Un nouveau rapport réalisé par Karolina Koc-Michalska, professeure à Audencia, et des collègues de 18 autres universités, explore l'adoption et l'utilisation des médias sociaux et des médias alternatifs sur le continent européen, ainsi qu’aux États-Unis.
À moins d’une semaine
des élections américaines du 5 novembre, la course entre Kamala Harris et
Donald Trump a atteint son paroxysme. Les prédictions alimentent des débats
intenses, et les médias - en particulier les médias sociaux - jouent un rôle
important dans l'orientation du soutien du public. Les plateformes des deux
côtés du fossé politique amplifient leurs messages grâce à un contenu ciblé
visant à influencer les électeurs indécis.
Elon Musk, souvent
critiqué pour avoir diffusé de la désinformation sur sa plateforme X
(anciennement Twitter), qui compte plus de 200 millions d'utilisateurs actifs
quotidiens, soutient activement Donald Trump. Musk a versé 75 millions de
dollars de sa fortune de 242 milliards de dollars à l'America PAC, son comité
d'action politique au cours de l'été pour soutenir le candidat républicain et,
plus récemment, il s'est engagé à donner un million de dollars par jour aux
électeurs qui signeront la pétition de son comité d'action politique soutenant
la Constitution,
À l’approche des
élections, la lutte pour capter l’attention de l’électorat s’intensifie, avec
les médias alternatifs sur les plateformes numériques jouant un rôle plus
influent que jamais, capables de façonner l’histoire, pour le meilleur ou pour
le pire.
Pour analyser ce
phénomène, Karolina Koc-Michalska, professeure à Audencia, et ses collègues de
18 autres universités ont exploré l'adoption et l'usage des médias sociaux et
alternatifs en Europe et aux États-Unis. Leur étude a donné lieu à la publication d'un
rapport intitulé « Unconventional Voices: Alternative Media Trends in Europe
and the US ».
L'ère numérique a vu
naître une pléthore de nouveaux médias alternatifs, parallèlement aux médias
traditionnels.
Ceux-ci sont particulièrement florissants aujourd'hui, grâce aux plateformes de
médias sociaux telles que Facebook, TikTok, X/Twitter ou YouTube, qui diffusent
leur contenu directement et efficacement à leurs utilisateurs, pour une
fraction de l'investissement financier des médias traditionnels. Bien que
nombre de ces médias alternatifs contribuent à un pluralisme médiatique sain, à
une meilleure représentation des communautés et à une réflexion critique plus
poussée, certains d'entre eux sont malheureusement actifs dans la diffusion de
désinformation et de faux récits.
La recherche, menée
sous l'égide de THREATPIE (THREATs and potentials of a changing Political
Information Environment), un projet financé par l'UE qui examine comment les
changements actuels dans les environnements d'information politique affectent
les conditions d'une démocratie saine, comprenait deux études distinctes : une
enquête sur l'utilisation des médias alternatifs dans 18 pays en 2022, et une
analyse de contenu axée sur les stratégies de communication employées par des
médias alternatifs sélectionnés sur Facebook et X/Twitter en 2021 et 2023. Au
total, 26 000 personnes ont été interrogées dans 18 pays.
Synthèse des résultats par pays
• L’étude sur les
utilisateurs de médias alternatifs :
Les chercheurs ont
découvert que dans les pays étudiés, 42% des personnes interrogées déclaraient
utiliser des médias alternatifs. En Grèce, en Roumanie et en Espagne, les
médias non traditionnels semblent plus populaires, avec 60% de la population
déclarant les utiliser. C'est en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni que
les médias alternatifs sont les moins populaires, avec seulement 25% des
personnes interrogées dans ces pays qui déclarent les utiliser. Il est à noter
qu'une grande partie des consommateurs de médias alternatifs s'engagent à la
fois dans des médias de gauche et de droite. En outre, les utilisateurs de
médias alternatifs, dont l'âge moyen est de 40 ans, ont tendance à être plus
jeunes que leurs homologues non utilisateurs, dont l'âge moyen est de 43 ans.
Cette tendance se vérifie dans la grande majorité des pays étudiés, à
l'exception de la République tchèque et de la Grèce.
En termes d'orientation
politique, les utilisateurs de médias alternatifs affichent une tendance aux
idéologies de droite par rapport aux non-utilisateurs, une tendance qui se
vérifie dans la majorité des pays étudiés. Et même dans les cas où les utilisateurs
penchent à gauche par rapport aux non-utilisateurs, comme en Belgique, en
République tchèque, en Allemagne, en Grèce et en France, la différence
d'orientation politique entre les deux groupes reste très faible.
• L’étude sur les
utilisateurs de médias sociaux :
Les chercheurs ont
découvert que Facebook et Facebook Messenger sont largement utilisés dans la
majorité des 18 pays étudiés, tandis que Telegram est le service le moins
populaire. Ils ont notamment observé d'importantes disparités entre les pays en
ce qui concerne les préférences en matière de plateformes. Par exemple, les
pays germanophones affichent un enthousiasme moindre pour Facebook et Facebook
Messenger par rapport au reste de l'échantillon. À l'inverse, WhatsApp est
moins utilisé dans les pays nordiques.
Dans l'ensemble, les
utilisateurs féminins dominent la démographie de Facebook, de même qu'une
cohorte plus jeune montrant un intérêt politique accru. De même, les
utilisateurs de X/Twitter reflètent de nombreuses caractéristiques des
utilisateurs de Facebook, bien qu'ici la répartition des sexes soit légèrement
plus équilibrée.
Les performances des
médias alternatifs sur Facebook et Twitter
Le contenu diffusé par
les sources alternatives et les individus comprend principalement des liens
vers des sites externes, accompagnés de messages succincts de type graffiti. On
note également une préférence pour les messages comportant des éléments visuels
tels que des photos ou des vidéos. D'un point de vue stylistique, les messages
contenant des questions rhétoriques ont tendance à susciter le plus
d'engagement de la part des utilisateurs, tandis que les émojis sont peu
utilisés.
En ce qui concerne les
sujets, dans l'ensemble, les discussions autour des institutions politiques, de
la pandémie de Covid-19 et des questions d'ordre public ont dominé le discours
sur les médias sociaux en 2021. Toutefois, en 2023, la guerre en Ukraine est
devenue le sujet le plus fréquemment abordé.
Qu’en est-il en France
?
En France, 43 % des
personnes interrogées utilisent des médias alternatifs et leur âge moyen est de
41 ans. L’enquête montre qu’en 2021, les médias alternatifs se sont
principalement concentrés sur la pandémie, sans surprise au regard de la crise
mondiale de la santé au cours de cette période donnée. Une attention
particulière a été portée également sur la politique, souvent en lien avec la
crise du Covid.
En revanche, le paysage
médiatique s’est considérablement transformé en 2023 : si
l’actualité politique reste un thème important avec les tensions géopolitiques
découlant de l'invasion russe en l'Ukraine en 2022, les chercheurs ont constaté
une augmentation notable de l'attention portée au travail, aux pensions, au
gouvernement, ce qui indique un changement dans les préoccupations sociétales.
Cela reflète bien les tensions et les controverses autour de l'adoption par le
gouvernement de sa réforme des retraites. En 2023, les réseaux sociaux les plus
populaires selon l'étude étaient Facebook, Youtube et Facebook Messenger.
Et aux Etats-Unis ?
Aux États-Unis, 41% des
personnes interrogées utilisent des médias alternatifs et leur âge moyen est de
38,7 ans. L'enquête montre qu'en 2021, les discussions au sein des médias
alternatifs américains portaient principalement sur deux sujets : la politique
nationale et la pandémie de Covid-19. En outre, les tribunaux et l'IVG étaient
mentionnés (bien que la décision Dobbs sur le droit à l’IVG n'ait fait surface
qu'en 2022), et l'accent était mis sur le mode de vie et les choix
alimentaires, avec des termes tels que
« vegan », « cheese » et « dairy-free »
(sans produits laitiers) apparaissant fréquemment.
En 2023, le discours
s'est considérablement modifié, l'attention se portant essentiellement sur Joe
Biden, Donald Trump et le parti républicain. D'autres personnalités telles que
Ron DeSantis et Tucker Carlson ont également gagné en importance, peut-être en
raison de la candidature de DeSantis à l'élection présidentielle et du départ
de Carlson de Fox News. Une différence notable par rapport à 2021 est
l'émergence de la criminalité et de l'immigration en tant que groupes de sujets
importants en 2023, avec des mots-clés tels que « police », « tirer », « arrestation
», « accusation », « loi », « frontière » et
« migrant » devenant proéminents
dans les discussions. En 2023, la source de médias alternatifs la plus
populaire de l'étude, tant sur Facebook que sur X/Twitter, comprenait
OccupyDemocrats, Breitbart News et DailyCaller.
La professeure
Koc-Michalska conclut : « Notre étude est la première enquête paneuropéenne et
américaine sur les médias alternatifs, qui offre une perspective distincte sur
leur utilisation au sein de la population et sur les sujets d'intérêt. Ces
canaux, qui manquent souvent de processus rigoureux de vérification des faits
ou de mécanismes de contrôle, ont pourtant acquis une immense popularité, en
particulier lors d'événements à forte connotation politique comme les
élections. Cette influence leur confère une grande capacité à façonner l'opinion
publique et, dans certains cas, à semer la discorde.
À quelques semaines des
élections américaines, le rôle des médias alternatifs dans l'amplification de
la désinformation est plus prononcé que jamais. Il est donc impératif de rester
vigilant. Cette enquête fournit des instantanés nationaux précis et constitue
un outil de référence utile pour aider à lutter contre la diffusion et l'impact
d'informations déformées, en particulier dans des moments cruciaux tels que les
cycles électoraux ».