En 2006, le rapport Stern sur l’économie du changement climatique mettait déjà en évidence l’impact économique des effets du changement climatique, avec un coût de l’inaction nettement supérieur au coût de la prévention ; 5 à 20% du PIB mondial, contre 1% pour celui de l’action. Presque deux décennies plus tard, les dernières conclusions du Conseil de l’Union européenne sont formelles : l’assurance d’une transition juste vers des économies et des société durables, résilientes face au changement climatique et neutres pour le climat, n’a jamais été aussi urgente.
C’est dans ce contexte que l’ADEME publie une étude inédite, réalisée dans le cadre du projet Finance ClimAct, afin d’estimer les coûts que représenteraient le changement climatique et les dommages liés au réchauffement pour l’économie française.
Fruit d’un travail exploratoire au long cours, cette analyse propose une nouvelle méthode d’intégration des coûts des dommages climatiques afin d’élaborer des scénarios de risques plus précis, et qui doivent constituer un levier privilégié par les organisations gouvernementales et internationales, pour anticiper, planifier et estimer les conséquences et opportunités de multiples futurs climatiques.
Plusieurs scénarios de transition envisagés
Dans cette étude, l’objectif a été d’intégrer l’évaluation du coût des dommages liés au réchauffement climatique en France à la modélisation économique de différents scénarios de transition, en suivant le cadre d’analyse proposé par le NGFS (réseau international des banques centrales pour le verdissement du système financier). Deux évaluations ont été réalisées :
- La première compare les effets sur l’activité économique d’un réchauffement mondial de +3.5°C à la fin du siècle, par rapport à un scénario fictif sans changement climatique.
- La seconde intègre les coûts des dommages dans tous les scénarios, et compare les effets sur l’activité économique d’une transition retardée, ou de l’absence même de politique de transition, par rapport à une situation où la politique de transition énergétique serait mise en œuvre progressivement dès à présent.
Dans chacun de ces scénarios, deux formes de risques liés au climat sont étudiées : d’une part, les risques physiques causés par des événements climatiques et météorologiques, qu’ils soient aigus (c’est-à-dire matérialisés par des événements de courte durée, de fréquence et d’intensité variables) ou chroniques (c’est-à-dire matérialisés par des évolutions progressives de phénomènes périodiques déjà existants) et d’autre part les risques de transition, qui correspondent à des risques financiers liés au processus d’ajustement vers une économie bas-carbone. Ces risques restent incertains car ils sont amenés à évoluer en fonction des politiques de transition menées, de l’évolution du climat et de sa matérialisation en termes d’impacts.
Dans les scénarios de transition retardée ou d’inaction, des coûts du changement climatique considérables pour la France…
Les modélisations ont permis d’estimer pour l’ensemble de l’économie française l’effet agrégé des impacts sectoriels, associés à un scénario de réchauffement climatique mondial de près de 3,5°. Les premières estimations de l’étude, très probablement sous-estimées, montrent que si la température devait atteindre un niveau de réchauffement de +3,5°C, les dommages du changement climatique pourraient coûter plus de 10 points d’activité annuelle par rapport à un scénario fictif sans changement climatique d’ici la fin du siècle. La contribution des dommages serait la suivante :
- Les catastrophes naturelles se produisant dans le reste du monde qui affectent les exportations françaises (près de 6 points d’activité) ;
- La baisse des rendements agricoles (3 points d’activité) ;
- Les coûts directs des catastrophes naturelles en France (1/2 point) ;
- La montée du niveau de la mer (1/2 point) ;
- L’ensemble des autres dommages confondus (1/2 point).
Ces estimations de dommages ont ensuite été combinées par l’ADEME avec les différents scénarios de risque de transition. L’Agence a comparé le scénario de référence dit de « transition ordonnée », c’est-à-dire correspondant à la mise en œuvre dès à présent et progressive de politiques afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050, avec des scénarios alternatifs de transition retardée et d’inaction.
1/ Le scénario de transition retardée
Il suppose la poursuite des politiques existantes et le développement des énergies fossiles jusqu’en 2030. À partir de cette date, les pouvoirs publics imposent des politiques soudaines et non anticipées, pour rattraper les engagements sur le long terme et maintenir la hausse de température inférieure à 2°C d’ici la fin du siècle.
Un tel scénario s’accompagne de frictions sur les facteurs de production, qui vont peser sur le mix énergétique (avec une évolution de la production énergétique qui ne sera pas plus rapide que dans le scénario ordonné), sur le marché du capital (avec une baisse significative de la valeur d’actifs physiques et financiers sur les secteurs du bâtiment, les secteurs extractifs, la production d’énergie et l’industrie), et des conséquences sur le marché du travail (avec le transfert vers des secteurs et des métiers en transition qui se fait au prix de pertes de productivité lié au retard dans la formation des travailleurs).
En France, une transition retardée pourrait conduire à près de 1 100 Md$ d’actifs échoués cumulés sur la période, soit près de 50 Md$ par an entre 2030 et 2050. Le scénario retardé aurait pour conséquence une perte de près de -1,5 point de PIB en 2030 et de -5 points de PIB en 2050.
2/ Le scénario de l’inaction
Il suppose l’absence de toute nouvelle politique de transition après 2022 et une conservation du mix énergétique tel qu’il est aujourd’hui.
La première conséquence d’un tel scénario est de renoncer à des politiques climatiques qui ont un impact macroéconomique bénéfique. Mais surtout, les trajectoires de température divergent significativement à partir de 2030 et le coût des dommages additionnels observés alors monte progressivement en charge.
À l’horizon de la fin du siècle, le scénario d’inaction coûterait près de 7 points de PIB annuels, dont 1 point lié au gel des politiques de transition et 6 points de PIB du fait des coûts des dommages additionnels, par rapport à une transition ordonnée.
…Et très probablement sous-estimés
Certains effets n’ont pas pu être intégrés à l’analyse. Pour cause, les effets indirects du changement climatique comme les déplacements de population, les politiques d’adaptation et de reconstruction ont été exclus. De même, les impacts domestiques ne projettent pas la hausse de gravité des catastrophes naturelles et il n’a pas été possible d’évaluer le coût économique de la perte de biodiversité. Les coûts d’adaptation au changement climatique n’entrent pas non plus dans le périmètre de l’étude. Les impacts du changement climatique sur l’activité économique reposent donc pour l’instant essentiellement sur les dommages passant par le commerce extérieur. Les premières évaluations présentées ici sont ainsi très probablement très sous-estimées et sont amenées à être réévaluées et précisées en fonction de l’évolution des données disponibles et des outils de modélisation.