Par Emmanuel Stanislas, fondateur de Clémentine - Groupe
Actual -, cabinet de recrutement du digital et de l'IT
Les métiers du digital
se sont multipliés et transformés en deux décennies et il en va de même du
recrutement des profils les plus recherchés. Jusqu'où pousser la chasse aux
talents ? Quelles directions imaginer (souhaitables ou non) pour le recrutement
de demain ?
1 - Recruter des
équipes déjà formées
A l'ère de
l'intelligence collective, la capacité à bien travailler ensemble, sans
frictions, est devenue aussi importante que les compétences de chacun ; or,
créer des équipes de toutes pièces peut avoir des effets imprévisibles à terme.
Imaginons un petit groupe de jeunes (ou moins jeunes) gens qui travaillent déjà
ensemble en free-lance, tout en hésitant à se lancer dans l'aventure startup.
Pourquoi ne pourraient-ils pas postuler à une fiche de poste collective,
présenter leurs qualités, leur dynamique de travail et la proposer à des
organisations ? Nous observons déjà ce phénomène lors des changements de
Direction générale : une fois la nomination effectuée, on s'empresse de
recruter une partie de l’équipe avec laquelle la Direction avait l’habitude de
travailler.
2 - Un agent pour
chaque candidat
Les candidats, qu'ils
soient en poste ou non, craignent toujours de manquer une opportunité qui leur
permettrait d'atteindre la position convoitée et de réaliser leur rêve. La
veille permanente qu'ils s'imposent afin de ne pas rater l'offre qui pourrait tout
changer est chronophage et anxiogène. Et si demain, à l'exemple des artistes et
sportifs, les candidats confiaient à un cabinet de recrutement la promotion de
leur profil ? Les professionnels du recrutement s'inscriraient alors dans une
dynamique cohérente en « intégrant » des candidats avec un projet professionnel
à co-construire et en tenant compte d'un objectif à moyen terme. À charge de
l'agent d'assurer cette veille et de créer les rencontres qui peuvent à terme
servir les projets des candidats-clients. Dans un marché de candidats, la
fusion du coaching et du recrutement en une forme de « représentation » ne
manque pas de faire sens.
3 - Vers la fin des
candidatures ?
De même, va-t-on
continuer à recevoir des candidatures ? Rien n'est moins sûr. Et si cet usage
devenait l'exception et non plus la règle ? Imaginons que pour être candidat il
faille être coopté par un collaborateur interne, un manager rencontré, ou bien encore,
représenté par un cabinet ou un agent. Les talents ne postuleraient plus, ils
informeraient simplement de leur disponibilité et confieraient à une instance
(cabinet, agent, chasseur, …) la charge de proposer des offres conformes à leur
ambition professionnelle : « J'aimerais travailler dans une startup orientée
santé et dans un poste marketing comportant une forte dimension data ; je
souhaiterais aussi travailler quelque temps à Londres, parvenir à tel ou tel
poste à horizon cinq ans, etc. ». Ces collaborateurs en recherche pourraient
aussi être contactés (et indemnisés pour leur temps passé en évaluation) dans
l'attente du poste idéal.
4 - Recruter une IA
pour augmenter une équipe ?
L'IA continue de faire
rêver les managers à l’idéal d'un « perfect match », ce candidat cochant toutes
les cases ; et pourtant, n'y aurait-il pas mieux à imaginer pour une
technologie aussi puissante ? Pourquoi se limiter à la perspective du
recrutement prédictif ? C'est-à-dire : identifier statistiquement quel type de
candidat réussira mieux à tel poste (ce que l'on faisait déjà « à la main »
dans le passé). Et si demain nous envisagions plutôt l'IA comme un partenaire à
recruter ? Devons-nous nous préparer à considérer les outils d'intelligence
artificielle comme des profils à part entière, comme des ajouts à une équipe à
laquelle il manquerait une, voire plusieurs, compétences ? On l'observe déjà
dans une mesure marginale avec un outil comme ChatGPT (qui vient au secours de
qui manque d'aisance rédactionnelle). L'IA pourra-t-elle « augmenter » un
candidat, une équipe, au point d'en bouleverser les modalités de recrutement ?
5 - Des postes pour les
candidats et non plus l'inverse
On le sait, à un même
intitulé peuvent correspondre des postes très différents – avec ou sans
orientation marketing ; plus ou moins technique, ou bien commercial, etc. De
même, chaque situation de recrutement est unique car les forces en présence
dans une organisation dépendent de l'objectif particulier qui est le sien sur
une période donnée. Certaines compétences sont bien représentées et d'autres
manquent ou ne sont pas mises en avant, faute de raison de les mobiliser.
Imaginons qu'à l'avenir on recherche à l'intérieur d'un référentiel métier non
pas des correspondances exactes mais des complémentarités utiles ; on
choisirait alors un candidat dont le profil s'accorde idéalement à celui
d'autres membres de l'équipe et même s'il lui manque certaines compétences. Le
rôle du recruteur serait alors de « fabriquer » un poste adéquat, dans cette
situation particulière. Pourquoi, en effet, ne pas réévaluer en interne la
distribution des rôles en fonction de ce nouvel entrant et de ses compétences,
par exemple ? Peut-on compenser ses manques par la mobilisation d’une autre
personne déjà en poste ? Autant de questions à poser pour adapter un poste au
candidat et non le contraire.
6 - La disparition des
candidats seniors
Enfin, le vieillissement de la population rend inévitable, on le sait, l'augmentation du nombre des profils seniors en recherche active ; c'est-à-dire des candidats de plus de 45 ans - qui sont aussi des plus de 50 ans et des plus de 60 ans. Où sont nos idées pour leur recrutement dans l'avenir ? Que peut-on imaginer de pertinent ? Eh bien, soyons fous : imaginons tout simplement qu'on leur offre… le même poste qu'à une personne de trente-huit ans ! Que peut-on imaginer de plus novateur pour le futur du recrutement que ceci ? Objectivement, il n'y a pas de raison de maintenir une division générationnelle. Et si demain le candidat senior devenait simplement un candidat ?