Par Cyril Brégou, associé fondateur du cabinet de
conseil en rémunération et politique salariale People Base CBM.
Les rémunérations des
dirigeants des grandes entreprises sont souvent critiquées, particulièrement en
période de crise. Mais au-delà des montants impressionnants, ces packages
sont-ils réellement un moteur de performance pour les entreprises, ou participent-ils
à creuser les déséquilibres sociaux internes ?
La rémunération des
dirigeants d’entreprises du CAC 40, souvent mise en lumière par les médias,
polarise les opinions. Avec des packages de plusieurs millions d’euros, ces PDG
et directeurs généraux suscitent à la fois fascination et incompréhension voire
mépris. Mais que cachent réellement ces montants ? La rémunération des hauts
dirigeants est-elle un simple moyen de retenir les talents dans un monde où la
concurrence est féroce, ou bien cette surenchère salariale participe-t-elle à
creuser les inégalités au sein même des entreprises ? En pleine réflexion sur
l'avenir du travail et les attentes sociétales, la question de la juste
rémunération des dirigeants n’a jamais été aussi pertinente.
Un modèle fondé sur la
concurrence internationale
Les packages salariaux
des dirigeants sont souvent justifiés par la nécessité d’attirer et de retenir
les talents à l’échelle internationale. Les entreprises du CAC 40, aux
activités mondiales, sont en concurrence directe avec d’autres géants,
notamment américains et asiatiques, où les rémunérations des dirigeants peuvent
atteindre des sommes encore plus élevées. Dans ce contexte, offrir des
rémunérations élevées devient un impératif stratégique pour éviter une fuite
des talents vers des marchés plus rémunérateurs. Mais cette logique de
rémunération par la compétition internationale, bien qu'elle ait du sens,
comporte des effets pervers. Elle pousse les entreprises à surenchérir sans
cesse, créant une inflation salariale au sommet sans réelle considération pour
la performance concrète. Ce modèle, où le salaire fixe est souvent faible en
proportion par rapport aux rémunérations variables et à long terme, encourage
des comportements de court-termisme, où les décisions sont prises pour
maximiser la performance boursière plutôt que pour assurer la pérennité de
l’entreprise sur le long terme, à contrario de la plupart des groupes familiaux
pour lesquels la notion de performance à court terme est moins présente. En
effet, afin d’assurer leur pérennité sur les générations futures, ces
entreprises privilégient les investissements à long terme à la rentabilité
immédiate. Ce mode de fonctionnement les rend moins sensibles aux aléas
conjoncturels.
Une focalisation
excessive sur les performances à court terme ?
La rémunération
variable, qu’elle soit annuelle ou long terme, représente désormais la majeure
partie des packages des dirigeants. Si cette approche peut sembler justifiée,
car elle repose sur la performance, elle n’est pas sans risque. En liant une
partie significative des revenus des dirigeants aux résultats financiers de
l’entreprise, on encourage une prise de décision focalisée sur des gains
rapides, au détriment d’investissements structurels et de la durabilité. Cette
orientation vers le court terme peut, à première vue, satisfaire les
actionnaires. Mais elle pose de véritables problèmes lorsque les entreprises
traversent des périodes de crise ou doivent effectuer des virages stratégiques.
Ainsi, cette course aux résultats immédiats, encouragée par des bonus
conséquents, peut amener à négliger des aspects essentiels comme l’innovation,
la gestion des talents ou encore l’anticipation des risques. Ce modèle de
rémunération, en apparence incitatif, pourrait finalement nuire à la solidité à
long terme des entreprises.
La question de l’équité
interne : un enjeu majeur pour la cohésion sociale
La principale critique
à l’encontre des rémunérations des dirigeants concerne l’écart grandissant avec
celles des employés. Les ratios d’équité, mesurant le fossé entre les salaires
des dirigeants et ceux des salariés, révèlent des disparités vertigineuses.
Certains PDG du CAC 40 perçoivent des salaires annuels représentant des
centaines d’années de rémunération pour leurs employés. Cette réalité, surtout
en période d’incertitude économique, alimente un sentiment d’injustice sociale.
Or, la cohésion interne d’une entreprise est aujourd’hui un facteur clé de
succès. Les salariés, confrontés à l’augmentation du coût de la vie, à la
stagnation de leurs salaires, ou encore à des réformes qui remettent en cause
leur sécurité de l'emploi, observent avec scepticisme les niveaux de
rémunération de leurs dirigeants. Cette déconnexion entre le sommet et la base
peut saper l’engagement des équipes, leur motivation, et in fine, leur
productivité. L’enjeu pour les entreprises est donc de trouver un modèle de
rémunération plus équitable, qui favorise une cohésion interne nécessaire à
leur compétitivité.
La rémunération des
dirigeants est devenue un véritable champ de bataille entre des exigences de
compétitivité internationale, une logique de performance financière à court
terme, et des attentes croissantes en matière de justice sociale. Les
entreprises du CAC 40 ne peuvent plus ignorer ces tensions. Si attirer des
talents est essentiel, il est désormais impératif de repenser ces modèles pour
éviter les déséquilibres internes qui menacent la cohésion et la stabilité des
organisations.
Les entreprises doivent se tourner vers des modèles de rémunération plus équilibrés, qui intègrent non seulement des critères financiers, mais également des indicateurs de long terme tels que la durabilité et l’impact social. Des réformes comme l’intégration renforcée des critères ESG dans la rémunération des dirigeants montrent la voie, mais elles ne suffisent pas. Il est temps de réconcilier performance économique et responsabilité sociale au sein de la gouvernance des grandes entreprises.