Par Isabelle Saladin, Présidente d’I&S Adviser
Si la dynamique du marché joue en faveur d’une relance des opérations de fusion-acquisition, leur succès en termes de création de valeur demande d’éviter un certain nombre d’écueils persistants. Faire un check-up, travailler sa structuration opérationnelle et miser sur le copilotage par un « have-it-done » aident à les éviter.
Les M&A connaissent
un regain depuis 6 mois. 2023 s’était avérée particulièrement morose du fait
entre autres de la cherté du financement, de l’allongement des délais de
décision ou encore de la difficulté des acheteurs et vendeurs à aligner leurs
intérêts. Mais le vent tourne.
Les chiffres récemment
publiés révèlent que le marché français est particulièrement actif : au premier trimestre
2024, les transactions franco-françaises ont augmenté de +24%, la France est au
7ème rang mondial pour les transactions entrantes (17,4 Mrds$ de transactions
impliquent une cible française) ; quant aux transactions sortantes, elles
atteignent 18,9 Mrds$ (source : LSEG Data & Analytics).
Mais la seule dynamique
du marché ne fait pas le succès d’un projet. Selon les études publiées en 2022
et 2023, il y a toujours 60 à 70% des opérations qui n’atteignent pas les
objectifs stratégiques visés et les synergies attendues. Conduire un projet de
fusion-acquisition qui serve les ambitions d’une entreprise demande de dépasser
une vision purement financière et technique du dossier. Son succès, outre des
gains de parts de marché immédiats, se mesure à la valeur qu’elle génère à
moyen terme.
Des écueils qui
engendrent peurs et pertes financières
Force est de constater
que plusieurs écueils continuent de freiner la création de valeur. Le premier
d’entre eux est de laisser se mettre en place un collectif à deux vitesses. Si
la vision comptable montre des similitudes et synergies, les attentes et aspirations
des deux entreprises peuvent être complétement différentes.
Quand l’acquéreur et
son équipe se projettent dans le futur, le vendeur et ses collaborateurs
entament un processus de deuil, teinté d’incertitudes sur les mois à venir,
donc de peur. Parmi ce qui s’observe dans bon nombre d’entreprises : il est
fréquent que le service communication ne diffuse plus d’informations ; que les
forces de vente cherchent à protéger leurs clients et partenaires ; que les RH
commencent à regarder les postes potentiellement en doublon. Du côté des
équipes, l’attentisme, sinon l’opportunisme prend le dessus et la plupart des
collaborateurs guette le moindre bruit de couloir.
Outre ralentir la
dynamique de rapprochement et la co-construction, ces réactions génèrent des
pertes financières indirectes qui peuvent atteindre jusqu’à 30% du coût de
l’opération. Elles apparaissent souvent à deux moments : quand l’annonce de
l’acquisition est faite au marché et aux équipes ; puis quand le plan
d’intégration se déroule, étape par étape, département par département.
Pour les éviter, être
un tacticien du rachat ne suffit pas. Il faut avant tout être un homme ou une
femme d’affaires et vouloir créer de la valeur mesurable par l’opération de
croissance externe. Cela demande au dirigeant de s’affranchir de la lecture purement
comptable du projet de M&A (bilan, résultat d'exploitation, marge et valeur
comptable) pour réfléchir à l'organisation de l’entreprise après acquisition
(services, implantations, etc.) et aux processus opérationnels les plus
critiques à travailler en priorité.
Trois leviers pour
sécuriser la création de valeur
Concrètement, pour
s’assurer que son entreprise est en mesure de créer de la valeur économique et
sociale via l’acquisition envisagée, le dirigeant peut mener deux chantiers :
un check-up de l’existant, puis un travail amont de structuration opérationnelle.
Le check-up vise à analyser le modèle économique et son évolution, le positionnement et la structuration de l’entreprise avant une fusion, ainsi qu’à élaborer des projections mesurées dans le temps. Ce travail préparatoire permet de cerner l’objectif principal de l’acquisition au regard du plan de croissance
(acquérir une technologie, un savoir-faire ou des compétences ; gagner des parts
de marché). Il donne des indications sur le chemin à parcourir pour aligner les
visions de développement des deux structures, créer une culture commune et
piloter la stratégie générale. Enfin, il aide à exprimer l’objectif poursuivi
et à ensuite engager les équipes.
Le travail de
structuration opérationnelle consiste pour sa part à préparer l’entreprise à la
croissance future. Il comprend des actions pour la doter d’un Management System
pertinent au regard de son activité, de sa taille et de son stade de
développement. Il permet également au CODIR de construire un plan commun
chiffré et engagé. Il s’agit de mettre l’entreprise en capacité d’accueillir la
structure rachetée, puis de développer une culture et une organisation
partagées pour avancer tous ensemble.
Enfin, un chef
d’entreprise accompagné par des pairs ou operating partners sur ce type de
projet en sus de l’expertise apportée par les professionnels des fusacqs se
donne aussi les moyens de construire un projet qui dépasse la simple logique
financière et de parts de marché. Avoir un copilote qui connaît la position du
dirigeant et a déjà conduit ce type d’opération est précieux pour mieux gérer
chaque étape amont et aval du deal.
Ainsi, en préparant son
entreprise et en s’intéressant à l’extra-financier en sus des indicateurs
comptables, le chef d’entreprise anticipe et se donne les moyens de répondre à
cinq questions élémentaires : qui, quoi, où, comment et combien. Si ce travail
préparatoire et d’accompagnement est bien mené, alors il n’aura plus qu’à
exécuter son plan. Personne ne sera surpris des choix qu’il fera. Quant aux
concurrents, ils n’auront pas le temps d’attaquer la base des clients et
partenaires, un plan d’accompagnement et de récupération client ayant été
préparé et planifié. De puissants leviers pour qu’un projet d’acquisition soit
une réussite pour l’entreprise comme pour ses collaborateurs.