Une fin d’année solide, mais des interrogations pour les mois à venir
Dernière ligne droite avant les Jeux Olympiques
La solidité du marché parisien des commerces se confirme en cette fin d’année 2023. La demande immobilière des enseignes reste bien orientée, toujours soutenue par des plans d’expansion ambitieux et le dynamisme des arrivées de touristes. Les bons résultats de la saison estivale se sont en effet prolongés cet automne, grâce notamment à la coupe du monde de rugby durant laquelle la fréquentation internationale a affiché une hausse de 10% sur un an. La saison de Noël s’annonce également favorable, avec des prévisions d’arrivées aériennes pour le mois de décembre supérieures de près de 4% à celles de la même période l’an passé.
« Le marché parisien des commerces continue de faire preuve d’une remarquable résistance. Depuis la fin des confinements, celui-ci a non seulement profité de la reprise du tourisme, mais aussi de l’approche des Jeux Olympiques de 2024 avance Antoine Salmon, directeur du département Commerces chez Knight Frank. Certaines enseignes internationales auraient évidemment ouvert sans cela, mais en mettant Paris sous les feux des projecteurs, l’organisation des JO a incontestablement été un plus contribuant à la multiplication de projets d’ouverture de flagships sur les grandes artères de la capitale », poursuit Antoine Salmon.
Alors que l’on peut craindre l’impact sur les commerces de plans de circulation très restrictifs et de la saturation des réseaux de transport en commun, nul ne sait quelles seront les retombées réelles des JO l’été prochain.
« Néanmoins, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ne dureront guère plus d’un mois. La question est donc surtout de savoir si Paris profitera, sur le long terme, du momentum de marché observé depuis la fin de la crise sanitaire », s’interroge Antoine Salmon.
Le sport reste un moteur du marché des commerces
L’ampleur des projets de développement d’enseignes internationales rassure sur le maintien de l’attractivité de Paris au-delà de la période des Jeux Olympiques. « L’année 2023 restera comme un très bon cru en matière d’arrivées de nouvelles enseignes étrangères dans la capitale. Le décompte réalisé à la fin du mois de novembre en identifie 37, contre 36 en 2022 et 29 en moyenne depuis dix ans, détaille Antoine Salmon. Les secteurs du sportswear et de l’habillement outdoor sont parmi les plus dynamiques. Aux arrivées des derniers mois, comme celle d’ON RUNNING dans le 6e arrondissement, se sont récemment ajoutées les prises à bail de marques renommées telles ARC’TERYX, HOKA ou ALO YOGA. « Le dynamisme de ce secteur perdurera sans doute au-delà de 2024. Alors que le sportswear tient désormais une place essentielle dans les habitudes vestimentaires, certaines enseignes présentes en France affichent toujours de solides ambitions, tandis que plusieurs marques internationales n’y possèdent pas encore de boutiques en propre et devraient vouloir s’y installer », soutient Antoine Salmon. Les nouveaux entrants sont encore plus nombreux dans l’alimentation et la restauration. Ces deux secteurs concentrent près de 40% de l’ensemble des arrivées de 2023, dont certaines ouvertures sur de grandes artères et au sein de sites commerçants majeurs (SIGNORVINO place Saint-Michel, LÄDERACH rue de Rivoli, KRISPY KREME dans le « Forum des Halles », etc.).
Paris, eldorado des enseignes de périphérie
Les bons fondamentaux du marché parisien (forte fréquentation, densité de population et pouvoir d’achat élevés, etc.) attirent des enseignes de tous secteurs et de tous horizons, parmi lesquelles plusieurs acteurs traditionnellement établis en périphérie. La tendance n’est pas nouvelle : ceux-ci essaiment depuis quelques années à Paris pour gagner de nouvelles clientèles et soigner leur visibilité. Leur présence est néanmoins en train de se renforcer, avec les ouvertures d’UBALDI place de la Madeleine, de FABRIQUE DE STYLES au 18 boulevard des Capucines ou de BOULANGERIE LOUISE au 50 avenue des Champs-Elysées, tandis qu’EKOSPORT prépare deux ouvertures, l’une sur la rive droite et l’autre sur la rive gauche. Dans le secteur en pleine croissance des réseaux de boulangeries, notons aussi les ouvertures de SOPHIE LEBREUILLY dans les 8e et 16e arrondissements. Les enseignes à petit prix poursuivent également leur expansion dans la capitale. Dans le domaine de l’habillement, l’année qui s’achève aura vu KIABI et ZEEMAN ouvrir leur deuxième magasin parisien dans les 13e et 19e arrondissements, alors que NAUMY a inauguré un premier point de vente au 42-44 rue du Faubourg Saint-Antoine (Paris 12e). Enfin, du côté des discounters, NORMAL a doublé le nombre de ses magasins parisiens, tandis qu’ACTION en ouvrira deux prochainement dans les 15e et 19e arrondissements.
La baisse de la vacance se poursuit
La diversité de la demande des enseignes est l’un des signes du dynamisme du marché parisien, dont témoigne également l’évolution du ratio entre départs et arrivées d’enseignes sur les grandes artères de la capitale. Ainsi, 60% des mouvements relevés au 2nd semestre 2023 sur les 12 axes suivis par Knight Frank concernent des arrivées d’enseignes, contre 40% de départs. A la même époque en 2021, le solde était largement négatif (63% de départs contre 37% d’arrivées). La capitale commençait alors à se remettre de la crise sanitaire, avec un taux de vacance moyen de 8,3%. « Depuis, le taux de vacance moyen de ces 12 axes n’a cessé de diminuer, s’établissant à 6,5% à la fin de 2022 et à 5,2% désormais. La décrue concerne la quasi-totalité des grandes artères parisiennes, sur le segment du luxe ou sur un créneau moins haut de gamme, détaille Antoine Salmon. Le taux de vacance est par exemple de 2,1% sur la meilleure portion de la rue Saint-Honoré** alors qu’il s’élevait encore à près de 5% il y a un an. De nouvelles prises à bail et ouvertures y ont été recensées depuis janvier, parmi lesquelles plusieurs marques italiennes telles VALEXTRA, PALM ANGELS, SANTA MARIA NOVELLA ou PIOMBO. Le nombre de disponibilités est également très limité sur l’avenue Montaigne, avec un taux de vacance légèrement inférieur à 2% et des mouvements portant principalement sur des opérations de rénovation-extension et des transferts. La baisse de la vacance est également significative rue de Rivoli, s’établissant à 3,2% à la fin de 2023 contre 6,4% à la fin de 2021 et 8,8% deux ans auparavant. En revanche, deux rues se démarquent par une vacance élevée et en hausse : la rue du Faubourg Saint-Honoré d’une part, avec un taux de 11,2%, et le boulevard Saint-Michel d’autre part, avec un taux de 14,3%.
Remontée possible dans les prochains mois ?
« Ces prochains mois, la demande soutenue des enseignes et le coup de boost donné par les Jeux Olympiques devraient maintenir le taux de vacance moyen à un niveau assez bas. On peut néanmoins s’interroger sur l’évolution de la vacance à plus long terme du fait d’un contexte économique moins porteur, du durcissement de la situation géopolitique et du ralentissement récent des arrivées de touristes. La capacité d’absorption du marché parisien des commerces pourrait également être mise à l’épreuve par la commercialisation d’un nombre potentiellement plus important de grandes et moyennes surfaces », ajoute Antoine Salmon. Plusieurs projets de restructuration ont en effet été lancés ou sont en préparation sur des axes importants (Champs-Elysées, rue de Rivoli, boulevard Haussmann, etc.), tandis que les disponibilités seront aussi gonflées par des libérations significatives, à l’exemple de celle d’IKEA boulevard de la Madeleine.
La hausse du nombre de procédures dans les secteurs du commerce et de la restauration est également à suivre avec attention. En 2023, une quarantaine ont pour l’instant été recensées en France. Celles-ci concernent au total 27 enseignes, dont 74% ont des points de vente dans la capitale. Plusieurs concernent le secteur de l’habillement, comme DON’T CALL ME JENNYFER, DPAM ou COTELAC. « Les procédures se traduisent généralement par des réductions de réseaux de points de vente, qui peuvent effectivement alourdir l’offre de locaux disponibles. Cela dit, les disparitions d’enseignes restent rares et les reprises permettent de limiter le nombre de fermetures. Ainsi, JD SPORTS a mis la main sur une majorité de magasins GAP à Paris, comme le 62 rue de Rennes ou le 36 rue Tronchet », précise Antoine Salmon.
Si Paris représente une part modeste des magasins d’enseignes d’habillement mass-market en France, son exposition au segment du « luxe accessible » est en revanche plus importante. Or, ce dernier a récemment donné plusieurs signes d’affaiblissement. Après avoir multiplié les points de vente au cours des années 2010, la dynamique actuelle du luxe accessible est en effet moins positive, certaines marques redimensionnant leur réseau à la baisse. Ceci n’est pas sans conséquence pour le marché immobilier des commerces en raison du poids relativement important de ce secteur dans la capitale. Ainsi, sur un panel de quelque 30 enseignes françaises de "luxe accessible" comptant au total près de 1 700 magasins en France, 300 sont situés à Paris. Certains quartiers ont été particulièrement privilégiés par ces marques quand elles étaient en phase d’expansion, comme le Marais. Toutefois, l’impact sur ce quartier de potentielles fermetures serait probablement limité. La demande des enseignes y est en effet soutenue et variée, et son offre immobilière très restreinte avec un taux de vacance moyen de 4,4% sur ses six principaux axes. « Alors que les consommateurs sont plus que jamais accros à la nouveauté, le Marais bénéficie pleinement de son image de quartier à la pointe des tendances. Les concepts s’y renouvellent rapidement, dans des domaines variés et dynamiques comme la restauration, les accessoires, la beauté ou certains secteurs de l’habillement. Le Marais est aussi le quartier parisien privilégié des nouveaux entrants étrangers et des DNVB pour l’ouverture de leurs boutiques en propre », indique Antoine Salmon.
Investissement : à contre-courant du marché français
Le Marais est également le théâtre de quelques-unes des cessions les plus significatives recensées à Paris, avec l’achat cet été par GROUPAMA GAN REIM de l’« Hôtel de Coulanges » au 35-37 rue des Francs Bourgeois, ou la vente en cours du BHV à la SOCIETE DES GRANDS MAGASINS. D’autres opérations importantes ont été dénombrées, certaines n’étant pas comptabilisées dans les volumes investis car considérées comme des ventes utilisateurs, à l’instar des immeubles acquis par KERING et LVMH pour près de deux milliards d’euros.
Même sans cela, le bilan chiffré de 2023 est tout à fait honorable. « A fin novembre, un peu plus d’1,3 milliard d’euros ont été investis sur le marché parisien des commerces, soit un volume assez proche de la moyenne décennale et inférieur de 13% seulement à la belle performance de l’an passé, relève Antoine Grignon, directeur du département Investissement chez Knight Frank France. En revanche, avec 2,8 milliards d’euros engagés à date, les volumes investis sur le marché français des commerces dévissent de plus de 50% par rapport à ceux de l’année précédente.
Antoine Grignon conclut : « Alors que le contexte financier difficile a limité partout ailleurs, et sur toutes les classes d’actifs, les grandes transactions, Paris est allé en 2023 à contre-courant des tendances observées à l’échelle nationale. La période actuelle restera même dans les annales avec la cession, sur un laps de temps très court, de plusieurs des sites et emplacements commerciaux les plus emblématiques de Paris parmi lesquels
« Italie 2 », « Passy Plaza », le « BHV » ou encore le 101 avenue des Champs-Elysées, flagship actuel de Louis Vuitton. L’année 2024 sera peut-être moins exceptionnelle, mais la ville conservera son statut de marché refuge, qui lui a fait traverser les crises tout en maintenant une attractivité inégalée. »