Le point de vue de Sébastien Cochard, operating partner chez I&S Adviser
Si le Nasdaq a encore grimpé de plus de 15% sur ces 6 derniers mois, le tableau est beaucoup moins idyllique du côté des start-up et licornes et des quelque 300 fonds qui ont massivement investi ces 3 dernières années.
Ces dernières semaines, de nombreuses start-up et licornes ont été placées en redressement judiciaire ou liquidées : Carlili (location de voitures à domicile), Probikeshop (e-commerce), OOGarden (e-commerce), Luko (insurtech), cityscoot (location de scooters), Bioserenity (esanté), Fraiche cancan (cantine d’entreprises) Mansa (prêts pour les freelances), Hopium (voitures à hydrogène), Nawa (nanotubes carbones) ...
…sachant qu’elles ont levé en cumulé près de 270 M€, hors dettes et prêts bancaires.
Ces entreprises ont été fragilisées par des difficultés inédites (hausse de l'énergie, des salaires, des matières premières, des taux d'intérêt, baisse des investissements, de la consommation, etc.), grevées par des structures surdimensionnées, créées pour anticiper une croissance qui n’est jamais arrivée, et par des dettes très significatives. Leurs partenaires financiers ont, pour beaucoup, choisi de ne pas réinvestir, réticents à injecter du cash pour éponger des dettes bancaires, sans espoir de retour sur investissement.
En regardant de manière plus large, le montant cumulé des fonds investis dans des start-up françaises représentait en octobre 2023 environ 526 M€ sur un total de 83 opérations. En 2022, près de 1,2 Mrds€ avait été levé pour un total de 76 opérations. Soit une baisse significative de près de la moitié des sommes investies. Le cash burn des startups étant très élevé, dans un contexte où les politiques des banques centrales impactent à la baisse les investissements et la consommation, tout laisse à penser que 2024 ne sera pas l’année de la reprise et que les défaillances observées ces derniers mois ne sont qu’un début.
D’autres signaux tendent à confirmer ce renversement de tendance. Certains secteurs jusque-là résilients comme le Saas B2B (software as a service) commencent à être eux aussi en difficulté. Et pourtant, elles ont capté une grande partie des investissements européens de ces dernières années (19,2 Mrds$ en 2021 et près de 18 Mrds$ en 2022 selon une étude GP Bullhound). Jusque-là protégés par des engagements sous forme de souscription pluriannuelles ou par tacite reconduction, ils voient leurs clients ne pas renouveler leurs contrats, en raison d’un faible taux d’utilisation et/ou d’une dimension “nice-to-have”. Or ces entreprises ont les mêmes caractéristiques que celles susnommées : des effectifs surdimensionnés, un problème d'adéquation produit/marché, des dettes bancaires importantes, des dettes fiscales et sociales, un point d’équilibre financier qui s’éloigne de plus en plus, etc.
Le TRI des fonds d'investissements devrait donc amorcer une baisse significative. Ces mêmes fonds devraient devenir moins attractifs du point de vue des LP’s et des institutionnels, notamment du fait d’une inflation qui perdure, minorant de fait la performance des fonds et majorant le risque d'investissement. Après une année 2021 record portant le TRI sur 3 ans à 19,5%, le secteur connaît un fort ralentissement avec un TRI sur 3 ans à 15,2% fin 2022, selon France Invest. Il devrait logiquement baisser encore en 2023 et en 2024.
Le pire dans tout ça n’est pas tant le regrettable gaspillage de fonds privés et publics, que les dégâts directs sur les dirigeants et leurs salariés, menacés dans leur emploi. Il est donc urgent que les pouvoirs publics et les fonds prennent la mesure de la tempête qui arrive, et mettent en place des plans d’actions à destination des chefs d’entreprise, qui, en ces temps troublés. Le besoin qui va devenir immédiat est d’anticiper et d’élaborer des plans A, B et C de restructuration et de retournement aussi pragmatiques que possibles.
Le regard et l’intervention d’entrepreneurs aguerris en appui opérationnel du chef d’entreprise peut aider à regarder l’avenir avec lucidité et à prendre les meilleures décisions possibles au regard de la situation, en évitant les écueils basiques. Le temps s'accélère mais rien n’est perdu si on lutte contre l’attentisme et que l’on capitalise sur la richesse des expériences qu’ont développées nos entrepreneurs.