Plusieurs modifications sont apportées aux régimes existants d’épargne salariale et de nouveaux dispositifs de partage de la valeur sont créés. Estelle Trichet, co-responsable du groupe de travail Social de Walter France, commente ces mesures qui s’inscrivent dans une logique renforcée selon laquelle les salariés doivent bénéficier, au-delà de leur salaire, des profits réalisés par leur employeur.
C’est le 1er décembre 2023 que sont entrées en vigueur la majorité des mesures de la loi transposant l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur.
> L’augmentation du bénéfice entraîne une obligation de négociation
En cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net, une négociation sur le partage de la valeur est obligatoire.
Pour les entreprises d’au moins 50 salariés
Les entreprises employant au moins 50 salariés et dotées d’un délégué syndical sont concernées par cette mesure. La loi renvoie à la négociation dans l’entreprise le soin de définir ce qui constitue une augmentation du bénéfice exceptionnel net fiscal et les modalités d’un partage de la valeur avec les salariés.
Lorsqu’elles ouvrent une négociation sur la participation ou l’intéressement, les entreprises soumises à la participation doivent désormais négocier sur la définition d’une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice net fiscal et les modalités d’un partage de la valeur avec les salariés lorsqu’elle survient*.
Les entreprises déjà dotées d’un accord de participation ou d’intéressement applicable à la date de promulgation de la loi, soit au 29 novembre 2023, doivent engager cette négociation avant le 30 juin 2024.
En revanche, en sont dispensées celles dont l’accord de participation/d’intéressement comporte déjà une clause spécifique sur les bénéfices exceptionnels ou dont le régime de participation est plus favorable que la formule légale.
Ce partage de la valeur déclenché par des résultats exceptionnels peut, sous certaines conditions, prendre la forme d’un supplément de participation ou d’intéressement, ou de l’ouverture d’une nouvelle négociation pour mettre en place un régime d’intéressement, un abondement à un plan d’épargne salariale ou une prime de partage de la valeur (PPV).
Pour les entreprises de 11 à moins de 50 salariés
Un dispositif expérimental a été mis en place pour une durée de cinq ans, depuis le 1er décembre 2023, afin de favoriser le partage de la valeur dans les petites entreprises. Sont concernées les entreprises comprises entre 11 et moins de 50 salariés qui ne sont pas tenues de mettre en place la participation.
Si ces entreprises réalisent pendant trois exercices successifs un bénéfice net fiscal correspondant à 1% du chiffre d’affaires, elles doivent, au titre de l’exercice suivant :
- soit mettre en place un dispositif de participation (accord conclu au niveau de la branche ou de l’entreprise),
- soit mettre en place un régime d’intéressement,
- soit abonder un plan d’épargne salariale,
- soit verser une prime de partage de la valeur.
L’obligation de mise en place de l’un de ces dispositifs sera applicable pour les exercices ouverts à partir du 1er janvier 2025, en tenant compte du bénéfice net fiscal des trois exercices précédents, soit 2022, 2023 et 2024 pour un exercice correspondant à l’année civile.
Dans le cadre de ce dispositif expérimental, ces entreprises ont la possibilité de conclure, depuis le 1er décembre 2023, un accord de participation dont la formule de calcul est moins favorable que la formule légale.
> L’économie sociale et solidaire est désormais concernée par le partage de la valeur
Par ailleurs, à titre expérimental, un accord de branche étendu pourra rendre obligatoire la mise en place d’un dispositif de partage de la valeur pour les structures de plus de 11 salariés qui relèvent du secteur de l’économie sociale et solidaire et qui ne dégage pas de bénéficie net fiscal. Dans cette situation, il sera tenu compte du résultat excédentaire au moins égal à 1% des recettes, pendant trois exercices consécutifs, pour que la structure mette en place un dispositif d’intéressement, abonde un plan d’épargne salariale ou verse une prime de partage de la valeur.
> Une négociation facultative d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise est instaurée
Toutes les entreprises sans condition d’effectifs ont la possibilité de mettre en place, par accord, un dispositif supplémentaire : un plan de partage de la valorisation de l’entreprise (PPVE) portant sur trois ans et donnant lieu au versement d’une prime aux salariés si la valeur de l’entreprise progresse. Cette prime est exonérée de toutes les cotisations d’origine légale et conventionnelle, de forfait social, de la participation-construction, des contributions au titre de la formation professionnelle.
En cas d’affectation totale ou partielle de la prime à un plan d’épargne salariale ou à un PER d’entreprise, les sommes bloquées sont exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite, par an et par bénéficiaire, de 5% du montant maximal de la prime, soit 3,75% du Pass (plafond annuel de la sécurité sociale). En cas de versement immédiat au salarié, la prime de PPVE est soumise à l’impôt sur le revenu.
La mise en œuvre du dispositif est subordonnée à la publication d’un décret précisant les modalités d’application du PPVE.
> Les régimes existants sont modifiés
Les dispositifs de participation, d’intéressement, de plans d’épargne et d’actionnariat salarié sont modifiés et certaines pratiques sont sécurisées.
Pour la participation et l’intéressement :
- Possibilité de verser des avances sur la prime selon une périodicité qui ne peut être inférieure au trimestre et avec l’accord du salarié. Jusqu’à présent, tant l’administration que la jurisprudence admettaient qu’un accord d’intéressement puisse prévoir des avances, y compris mensuelles. Les avances sont donc désormais permises dans les deux dispositifs, mais les avances mensuelles ne sont plus admises.
- Durcissement de la condition d’ancienneté pour les intérimaires : l’article du Code du travail qui s’applique aux divers dispositifs d’épargne salariale prévoit que, pour en bénéficier, une condition d’ancienneté d’au plus trois mois dans l’entreprise ou le groupe peut être exigée. Un salarié intérimaire est réputé compter trois mois d’ancienneté dans l’entreprise ou le groupe qui l’emploie s’il a été mis à disposition d’entreprises utilisatrices pendant une durée totale d’au moins 60 jours au cours du dernier exercice. Ces dispositions sont complétées : un accord étendu de la branche professionnelle du travail temporaire peut prévoir, par dérogation à ces dispositions légales, une durée d’ancienneté différente pour les salariés temporaires, dans la limite de 90 jours.
Pour l’intéressement :
- Sécurisation des accords d’intéressement qui prévoient déjà une répartition proportionnelle aux salaires. Il est désormais possible d’avoir une répartition favorisant les plus bas salaires : l’accord peut fixer un salaire plancher, un salaire plafond ou les deux, servant de base à la répartition individuelle dans le cas d’une répartition proportionnelle aux salaires.
Pour la participation :
- Mise en place du principe de non-substitution au salaire. Les sommes portées à la réserve spéciale de participation au cours d’un exercice ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération (au sens de l’assiette des cotisations de sécurité sociale) qui sont en vigueur dans l’entreprise ou qui deviennent obligatoires en application de dispositions légales ou de clauses contractuelles.
- Les sommes versées au titre de la participation aux résultats sont exclues de l’assiette des cotisations non seulement des travailleurs salariés et assimilés mais aussi des travailleurs indépendants non agricoles, et des salariés agricoles.
- La mise en place ne peut plus être retardée en cas d’accord d’intéressement pré-existant. Le Code du travail disposait que, lorsqu’une entreprise vient à employer au moins 50 salariés mais qu’elle a conclu un accord d’intéressement, l’obligation de mettre en place la participation ne s’applique qu’au troisième exercice clos après le franchissement du seuil, à condition que l’accord d’intéressement soit appliqué sans discontinuité pendant cette période. Comme le prévoyait l’Accord National Interprofessionnel, la loi abroge ces dispositions qui retardaient dans cette situation la mise en place de la participation aux résultats. Toutefois, les entreprises qui bénéficient déjà de ce report en conservent le bénéfice jusqu’au terme prévu.
- L’obligation de recalculer le montant de la réserve spéciale de participation lorsque la déclaration des résultats est rectifiée par l’administration ou par le juge de l’impôt est désormais légalisée (elle faisait jusque-là l’objet d’un article réglementaire).
> La solidarité et la transition énergétique vont bénéficier de l’épargne salariale
A partir du 1er juillet 2024, les règlements des plans d’épargne salariale et d’épargne retraite d’entreprise devront prévoir la possibilité d'affecter une partie des sommes recueillies à l'acquisition de parts d'un fonds solidaire. Le règlement de ces plans devra également proposer l'acquisition de parts d'au moins un fonds labellisé ou un fonds nourricier, d'un fonds labellisé au titre du financement de la transition énergétique et écologique ou de l'investissement socialement responsable. Un décret précisera la liste des labels, leurs critères et leurs modalités de délivrance.
> La révision de certains Plans d’Epargne Interentreprises est simplifiée
La révision de certains Plans d’Epargne Interentreprises (PEI) est simplifiée : si la modification porte sur l'ajout de nouvelles possibilités d'affectation des sommes recueillies, elle s'applique dès l'information des entreprises adhérentes, donc sans droit d'opposition ; dans les autres cas, l'application d'une modification est soumise à l’absence d’opposition dans un délai d’un mois et elle n'est plus reportée à l'exercice suivant la date d'information.
> Les attributions gratuites d’actions sont assouplies
Les plafonds globaux et individuels limitant les attributions gratuites d’actions (AGA) sont assouplis. Le texte assouplit les conditions de mise en œuvre des AGA en relevant les limites individuelles et globales de distribution et en élargissant les cas d'attribution aux mandataires sociaux.