Par Arnaud Marquant, Directeur des opérations chez KB Crawl SAS
Traditionnellement féminin, le métier de veilleur évolue vers une culture de l’ingénierie de l’information. Ce qui n’est peut-être pas sans risque pour les femmes qui aujourd’hui occupent les avants postes.
« Investir en faveur des femmes : accélérer le rythme » : tel est le thème qui, cette année, est accolé à la journée internationale des droits des femmes. Créée à l’initiative de l’ONU en 1975, organisée en France depuis 1982, cette journée nous donne année après année l’occasion de réfléchir à la place des femmes dans notre société, mais également dans les secteurs professionnels dans lesquels nous évoluons. Ce regard critique n’échappe pas, bien sûr, aux métiers de la veille et de l’intelligence économique, où certaines dynamiques peuvent se révéler trompeuses… Car pour autant qu’elle soit plutôt favorable aux femmes, la situation est peut-être appelée à évoluer drastiquement dans les années à venir.
Veille : beaucoup de femmes occupent des postes à responsabilité
Afin de bien comprendre ce phénomène, il s’agit en premier lieu de poser quelques éléments de contexte. Quelle est la part des femmes dans l’univers de la veille ? Il n’existe malheureusement pas de chiffres fiables sur le sujet, ce qui ne veut pas dire que nous sommes devant une inconnue. De manière empirique et sans grand risque de se tromper, nous pouvons affirmer qu’une grande partie des veilleurs qui opèrent actuellement au sein des grands groupes ainsi que des ETI et des PME sont des femmes. La raison est historique. Le métier de veilleur prend en effet ses racines dans celui de gestionnaire de l’information, voire dans certains cas de responsable de la documentation. Il y a une vingtaine, voire une trentaine d’années, la veille était assurée par des documentalistes à qui il était en grande partie demandé de collecter de l’information et de réaliser des tâches administratives. La culture du métier a évolué au fil des ans : désormais, le veilleur se doit de poser un regard critique, stratégique, sur une information devenue pléthorique. Ainsi, les femmes qui ont débuté leurs carrières à des postes de documentation ont-elles pu évoluer. La veille étant une industrie comme une autre, elles ont progressé dans la hiérarchie de leurs organisations et sont parvenues à occuper des postes à responsabilité.
Des formations universitaires désormais centrées sur la stratégie
En 2024, ce sont donc des femmes qui occupent majoritairement des postes clés dans le secteur de la veille. Mais cette situation est peut-être appelée à évoluer. Dans les masters qui, de plus en plus, forment les étudiants à la veille stratégique, nous observons en effet une nette tendance à l’essor présentiel des hommes. Les interventions effectuées au sein des promotions universitaires nous permettent de constater que de plus en plus de garçons entendent désormais se tourner vers la veille, ce que confirment du reste des offres d’emploi que nous pouvons lancer et auxquelles les hommes répondent de plus en plus massivement. Comment expliquer ce phénomène ? Certainement grâce à l’approche culturelle. En effet, les masters de veille passent désormais sous silence la documentation comme élément central du métier. Ils mettent davantage en avant des dimensions stratégique, géopolitique, internationale parfois. Tout en soulignant la nécessité d’organiser les connaissances, leurs intitulés parlent d’intelligence économique, d’innovation, d’information stratégique, quand ce n’est pas de consulting ou d’économie internationale. Peu à peu, la veille se présente comme un jeu d’échecs, voire comme un lieu symbolique de bataille…
Ces changements sémantiques présentant le champ de la veille stratégique et de l’intelligence économique témoignent d’une évolution à l’œuvre qui ferait la part belle à une culture plus affirmée de l’ingénierie de l’information. Ceci n’est bien sûr aucunement critiquable en soi. Conservons simplement à l’esprit que le champ de l’ingénierie se révèle plus favorable aux hommes qu’aux femmes, avec seulement 24% d’ingénieures comptabilisées en 2023 (et une stagnation de la féminisation des métiers depuis 10 ans). N’oublions pas non plus que l’Éducation Nationale déploie actuellement une vaste stratégie destinée à redorer le blason de l’ingénierie et des sciences auprès des élèves, et particulièrement des jeunes filles. En d’autres termes, fort de ces connaissances, sachons conserver la singularité du métier de veilleur, où les femmes jouent actuellement les premiers rôles et où la parité est une dynamique précieuse en termes d’intelligence collective.