Par Nicolas DESHAYES, Administrateur Judiciaire Associés chez SELARL AJASSOCIES
A la lumière du récent Rapport de Monsieur Dominique BRAYE, Président de l’Agence Nationale de l’Habitat (ANAH) intitulé « Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés – une priorité des politiques de l’habitat », il apparaît utile d’évoquer le rôle de l’administrateur judiciaire dans les missions d’administration provisoire de copropriétés défaillantes.
Lorsqu’il rencontre des difficultés, financières ou d’autre nature, le syndicat de copropriétaires ne peut pas faire constater son état de cessation des paiements et ne peut donc pas demander à bénéficier d’une procédure collective de Sauvegarde ou de Redressement ou de Liquidation judiciaires, comme le pourrait une entreprise commerciale.
Pour autant, cela ne signifie pas que l’on soit dépourvu de toute solution !
Les « quartiers en difficulté » des grands centres urbains sont devenus un sujet sensible et politique. Parce qu’il touche directement à la notion d’ordre public et qu’il concerne les conditions de vie des individus avant tout, ce sujet est au coeur des préoccupations des pouvoirs publics et ce, au-delà de la simple sphère locale, l’enjeu relevant directement d’une réflexion politique nationale, voire européenne.
Les questions comme la paupérisation de la population dans certaines zones urbaines, la modification de la typologie des résidents, entre propriétaires occupants et propriétaires bailleurs au sein d’une même copropriété, le vieillissement et la rénovation de l’habitat, contrairement à une idée reçue, ne sont pas la conséquence des difficultés d’une copropriété mais en sont les causes directes (parmi d’autres bien sûr).
En effet, il ne faut pas occulter le fait que la situation financière d’un syndicat (donc d’une copropriété) est avant tout le reflet de la situation de solvabilité des copropriétaires qui le composent. Et c’est cette réalité qui explique que l’on ne peut pas traiter les difficultés d’un syndicat de copropriétaire indépendamment des difficultés des copropriétaires eux-mêmes.
La dégradation de la situation financière d’un syndicat apparaît au travers de plusieurs facteurs ; le plus souvent, il s’agira de la conjonction de situations financières personnelles difficiles de copropriétaires, d’une problématique de gouvernance au sein de la copropriété et de l’incapacité du syndic en place à prendre les bonnes décisions et les mesures conservatoires qui s’imposent.
En effet, le syndic doit, dans les cas les plus fréquents, faire face au blocage de certains copropriétaires « mauvais payeurs » qui neutralisent le processus décisionnel en n’approuvant pas les comptes par exemple. Faute d’approbation, le syndic ne peut plus valablement recouvrer les charges de copropriété et les fonds qui permettent d’assurer la couverture des dépenses quotidiennes de la copropriété ne « rentrent » plus.
Plus l’état de la copropriété est dégradé, plus le niveau des charges augmente, plus les copropriétaires sont en difficulté pour les payer, plus le retard auprès des fournisseurs de services de première nécessité s’amplifie… c’est un cercle vicieux. Si on ajoute à cela, l’amertume des propriétaires de bonne foi qui se retrouvent à payer pour les « mauvais payeurs », vous obtenez un cocktail explosif.
Face à cette situation, le législateur a créé un dispositif destiné à améliorer le fonctionnement de copropriétés dégradées et le rétablissement de leur fonctionnement normal. Il s’agit du recours à l’Administrateur Provisoire, lequel sera « naturellement » désigné parmi les administrateurs judiciaires.
En effet, les administrateurs judiciaires sont des auxiliaires de justice qui assument par essence des missions délicates exigeant un savoir-faire spécifique et une approche « sociale ». L’administrateur judiciaire a d’ores et déjà la culture de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises ; il est, par conséquent, un acteur naturel en matière de copropriétés en difficulté, même si cela implique une connaissance spécifique du domaine juridique.
Dans quels cas un administrateur judiciaire intervient-il dans une copropriété en difficulté ?
Cette procédure vise soit l’équilibre financier du syndicat gravement compromis (risque financier) ou son incapacité à pourvoir à la conservation de l’immeuble (risque physique – lui-même conséquence d’une problématique juridique ou technique), soit les deux à la fois, le second étant souvent la conséquence du premier.
Quelles sont les missions et les tâches qu’il peut accomplir ?
L’administrateur détient dans tous les cas les pouvoirs du syndic, et peut se voir confier par le juge, selon les particularités du dossier, tout ou partie des pouvoirs du conseil syndical et de l’assemblée générale. Dans ce dernier cas, le plus fréquent, l’administrateur prend seul les décisions.
En pratique, il agira en concertation avec les membres du conseil syndical ou de l’ex conseil syndical et les pouvoirs publics (préfecture, mairie, ANAH, ANRU) le cas échéant, notamment si la copropriété fait l’objet d’un Plan de Sauvegarde ou est située dans un périmètre d’interventionnisme public plus vaste de type OPAH (Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat) ou PRI (Plan de Restauration Immobilière).
Il peut donc approuver seul les comptes et engager tous travaux destinés à assurer le redressement « physique » de la copropriété. La mission de l’administrateur est de mener un redressement efficace et pérenne de la copropriété et d’assurer l’apaisement social. Cela passe nécessairement par la garantie d’une totale indépendance et transparence du professionnel.
Quelles mesures peut-il préconiser lorsque l’équilibre financier de la copropriété est compromis ?
L’administrateur reprendra les comptes de la copropriété, souvent mal tenus, voire pas tenus du tout, depuis plusieurs années, les arrêtera et appellera les charges correspondantes auprès des copropriétaires. Dans les faits, cela se traduira par des appels de trésorerie significatifs pour les copropriétaires, souvent non anticipés par ces derniers.
L’objectif est d’assurer une pédagogie suffisante pour éviter les incompréhensions, sources de refus pour certains copropriétaires de régler leurs charges.
Il procède également au recouvrement des charges impayées par tous moyens. Bien entendu, les procédures de recouvrement sont particulièrement impopulaires. Néanmoins, l’important étant de « faire rentrer l’argent », l’administrateur aura qualité, une fois titré, pour convenir de modalités de règlement appropriées aux capacités des débiteurs de bonne foi.
Enfin, lorsque les pouvoirs du conseil syndical lui sont conférés, l’Administrateur sera l’interlocuteur représentatif de la copropriété dans le cadre de la mise en oeuvre d’un Plan de Sauvegarde ou tout autre projet de redéveloppement urbain.
L’administrateur judiciaire peut-il prévenir certaines difficultés rencontrées par les copropriétés ?
La prévention des difficultés est au coeur des préoccupations de l’administrateur judiciaire. Un recours à ses compétences, plus en amont, dans l’élaboration et la mise en oeuvre de schémas complexes visant à améliorer l’habitat (PDS, création de syndicats secondaires, scissions de copropriétés, remembrement fonciers …), constitue un atout certain, sans coût supplémentaire pour la copropriété, les honoraires d’intervention étant, en règle générale, équivalents à ceux pratiqués par l’ancien syndic.
Enfin, le recours au Mandat ad hoc prévu par les articles 29-1 a) et b) et instauré par la Loi du 25 mars 2009 amendant l’art. 29-1 de la loi du 10 juillet 1965, doit plus souvent être réservé aux administrateurs judiciaires (ce qui n’est pas le principe à ce jour, cette fonction étant plutôt attribuée à d’autres opérateurs privés), afin de leur permettre d’acquérir la connaissance du dossier le plus tôt possible et d’améliorer les chances de succès du rétablissement du syndicat concerné.