Souvent anciens, les dispositifs fiscaux mis en place pour tenir compte de la situation familiale des contribuables ont pour la plupart été institués, à l'origine, dans un objectif de soutien à la natalité. Aujourd'hui, c'est en vertu de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen que « la contribution commune indispensable à l'entretien de la force publique et aux dépenses d'administration doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». C'est ce principe de la prise en compte des « facultés contributives », précisé par une abondante jurisprudence constitutionnelle, qui justifie l'existence de nombreux aménagements de la règle fiscale en fonction de la composition familiale.
La Cour des Comptes a enquêté sur la manière dont les différentes règles fiscales prennent en compte la composition familiale (couple et enfants) pour la détermination de l'impôt. Ces multiples dispositifs représentent des enjeux financiers considérables, puisque la Cour évalue leur impact à 28 Md€ de moindres recettes fiscales.
Le rapport publié examine le fondement législatif de ces dispositions, analyse leur cohérence et apprécie leurs effets en gestion pour les services fiscaux et les contribuables. La Cour, dans le cadre constitutionnel et législatif actuel, formule 10 recommandations dans le sens d'une plus grande cohérence des avantages fiscaux familiaux, d'une amélioration de leur gestion et d'une lutte plus efficace contre leur détournement.
Différents impôts modulés selon la composition familiale pour un impact global de 28 Mrds€
Le principe de l'impôt sur le revenu est celui d'une imposition conjointe des couples mariés et pacsés et d'une prise en compte des enfants au sein du foyer fiscal par le mécanisme du quotient familial. Des demi-parts fiscales additionnelles bénéficient à certains contribuables placés dans des situations particulières (invalidité, veuvage, anciens combattants, parents isolés). La prise en compte du conjoint et des enfants diffère sensiblement selon les impôts : les couples en union libre sont imposés séparément à l'impôt sur le revenu mais conjointement au titre de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) tandis que l'âge limite de prise en compte des enfants varie également (rattachement jusqu'à 21 ou 25 ans pour l'impôt sur le revenu, des seuls enfants mineurs pour l'IFI ou bien prise en compte jusqu'à 20 ans sous certaines conditions pour les familles nombreuses).
L'impact sur les finances publiques de la prise en compte de la famille par le système fiscal a atteint un peu plus de 28 Mrds€ en 2021, dont 27,6 Md€ au titre de l'impôt sur le revenu, soit 1,1% du PIB, 9,5% des recettes fiscales nettes de l'État et 34,5% du produit net de l'impôt sur le revenu.
La période récente a été marquée par un recul des avantages fiscaux liés à la famille, avec deux baisses du plafond du quotient familial en 2013 et 2014, l'absence de quotient familial dans la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, qui était minorée pour les familles, ou de certaines réductions de l'impôt de solidarité sur la fortune et les droits de succession au profit des familles.
Une complexité des règles fiscales source de difficultés en gestion
L'existence de multiples règles, différentes selon les impôts, ne facilite pas leur appropriation par les contribuables et est source de complexité en gestion pour les services de la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Il est probable que la méconnaissance de certains dispositifs conduise à des phénomènes de non recours. Par ailleurs, la complexité de la législation fiscale peut favoriser des irrégularités, qu'elles soient intentionnelles ou non. Le développement récent du repérage d‘anomalies au moyen de traitements de données en masse (« data mining ») a déjà permis de procéder à des vérifications ciblées de plusieurs milliers de dossiers. Le développement du repérage automatique des anomalies constitue une avancée qu'il convient de conforter.
Des effets redistributifs discutés qui devraient être quantifiés de manière plus approfondie
Les effets redistributifs globaux de la familialisation de l'impôt sur le revenu sont complexes à appréhender. En particulier, le quotient familial favorisant les familles les plus aisées, il atténue la redistribution opérée par la progressivité de l'impôt même si l'avantage qui en résulte est plafonné. Le système de l'imposition conjointe des couples mariés et pacsés diminue le taux marginal d'imposition du conjoint aux revenus les plus élevés mais augmente celui du conjoint dont les revenus sont les plus faibles. Il est parfois dénoncé comme désincitatif au travail des femmes sans que cela soit réellement démontré. À l'international, le système français du quotient familial fait figure d'exception. Ces trente dernières années, la tendance générale dans les pays de l'Union européenne est allée dans le sens d'une individualisation de l'impôt, sans exclure la reconnaissance d'une forme de solidarité au sein des foyers ou en tenant compte des charges de parentalité par des mécanismes plus directs comme l'abattement, la réduction d'impôt, le crédit d'impôt ou la modulation du barème de l'impôt. Ces différents modèles ont inspiré des propositions de réformes du système actuel. En tout état de cause, une réforme, quelle qu'elle soit, nécessite au préalable une réflexion sur la re distributivité du système socio-fiscal pris dans son ensemble.