Le point de vue d’Isabelle Saladin, Présidente d’I&S Adviser
Marge brute, juste prix et efficacité opérationnelle doivent redevenir les priorités et les boussoles des chefs d’entreprise face aux sombres perspectives économiques.
L’économie est atone depuis maintenant plusieurs mois (sinon années) et les signaux d’alertes se multiplient. L'industrie tricolore reste sous la pression de la hausse des matières premières, des difficultés d'approvisionnement, de l’inflation. Dans le BTP, les carnets de commande se réduisent sensiblement du fait de la diminution des permis de construire délivrés et des mises en chantier, notamment dans le gros œuvre où ils sont jugés les plus bas depuis 2015. Quant au e-commerce, son trafic baisse avec -8% en 2023 par rapport à 2022 constaté sur les 339 principaux sites marchands français (source : étude de Similarweb).
Si aucun levier n’est activé, si les entreprises attendent juste de nouvelles aides financières ou aménagements de charges de l’État, alors une véritable crise s’enclenchera, avec à la clé récession, explosion des défaillances et destructions de postes par milliers.
Pour éviter d’enclencher ce cercle vicieux, les entreprises doivent agir vite et surtout ne pas attendre que les carnets de commandes soient vides, pas même à moitié. Et pour cela, à nouveau, la solution est dans le retour aux fondamentaux, bien loin des discours des « yakafokon » !
Il faut concrètement, opérationnellement et de manière mesurable, s’engager sur des leviers qui permettent de passer la vague et de sécuriser l’activité des entreprises. Face aux tensions et à la menace de crise économique, le premier réflexe est souvent de gérer les priorités business, actionnariales, RH, etc. Conséquence immédiate : on oublie les “basiques”. Il est temps d’y revenir. Il faut lever la tête du guidon et agir rapidement sur trois points.
Et 1, et 2, et 3 !
La priorité d’entre les priorités est de travailler sa marge brute et faire des choix en conséquence. Trop souvent, en se focalisant sur la croissance du chiffre d’affaires, on oublie de calculer sa rentabilité. Or un chiffre d’affaires élevé à marge très faible n’est pas forcément une solution viable, tout particulièrement en période de baisse des commandes. Il faut donc oser faire un choix de circonstance – même si cela ne va pas plaire à tout le monde : c’est-à-dire privilégier les produits et services à forte marge.
Deuxième action à engager rapidement : fixer le juste prix pour ses offres. Oui la concurrence est rude, oui chaque marché est spécifique, mais ne perdons pas de vue cet adage bien connu que « ce qui est rare est cher ». Face à la hausse des coûts, il faut revoir ses prix, en expliquant à ses clients les raisons des arbitrages faits. Certes, certains (beaucoup ?) refuseront et partiront à la concurrence, mais sans avoir la garantie que la promesse sera tenue par le nouveau fournisseur ou prestataire. Mais d’autres accepteront – et c’est le principal ! N’oublions pas ce qui a été évoqué précédemment : mieux vaut une marge en hausse avec un chiffre d’affaires en légère baisse que l’inverse !
Troisième levier : lutter contre le manque d’efficacité interne qui freine l’activité au quotidien. Quand l’efficacité n’est pas au rendez-vous, très vite, clients, équipes et actionnaires le remarquent. Les causes sont multiples, allant des erreurs de recrutement à l’utilisation de processus et d’outils obsolètes en passant par des problèmes de communication interne. Il faut dont identifier rapidement les sujets critiques sur lesquels une action doit être menée et agir en s’appuyant sur sa feuille de route stratégique.
Pour aller un cran plus loin
D’autres leviers peuvent être activés en complément : le digital dans le but d’optimiser certains processus, d’être plus productif sur certaines tâches et d’augmenter la marge ; la RSE qui peut rendre une marque employeur et/ou avec des offres plus attractives auprès de publics sensibles aux enjeux du développement durable (en évitant le greenwashing) ; ou encore l’ouverture sur des marchés connexes afin d’éviter un positionnement mono-produit qui s’avère risqué en période de crise et de tensions sur les carnets de commande.
Une autre piste est de solliciter l’appui d’un operating partner, cet ex-chef d’entreprise « qui l’a déjà fait » et qui va apporter ses retours d’expérience terrain sur ce qui marche et ce qu’il ne faut surtout pas faire. Il aidera au diagnostic, à l’identification des points nécessitant une intervention, à leur priorisation et à l’établissement d’un plan d’action opérationnel.
Parce que les périodes de crise sont aussi des moments-clés pour questionner le potentiel business, la capacité de développement et la résilience d’une entreprise face aux aléas économiques, les dirigeants de PME et d’ETI gagneront beaucoup à travailler leurs fondamentaux et leur organisation opérationnelle pour passer le cap et assurer la pérennité de leurs activités à moyen et long terme.