A l’occasion de la tenue du SIEC, Salon international des espaces commerciaux, Knight Frank dresse un état des lieux complet du marché immobilier des commerces en France et anticipe son évolution lors des mois à venir
En 2022, la consommation avait plutôt bien résisté au déclenchement de la guerre en Ukraine et à l’explosion de l’inflation. Depuis janvier, celle-ci vacille sous l’effet conjugué de la dégradation du climat économique et de la poursuite de la hausse des prix. Elle ne devrait pas se redresser significativement d’ici la fin de l’année, tandis que les arbitrages contraints des ménages se renforceront aux dépens de certaines catégories de produits et de certaines enseignes. Dans le même temps, celles-ci subissent la hausse des coûts d’exploitation, entre inflation salariale, remontée des prix de l’énergie et alourdissement du poste immobilier lié à l’envol de l’indice des loyers commerciaux (ILC) et de la taxe foncière.
Plus de 3 000 fermetures liées aux procédures…
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant de voir décoller le nombre d’enseignes concernées par des procédures. « 32 procédures ont été recensées par Knight Frank lors des huit premiers mois de 2023 dans le commerce et la restauration, un nombre deux fois supérieur à celui de 2021 et se rapprochant de celui de 2020 » indique Antoine Salmon Directeur du département Commerces chez Knight Frank France. Sur l’ensemble de la période 2020-2023, un peu plus de 100 procédures ont été dénombrées en France, concernant un total de 80 enseignes dont 44% appartiennent au secteur du textile et de la chaussure (NAF NAF, SAN MARINA, JENNYFER, etc.).
« Les procédures relevées depuis 2020 ne sont qu’une minorité à avoir abouti à des disparitions d’enseignes. Pour autant, leur impact sur le marché immobilier est loin d’être négligeable compte tenu des réductions de réseaux de points de vente auxquelles elles ont donné lieu. Sur les 8 800 magasins que comptaient initialement ces 80 enseignes en France, nous estimons ainsi à 3 200 le nombre total de fermetures, dont une part considérable représentée par quelques enseignes comme CAMAIEU » précise Antoine Salmon. Si plusieurs des magasins fermés ont été reloués, d’autres sont toujours vacants et disponibles sur le marché, posant le risque d’une hausse durable de la vacance au sein des sites commerciaux et territoires les moins prisés de l’Hexagone, qu’il s’agisse de centres-villes et de galeries en déclin ou de zones commerciales de second rang. « Néanmoins, 5 600 de ces 8 800 points de vente sont toujours ouverts au 1er septembre 2023, dont 89% ont conservé la même enseigne et 11% en ont changé ou doivent en changer dans le cadre d’une reprise » poursuit Antoine Salmon.
Si les procédures permettent in fine à certaines enseignes de se relancer en redimensionnant leur réseau de points de vente à la baisse, elles offrent aussi de belles opportunités d’implantation à quelques enseignes en pleine expansion, à l’image de JD SPORTS, INTERSPORT ou JOUECLUB avec les reprises respectives de GAP, GO SPORT et LA GRANDE RECRE, ainsi qu’à de nouveaux entrants cherchant à prendre rapidement position sur le territoire hexagonal, à l’image du rachat par le discounter allemand TEDI d’une quarantaine de magasins MAX PLUS.
…mais des plans d’expansion toujours dynamiques
De fait, si l’accélération des procédures et les difficultés de certaines enseignes sont indéniables, d’autres se développent et affichent d’importantes ambitions, ce qu’illustre par exemple le nombre quasi record de nouvelles enseignes étrangères ouvrant leur premier magasin en France. « 58 arrivées d’enseignes étrangères inédites sont attendues en France en 2023, chiffre à comparer aux 49 recensées l’an passé et aux 61 relevées lors du pic de 2019 » annonce Antoine Salmon. L’analyse des nouveaux entrants par catégorie de produits confirme les tendances observées depuis le déclenchement de la crise sanitaire, avec d’une part le boom du secteur de la restauration (38% des arrivées de nouveaux entrants prévues en 2023 contre 21% en moyenne depuis 10 ans) et d’autre part le déclin de la mode (21% des arrivées prévues en 2023 contre 33% en moyenne depuis 10 ans).
Tous secteurs confondus, les enseignes étrangères arrivées en France lors des dix dernières années cumulent près de 3 000 ouvertures. Quelques-unes concentrent une part importante de ce total, comme l’enseigne néerlandaise de fitness BASIC FIT avec 750 clubs ouverts depuis 2014 en France dont un peu moins de 400 depuis 2020. « Si le chiffre des ouvertures cumulées de nouveaux entrants est considérable, les ambitions de développement d’autres enseignes présentes en France le sont également. Ainsi, Knight Frank a identifié près de 120 plans d’expansion en 2023 qui, s’ils se concrétisaient, se traduiraient par l’ouverture de plus de 1 800 points de vente cette année. Ceci permet de relativiser les 3 200 fermetures liées aux procédures, car si certains pans du marché décrochent, la réalité est plutôt celle d’un paysage français se recomposant autour de nouveaux acteurs et de certaines activités ou catégories de produits en plein essor » avance Antoine Salmon.
Les développements restent particulièrement nombreux dans le secteur de la restauration, qui concentre 30% de tous les plans d’expansion recensés en 2023. Cette part élevée tient notamment au succès de la franchise, également dynamique dans l’alimentation même si quelques activités s’essoufflent, comme le bio dont les leaders rationalisent aujourd’hui leur réseau en raison de la chute des ventes. Enfin, plusieurs autres secteurs sont dynamiques comme l’animalerie, le sport et bien sûr le discount, qui continue de profiter à plein de la hausse de l’inflation et de la recherche d’économies des Français. Les enseignes à petits prix s’étendent aussi bien en périphérie qu’en centre-ville, à l’exemple du développement toujours soutenu d’ACTION (75 ouvertures prévues en 2023 en France) ou des magasins récemment ouverts par NORMAL rue de la République à Lyon et rue d’Alésia à Paris en lieu et place d’anciens magasins PARASHOP et CAMAÏEU (deux enseignes ayant alterné redressements, reprises et liquidations depuis 2020).
Paris, bientôt ralenti par la rareté de l’offre disponible ?
La demande soutenue des enseignes se heurte parfois à une offre immobilière plus restreinte. C’est le cas sur les principaux axes parisiens, où la vacance poursuit sa baisse. A la fin du 1er semestre 2023, le taux de vacance moyen des douze grandes artères parisiennes suivies par Knight Frank atteignait ainsi 5,8% contre 6,8% il y a un an et 9% deux ans auparavant. « La tendance baissière ne s’est pas démentie depuis juin, comme sur la rue Saint-Honoré où quelques mouvements ont fait descendre la vacance à 2%. Sur les Champs-Elysées, actuellement en pleine effervescence, celle-ci a également diminué et frôle 4% » indique Antoine Salmon. Plusieurs transactions significatives ont récemment été actées sur l’avenue, à l’exemple d’ADIDAS et de JD SPORTS, succédant aux signatures de LULULEMON, de FOOT LOCKER et du PSG en 2021 et 2022. L’avenue des Champs-Elysées est en effet une cible majeure pour les marques et grands distributeurs d’articles de sportswear, auxquels elle offre une forte visibilité qu’amplifient le rebond du tourisme international et la tenue prochaine des Jeux Olympiques. Quelques enseignes de mode milieu et haut de gamme prennent également pied sur l’avenue, avec les prises à bail récentes par URBAN OUTFITTERS et CALVIN KLEIN des n°102 et 44. Enfin, le luxe ne cesse d’y étendre son influence : KERING dévoilera bientôt le flagship SAINT LAURENT au n°123, RICHEMONT prépare l’arrivée de ses marques horlogères PANERAI et IWC aux n°120 et 73 et LVMH mène deux projets emblématiques pour DIOR et LOUIS VUITTON aux n°101 et 103.
« Plusieurs mouvements significatifs sont encore attendus d’ici la fin de l’année sur les artères prime parisiennes. Au-delà, leur nombre pourrait diminuer, non pas à cause d’un essoufflement de la demande des enseignes mais du nombre plus réduit d’opportunités d’emplacements disponibles » poursuit Antoine Salmon. Quant aux valeurs locatives des meilleurs axes, dont la plupart se sont maintenues en un an, elles pourraient subir une pression à la hausse après avoir brièvement décroché après le déclenchement de la crise sanitaire. Dans certains quartiers particulièrement recherchés comme le Marais, celles-ci peuvent d’ores et déjà dépasser leur niveau pré-Covid en raison de la rareté de surfaces adaptées à la demande des enseignes.
Zones commerciales : de moins en moins, de mieux en mieux
Hors de Paris, la situation est évidemment contrastée même si la vacance commerciale reste globalement maîtrisée. Si des friches commerciales peuvent exister, leur généralisation n’est pas à l’ordre du jour, d’autant que le développement de nouvelles surfaces commerciales ne cesse de diminuer, contribuant à limiter la hausse de l’offre et la concurrence entre sites commerciaux. « En 2022, un peu plus de 360 000 m² de nouveaux ensembles commerciaux avaient été livrés en France, soit une baisse de 32% sur un an et de 52% par rapport à la moyenne des cinq années précédant la crise sanitaire. La chute s’est accélérée depuis le début de 2023 avec à peine 100 000 m² ouverts en huit mois, incluant les 20 000 m² du village de marques de Giverny, dans l’Eure » détaille Antoine Salmon. Sur l’ensemble de 2023, le volume des ouvertures pourrait approcher celui de l’an passé. Qu’en sera-t-il après 2023 ? « Plusieurs grands projets sont encore dans les cartons. Toutefois, seule une part, sans doute modeste mais difficile à évaluer, se concrétisera en raison des difficultés de financement, du poids croissant des recours et du durcissement de la réglementation, lié à l’entrée en vigueur de la loi Climat ou encore à l’extension des pouvoirs de la CNAC », explique Antoine Salmon. De fait, les reports ou annulations de grands projets, souvent initiés bien avant la crise sanitaire, se multiplient.
La quasi-disparition des créations de grands centres commerciaux est une tendance à l’œuvre depuis plusieurs années. Celle de la baisse drastique des nouveaux retail parks est en revanche plus récente. « Alors que 500 000 m² étaient encore inaugurés en 2019, seuls 200 000 m² ont ouvert en France l’an passé, niveau le plus bas enregistré depuis l’émergence de ce format commercial au début des années 2000. Le phénomène s’accentue en 2023 avec à peine plus de 50 000 m² livrés au 1er septembre et moins de 120 000 m² potentiellement attendus d’ici la fin de l’année » précise Antoine Salmon. L’heure est désormais clairement à la transformation. Là encore, il ne s’agit pas d’une nouveauté, en particulier pour les propriétaires de centres commerciaux qui depuis plusieurs années multiplient les projets destinés à adapter leurs actifs en les ouvrant à de nouveaux usages (coworking, médical, etc.), réduisent l’espace dévolu aux hypers pour varier l’offre et optimiser les revenus locatifs ou encore restructurent des sites commerciaux pour en faire de véritables morceaux de ville. Cependant, il est vrai que les planètes n’ont jamais été aussi alignées pour retravailler les zones commerciales, le contexte réglementaire (zéro artificialisation nette), allié aux enjeux sociaux (pénurie localisée de logements) et climatiques, incitant les opérateurs à valoriser leurs réserves foncières, à l’exemple du partenariat récemment noué entre CARREFOUR et NEXITY.
Investissement : un marché riche d’opportunités, mais bridé par la hausse des taux d’intérêt
Si l’heure est sans conteste à la transformation, elle n’est plus au retail bashing. « Le marché des commerces redevient attractif pour un nombre croissant d’investisseurs du fait de l’évolution favorable des derniers mois, qu’il s’agisse du retour des touristes étrangers et de la baisse de la vacance à Paris ou, en périphérie, du dynamisme de la demande des enseignes, de l’assèchement des projets de développement et du potentiel de valorisation du foncier » explique Antoine Grignon, Directeur du département Investissement chez Knight Frank France. A l’exception des pieds d’immeuble prime, les commerces offrent en outre de meilleurs rendements que d’autres classes d’actifs, parfois plus fragilisées par la crise sanitaire comme les bureaux franciliens.
Néanmoins, ces opportunités ne se traduisent pas par un rebond des sommes engagées sur le marché des commerces, encore pénalisé par la hausse des taux d’intérêt et la prudence des investisseurs. « Après un excellent début d’année et un 2e trimestre en demi-teinte, l’activité a continué de ralentir cet été. Après 1,3 milliard au 1er trimestre 2023 puis 600 millions d’euros au 2e trimestre, seuls 100 millions ont ainsi été investis sur le marché français des commerces en juillet et en août. Ce montant porte à près de 2 milliards d’euros l’ensemble des sommes engagées lors des huit premiers mois de 2023 contre 3,5 milliards il y a un an » détaille Antoine Grignon. La performance de 2022 était toutefois exceptionnelle, gonflée par la réalisation d’une dizaine de transactions supérieures à 100 millions d’euros contre cinq recensées depuis janvier. Par ailleurs, le résultat des huit premiers mois de 2023 dépasserait celui de la même époque l’an passé si l’on prenait en compte l’ensemble des acquisitions réalisées pour le compte des groupes KERING et LVMH à Paris, à l’exemple de l’achat récent par ce dernier du 101 avenue des Champs-Élysées.
L’activité pourrait-elle bientôt rebondir ? Oui si l’on songe aux quelques grandes signatures à venir, ou aux dossiers importants récemment mis sur le marché et dont les caractéristiques devraient susciter l’intérêt des investisseurs. Pour autant, les perspectives sont assombries par l’évolution des taux d’intérêt, que la BCE vient à nouveau d’augmenter pour les porter à un niveau record. « Cette énième hausse va sans doute retarder la reprise du marché de l’investissement. C’est aussi le signe de la difficulté à juguler l’inflation, qui demeure bel et bien le facteur déterminant pour les mois à venir, aussi bien pour les consommateurs et les enseignes que pour les investisseurs » conclut Antoine Grignon.