jeunes entrepreneurs, les experts en IA, les influenceurs et
les militants écologistes peuvent mobiliser des foules et influencer l’opinion
publique avec une efficacité que les élites traditionnelles peinent parfois à
égaler. Leur force réside dans leur capacité à maîtriser des outils modernes, à
s’adapter aux évolutions technologiques et à répondre aux attentes d'une
société en mutation.
Par ailleurs, cette
évolution expose aussi un enjeu de légitimité : si les compétences cognitives
des machines égalent ou dépassent celles des élites traditionnelles, qu’est-ce
qui justifie encore le monopole des anciennes élites ? Ce bouleversement soulève
des questions d’inégalité face aux nouvelles technologies et d’accès au savoir.
Il nous force à redéfinir ce que signifie « être élite » dans une société où
l’intelligence artificielle rebat les cartes de l'influence.
La France se trouve à
un tournant :
accepter que les compétences des leaders ne reposent plus sur une accumulation
de savoir, mais sur une capacité d’agilité et d’innovation. Cette
reconfiguration du pouvoir et de la légitimité pourrait ouvrir la voie à une
société plus inclusive, où chacun aurait l’opportunité de devenir un acteur du
changement. Les élites d’aujourd’hui sont en voie de transformation, et de
nouvelles voix s’élèvent pour incarner l’avenir de la France.
Loin d’annoncer une fin des élites, l’essor de l’IA ouvre plutôt un nouveau chapitre, où l’élitisme traditionnel laisse place à une nouvelle forme de leadership, fondée sur l’adaptabilité, l’ouverture et une capacité à se réinventer face aux défis d'un monde en perpétuel mouvement. C’est cette mutation, et non une fin, qui redéfinit le visage des élites en France pour les décennies à venir.