À l’heure où la retraite recule et les
carrières s’allongent, les entreprises ont-elles vraiment pris conscience de la
valeur de leur « capital seniors » ?
La réforme des
retraites de 2023, longuement débattue, a mis en lumière le sujet de la place
des seniors en entreprise et de la gestion de leur carrière. Les partenaires
sociaux négocient actuellement un accord sur ce sujet qui cristallise plusieurs
enjeux économiques et sociaux : vieillissement de la population active,
transmission des savoirs, adaptation des compétences dans un monde qui évolue
très rapidement, engagement des salariés, coopération intergénérationnelle ou
encore santé au travail.
Alors que le taux
d’emploi des plus de 60 ans reste nettement en retrait par rapport aux tranches
d’âges plus jeunes, les entreprises sont toujours à la recherche de compétences
et le seront de plus en plus avec le vieillissement de la population active.
Quelles pistes de
solutions pour résoudre ce paradoxe ?
Dans leur ouvrage «
Le Capital seniors » qui vient de paraître, Florence Bonnevay et
Pierre-Emmanuel Médioni de la chaire Futurs de l’industrie et du travail de
Mines Paris-PSL montrent qu’il reste beaucoup à faire pour prolonger la vie
active des seniors engagés et en bonne santé. Face à une situation souvent grippée,
les auteurs nous livrent le fruit de leurs recherches et de leur enquête de
terrain dans diverses entreprises qui innovent sur ce sujet. Ils proposent 5
axes essentiels pour créer une dynamique inclusive favorable à tous les
salariés.
1/ Lutter contre les
discriminations liées à l’âge
Alors que l’expertise
des seniors est une chance pour l’entreprise et un atout pour garder le
leadership dans des secteurs pointus notamment à haute valeur ajoutée, il faut
faire bouger les lignes, en luttant contre les discriminations liées à l’âge,
qui restent parmi les plus importantes et les moins conscientisées dans les
entreprises. Les chiffres sont éloquents : 45% des recruteurs et 74% des DRH
ont encore pour consigne de privilégier les jeunes dans leurs recrutements
(source étude Grant Alexander 2023), pointe Florence Bonnevay.
2/ Favoriser la
transmission des compétences et ouvrir la voie de l’entreprise apprenante
Former demeure
essentiel pour soutenir l’employabilité à long terme, car les compétences
deviennent plus rapidement obsolètes avec les nouvelles technologies. Or, on
constate dans toutes les catégories socio-professionnelles une baisse de la
formation après 45 ans. La transmission et la pérennité des compétences et des
savoir-faire constitue ainsi un des enjeux majeurs des organisations. Le
mentorat et le tutorat des plus jeunes par les seniors contribuent précisément
à transmettre à la fois des compétences, les process et les valeurs de
l’entreprise, tout en favorisant un dialogue intergénérationnel.
L’entreprise NGE, par
exemple, a créé une formation certifiante de tuteurs avec un agréement de la
Fédération Nationale des Travaux Publics pour valoriser ses collaborateurs qui
s’engagent dans cette voie du tutorat et du mentorat. Par cette nouvelle orientation,
l’entreprise incarne une nouvelle vision de la formation, celle de l’entreprise
apprenante tout au long de la vie.
3/ Personnaliser
l’accompagnement des seniors
C’est la démarche menée
par Schneider Electric qui a identifié 4 persona de seniors, chacun avec des
objectifs différents de poursuite de carrière : continuer, transmettre,
accélérer, préparer son départ, auxquels correspondent différents types
d’accompagnement. Le but est de
déconstruire l’idée qu’il n’y aurait qu’un seul type de senior, celui qui
attend la retraite. Or les envies et besoins sont multiples. Cette approche
personnalisée vise ainsi à faciliter la réflexion des seniors sur leur
prochaine étape professionnelle et à mettre en avant les ressources de
développement associées.
4/ Réinventer les
trajectoires professionnelles et adapter l’organisation du travail
Pour ne pas faire du
management la seule voie pour « faire carrière », c’est le modèle unique de
gestion des carrières qui est à repenser, insistent les auteurs, en créant par
exemple des filières « experts » et
« gestion de projets », comme l’ont mis en œuvre
Framatome, Michelin et Schneider Electric. En effet, les carrières ne sont plus
linéaires : il faut imaginer plusieurs temps de vie professionnelle et
repenser l’organisation du travail dans l’entreprise. Avec l’avancée en âge, il
est essentiel d’adapter les postes à l’usure physique professionnelle et de
lutter contre la lassitude psychologique. C’est ce que propose Osmaïa,
spécialiste de l’aménagement et de la gestion des espaces verts pour les
seniors sur des métiers très opérationnels.
5/ Mesurer pour mieux
piloter ses ressources humaines et valoriser « le capital seniors »
Enfin, dans le contexte
du report de l’âge légal de la retraite, il avait été envisagé de mettre en
place un Index Senior. Même si cette option a pour l’instant été abandonnée, il
est dans l’intérêt de chaque entreprise de connaitre ses chiffres-clés en
matière d’emploi, de formation, de promotion, de recrutement et de gestion de
carrière des travailleurs expérimentés. À ce titre, les auteurs signalent
l’initiative lancée par la Fédération Seniors Force Plus qui a mis au point le
Senior Score. L’enquête de cette association montre que beaucoup de chemin
reste à parcourir dans les entreprises du CAC 40 pour mettre en place des
politiques adaptées à cet enjeu.
Selon Florence Bonnevay : « Pour que chaque personne puisse trouver sa juste place dans l’entreprise, quel que soit son âge, et mettre à profit ses talents, son expérience et sa singularité, l’adaptation des rythmes de travail, la flexibilisation des organisations et le travail par missions apparaissent essentiels. En ce sens, la culture managériale doit évoluer en associant davantage les collaborateurs. Enfin, la politique de l’inclusion des seniors doit être portée au plus haut niveau de la direction d’entreprise qui doit impulser une véritable politique de l’emploi intergénérationnel. »