Par Alexandre Baradez, Analyste Marchés chez Saxo Banque
Même si, sur les marchés financiers et notamment le marché de la dette, la fracture (ou plus exactement la « fragmentation ») se réduit entre les Etats de la zone euro, la situation politique semble prendre le chemin inverse.
On connaissait déjà la fracture économique entre les pays du « Nord » et ceux du « Sud » de la zone euro, comme en témoigne la concentration de « AAA » dans la partie nord de l'Europe... mais cette fracture s'était, du moins en apparence, réduite lors des différentes rencontres européennes et notamment le sommet de juin 2012 au cours duquel les grande lignes directrices pour les années à venir avaient été mises en place (union bancaire, fonds de soutien MES, aide au secteur financier espagnol, etc..).
Ce consensus sur le fond et sur la forme a tout de suite plu aux marchés qui ont dès lors commencé à inverser leur trajectoire hésitante avant d'être catapultés à la hausse par l'intervention de Mario Draghi quelques jours plus tard.
Cette volonté affichée en juin de renforcer les outils de la convergence européenne et de mettre en place les pare-feu nécessaires aura duré jusqu'à ce que les discussions sur le budget européen ravivent les tensions entre pays membre de la zone euro et plus largement, de l'Union Européenne.
Mais ce sont les déclarations sur le niveau de l'euro par rapport aux autres devises qui ont remis au grand jour les divergences profondes qui persistent au niveau européen et l'exercice extraordinairement délicat d'appliquer une politique monétaire commune à des Etats présentant des structures et un tissu économique très différents.
C'est d'ailleurs un point qu'avait, il y a quelques mois, soulevé le président de la FED au sujet de la zone euro en déclarant que les Etats-Unis avaient une politique monétaire et budgétaire commune alors que la zone euro disposait d' une politique monétaire commune (via la BCE), mais d'autant de politiques budgétaires qu'il y a d'Etats membres.
Un des premiers pays à « ouvrir le feu » sur le niveau de l'euro a été la France par la voix de son ministre de l'Economie, rapidement suivi par le Président lui-même. Réaction immédiate de l'Allemagne par l'intermédiaire du porte-parole de la chancelière qui a déclaré que l'euro n'était pas surévalué. Même rapidité de réaction lorsque la France a émis l'idée d'une politique monétaire en zone euro : les taux de change doivent être librement fixés par le marché selon les dirigeants allemands. Le président de la Bundesbank lui-même s'est exprimé à ce sujet en confortant les propos de l'exécutif.
Depuis que ce débat sur le niveau de l'euro s'est intensifié, les marchés ont tout de suite cessé leur progression, nous rappelant (même si c'est à un moindre degré) que les divergences politiques et l'absence de consensus qui prédominaient au plus fort de la crise de la dette avaient fait plonger les marchés à des niveaux extrêmes, niveaux ne reflétant plus les fondamentaux économiques réels de la zone euro.
C'est bien l'absence de consensus politique au plus fort de la crise de la dette qui a catalysé la baisse des marchés et fait flamber les taux d'emprunt des pays fragiles. Bien au-delà des conséquences économiques réelles...
Les marchés nous rappellent une nouvelle fois depuis quelques jours qu'ils sont autant attentifs aux décisions « politiques » qu'aux statistiques économiques. Face à la vague de politiques monétaires accommodantes au Japon, Etats-Unis ou encore Grande-Bretagne, la zone euro devra parler d'une seule voix au risque de brouiller le message délivré et de freiner la timide reprise qui s'annonce pour le second semestre 2013.
Le G20 à Moscou en fin de semaine sera une occasion à ne pas rater...