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[Etude] Audencia - Les entreprises françaises face au défi du bilan carbone


Alors que la lutte contre le réchauffement climatique dépend de notre capacité collective à réduire de manière significative nos émissions de gaz à effet de serre (GES), une étude menée par Audencia, Toulouse Business School et Columbia University montre que 47% des entreprises non-cotées n’ont publié aucun bilan GES entre 2014 et 2021. A noter que les entreprises à forte empreinte environnementale sont encore moins susceptibles de publier un bilan GES. Pour celles qui le font, la qualité des informations fournies est insuffisante, et les objectifs de réductions ainsi que les plans de transition sont incomplets.

 

La France précurseur en matière d’obligation légale

 

La France a fait figure de pionnière pour obliger les entreprises à fournir des informations sur leurs émissions de gaz à effet de serre. La loi Grenelle II oblige en effet, depuis 2012, les entreprises de plus de 500 employés à réaliser ces bilans GES, rendus publics sur le site de l’ADEME.

 

Malgré cela, la récente étude menée par Alexandre Garel (Audencia), Thomas Bourveau (Columbia University) et Arthur Romec (Toulouse Business School) montre l’échec de cette régulation à plusieurs niveaux. D’abord, elle n’incite pas suffisamment les entreprises à adopter cette pratique de mesure et de quantification. En effet, 53% seulement des entreprises non-cotées éligibles ont publié (au moins) un bilan GES sur la période 2014-2021, témoignant d’un faible niveau de conformité.

 

Pour Alexandre Garel, Professeur de finance à Audencia : « Ce phénomène peut s’expliquer par la faible amende (1500 euros sur la période couverte par l’étude) encourue en cas de non-respect de l’obligation de publier un bilan GES, probablement inférieure au coût de la production des informations nécessaires à la réalisation du bilan, ainsi que par le manque de contrôle et de sanctions de la part du régulateur. »

 

Par ailleurs, parmi les entreprises qui publient un bilan GES, très peu le mettent à jour dans les quatre ans qui suivent : 71% des entreprises ne publient qu’un seul bilan GES sur cette période de sept ans.

 

Un faible engagement des entreprises les plus fortement émettrices

 

Les entreprises les plus grandes et les plus anciennes sont davantage susceptibles de publier un bilan GES, sans doute parce qu’elles font face à une plus grande pression des parties prenantes et ont davantage de moyens pour produire un bilan GES. Mais le faible taux de publication des bilans GES n’épargne pas les industries fortement émettrices. Par exemple, à peine de plus de 50% des entreprises de l’industrie du transport publient un bilan. Pour les auteurs, cela peut être dû à une réticence à rendre compte de leur contribution au réchauffement climatique mais également à un refus de s’engager sur des objectifs chiffrés de réduction de leurs émissions.

 

La mauvaise qualité des informations publiées

 

Alors que tous les bilans comprennent les émissions Scope 1 & 2 (émissions directes et indirectes liées à l’énergie), seulement 47% d’entre eux indiquent les émissions Scope 3, pourtant également requises, alors qu’elles représentent une part très importante des émissions totales (plus de 50% sur la base des entreprises qui reportent leurs émissions Scope 1, 2, et 3 dans leurs bilans GES). Elles concernent les émissions indirectes qui échappent au contrôle des entreprises : résultant de l’achat de produits et services, du transport de marchandises en amont, ou de l’usage des produits/services vendus par les utilisateurs finaux. Ce pourcentage a augmenté au cours des dernières années. Il est à noter que les grandes entreprises sont davantage susceptibles de fournir leurs émissions Scope 3.

 

Les entreprises devraient aussi fournir des informations sur les sources et les documents utilisés pour quantifier leurs émissions, sur le périmètre organisationnel considéré (c’est-à-dire les entités détenues ou contrôlées par l’entreprise prises en compte dans le calcul) et sur les éventuelles incertitudes dans leurs mesures. Cependant, à peine 50% des bilans fournissent ces informations pour les émissions Scope 1 & 2 et encore moins pour les émissions Scope 3.

 

Des objectifs de réduction mais des plans de transition non chiffrés


En plus des émissions actuelles, le bilan GES doit également contenir un objectif de réduction des émissions et un plan de transition. 96% des bilans contiennent un objectif de réduction pour les émissions Scope 1 & 2 et fournissent un plan de transition pour y parvenir. Néanmoins, ce chiffre est seulement de 46% pour les émissions Scope 3. Une analyse plus minutieuse des plans de transition révèle que seulement 9% d’entre eux mentionnent une méthodologie scientifique (ex. SBTi) et à peine 2% mentionnent un audit externe. Enfin, seuls 17% des plans de transition mentionnent un horizon temporel.

 

De plus, la plupart des entreprises ne fournissent aucune quantification de la réduction des émissions liée aux différentes actions présentées dans leurs plans de transition. 75% des plans liés aux émissions Scope 1 n’ont pas de mesures quantitatives et ce pourcentage est encore plus élevé pour les plans de transition liés aux émissions Scope 2 (79%) et Scope 3 (90%). Ainsi, même si pratiquement tous les bilans comprennent un objectif de réduction des émissions, la faible qualité de l’information fournie dans les plans de transition soulève des doutes sur la crédibilité des objectifs…

 

Trois pistes pour améliorer l’obligation légale

 

Pour les auteurs de l’étude : « l’approche du régulateur consiste à encourager la transparence pour influencer le comportement des entreprises. L’idée est de pousser les entreprises à développer un savoir-faire dans le calcul et la gestion de leurs émissions, puis de les inciter à réduire leurs émissions en rendant l’information publique et en les faisant formuler des objectifs de réduction d‘émissions. Notre recherche montre les limites de cette approche à laquelle il est peu coûteux de déroger ou à laquelle une entreprise peut se soumettre mais de manière incomplète et non qualitative. Les nombreux choix discrétionnaires offerts aux entreprises dans la production de leur bilan GES affectent la comparabilité des informations fournies, réduisant ainsi considérablement leur utilité auprès des parties prenantes externes. »

 

L’étude met ainsi en évidence les recommandations suivantes adressées au régulateur :

 

1. Rendre la publication du bilan GES réellement obligatoire en mettant en place des contrôles et des sanctions en cas de non-respect des obligations de publication d’information. L’augmentation récente de l’amende en cas de non-respect à 50 000 euros est un premier pas.

 

2. Être davantage prescriptif dans le choix de la méthodologie scientifique à adopter et dans la qualité ainsi que dans l’exhaustivité des informations à transmettre, notamment concernant les émissions Scope 3.

 

3. Encourager les entreprises à communiquer à leurs parties prenantes et sur leur site internet leur bilan GES en plus de le déposer sur le site de l’ADEME (ou à communiquer sur l’absence de volonté de publier un bilan GES le cas échéant), afin d’augmenter sa visibilité et les effets bénéfiques attendus d’une plus grande transparence sur les émissions de gaz à effet de serre.

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