Par Isabelle Saladin, Présidente d’I&S Adviser
Le défi de la transmission des PME prend de l’ampleur en France. Identifier les freins est important pour savoir qui peut agir et sur quoi.
D’un côté, des fermetures d’entreprises sont annoncées chaque semaine faute de repreneurs. De l’autre, des dirigeants de TPE-PME disparaissent sans laisser de trace comme en 2021 à Lannion (Côtes d’Armor) où le patron d’une boucherie s’est évaporé après être parti en vacances...
La taille et la notoriété ne changent rien. Si ce sont souvent des petits commerces qui baissent définitivement le rideau, cela arrive aussi à des entreprises renommées comme Sonia Rykiel en 2019 : aucun des repreneurs ne s’est finalement engagé à reprendre les rênes de l’entreprise et les 135 salariés ont tous été licenciés dans le cadre de la liquidation judiciaire.
N’y a-t-il pour autant rien à faire ? Au contraire ! D’autant que Bpifrance soulignait dans une récente étude que « la transmission (...) mérite d’être érigée en priorité absolue pour des entreprises réputées pérennes et attachées à leur territoire ».
Il est temps d’agir auprès des PME qui constituent l’essentiel de notre tissu économique. La question est particulièrement cruciale pour les entreprises familiales qui affichent des performances de développement très dynamiques et ont démontré leur résistance aux crises.
A l’origine du peu de transmissions d’entreprises en France
Plusieurs facteurs contribuent à cette triste tendance. D’abord, l’augmentation du nombre de départ en retraite chez les dirigeants. La DGE estime le nombre d’entreprise à céder dans les 10 prochaines années entre 250 000 et 700 000. Le nombre de 17 000 disparitions d’entreprises par an à la suite du départ en retraite du patron est aussi parfois cité.
Ensuite, il y a la peur de l’inconnu : beaucoup de dirigeants ne savent pas comment se gère une cession ou une transmission. Les mots utilisés sont souvent compliqués ; le procédé n’est pas toujours clair et maîtrisé. Qui plus est, les intermédiaires peuvent aussi susciter de la méfiance, soit en raison du coût élevé de leur intervention, soit d’un excès de technicité et d’un manque de pédagogie.
La loi Hamon de 2014 a également pour impact de ralentir les opérations : en obligeant les chefs d’entreprise à informer leurs salariés au moins deux mois avant la cession de leur société, elle a ajouté des freins techniques et psychologiques. Parmi les principales craintes du dirigeant : le départ de salariés chez ses concurrents ; une déstabilisation de l’entreprise – parce que ses clients sont sur-sollicités et que ses fournisseurs, par précaution, demandent à être payés par anticipation. Cumulés, ces effets multiplient les risques d’échec d’une opération – ce qui signifie in fine pour le chef d’entreprise qu’il perd tout. Une fausse bonne idée, en somme...
Enfin, le contexte et l’état d’esprit vis-à-vis de la transmission d’entreprise au XXIe siècle n’est plus le même qu’au siècle dernier. Pendant longtemps, une entreprise se transmettait de père en fils et de génération en génération. En 2020, les générations ne partagent plus les mêmes objectifs et aspirations, les enfants ne se préparent plus nécessairement à exercer le même métier que leur(s) parent(s). Quant aux secteurs traditionnels, ils attirent moins. Transmettre à un inconnu sans être certain d’avoir les mêmes valeurs et principes, est loin d’être naturel ou engageant.
Des pistes pour agir
Pour lever ces freins, la clé est en partie entre les mains des partenaires du chef d’entreprise.
Plusieurs pistes sont actuellement explorées par des acteurs publics. En Région Hauts-de-France, la CCI régionale a créé début 2023 un « hub de la transmission » qui associe l'ordre des experts-comptables jusqu'au fonds régional de garantie en passant par la Banque de France et la chambre des métiers, pour accompagner les entreprises valorisées à partir de 1 à 1,5 M€ dans leur projet. La Région Nouvelle Aquitaine a publié cet été une feuille de route dédiée à la transmission dans le cadre de son SRDEII (schéma de développement économique et industriel) et organise pour la 6ème année consécutive en novembre 2023 le mois de la transmission d’entreprises avec des conférences, rencontres, rendez-vous d’affaires, etc.
De son côté, la Confédération générale des SCOP a démarré une campagne de communication au cours de l’été pour inciter les patrons de PME à étudier de modèle d’entreprise dans le cas d’une transmission aux salariés.
Enfin, le dirigeant de PME gagnera aussi à s’appuyer sur ses pairs et plus particulièrement ceux qui ont déjà transmis leur entreprise. C’est le cas des operating partners. Parmi les chantiers qui sont à lancer avec leur appui : l’analyse de l’existant et du potentiel de l’entreprise ; la préparation de données et documents à fournir en cas de transmission ; la structuration opérationnelle pour que l’organisation soit prête pour la seconde vie de l’entreprise.
Alors cessera-t-on de voir des entreprises fermer leurs portes faute de repreneur et de projections pour l’avenir ?