Médire d’un collègue n’a jamais été une bonne idée. D’autant plus si cela pénalise l’avancée de votre carrière.
Une étude menée par plusieurs chercheurs, dont Shiva Taghavi et Helena González-Gómez de NEOMA Business School, a démontré que les destinataires de ragots au travail peuvent aller jusqu’à en sanctionner socialement et professionnellement les colporteurs. Une réaction encore plus marquée chez les femmes.
Les potins, les qu’en-dira-t-on, les on-dit, les ragots… S’il existe tant de manières de parler de commérages, c’est que ces derniers jouent un rôle prépondérant dans nos interactions avec les autres. Le milieu professionnel n’est pas épargné : les ragots représenteraient 14% de nos conversations au travail. Et presque tout le monde est concerné, puisque 90% de la main d’œuvre reconnait s’y adonner. Les commérages font donc partie intégrante de la communication au travail. Ils favorisent la coopération au sein d’un groupe et créent du lien social. Avec qui vaut-il mieux collaborer ? De qui faut-il se méfier ? Ces questions sont par exemple essentielles pour une nouvelle recrue qui devra de toute façon trouver le moyen d’y répondre, avec ou sans l’avis d’autrui.
Ces discussions informelles peuvent être neutres, positives, mais aussi négatives, devenant alors problématiques. « Si celles-ci sont évidemment néfastes pour la personne ciblée, elles peuvent également nuire à la personne qui en est à l'origine. Afin d’évaluer l’ampleur du retour de bâton, nous nous sommes intéressés au comportement du destinataire de commérages », explique Shiva Taghavi, co-auteure de l’étude et enseignante-chercheuse de NEOMA Business School. Comment juge-t-il la personne qui rapporte un ragot ? Peut-il la sanctionner de manière sociale ou professionnelle ? Les femmes et les hommes ont-ils le même comportement ?
Le commérage, une attitude immorale lourdement sanctionnée
Dans leur étude, les chercheurs se sont intéressés aux ragots négatifs, qui affectent davantage que les ragots positifs. Ils ont mené l’enquête auprès d’employés américains, en les mettant en situation de commérage, ou en leur demandant de se remémorer un événement similaire de leur passé.
En accord avec de précédents travaux, les chercheurs observent une condamnation morale des médisances. « Autrement dit, les émetteurs sont blâmés pour s’être adonnés à des commérages, et d’autant plus lorsque leur motivation est perçue comme malveillante ou intéressée. La réputation des colporteurs est alors ternie et les destinataires s’en méfient », souligne Helena González-Gómez, co-auteure de l’étude et enseignante-chercheuse de NEOMA Business School. En conséquence, ils punissent le comportement des caqueteurs en les excluant socialement au sein de l’entreprise ou en faisant barrière à leur progression de carrière. Ils peuvent ainsi sous-évaluer leurs performances au travail ou fournir des informations défavorables à l’obtention d’une prime ou d’une promotion.
« Par ailleurs, les femmes sont plus strictes que les hommes quand il s’agit de condamner les colporteurs de ragots. En ce sens, l’étude relève des différences de genre encore méconnues dans le raisonnement moral des destinataires de ragots », précise Shiva Taghavi. Ces connaissances apportent de nouvelles pistes de réflexion pour lutter contre les comportements inhérents aux commérages dans le milieu professionnel.
Les ragots au travail, un problème de ressources humaines
Des travaux de recherche ont constaté qu’environ trois quarts des commérages au travail sont neutres et traitent de sujets banals, comme la destination des prochaines vacances d’un collègue. « Les médisances plus négatives deviennent cependant problématiques lorsqu’elles touchent la vie privée. Elles peuvent mener à la démission de la personne ciblée et plus globalement, nuire à la productivité de l’entreprise », poursuit Helena González-Gómez. C’est pourquoi les services chargés des ressources humaines s’attachent à endiguer, tout du moins à limiter au maximum la propagation de médisances.
Pour cela, il est nécessaire de jongler avec les différentes parties prenantes impliquées. Les chercheurs recommandent aux organisations d’être proactives en sensibilisant leurs employés sur les conséquences morales des commérages. Ils insistent sur les répercussions disproportionnées que peuvent avoir les ragots sur la carrière de leurs émetteurs et leur intégration sociale dans l’entreprise. « Nous préconisons enfin de prendre en compte le genre des employés et de confronter les points de vue, par exemple en faisant interagir hommes et femmes sur leurs différentes interprétations des comportements inhérents aux ragots sur le lieu de travail », détaille Shiva Taghavi.
Toutefois, les qu’en-dira-t-on et leurs répercussions dépendent fortement de la qualité de la relation entre leur émetteur et leur récepteur, ce qui n’a pas été pris en compte dans l’étude des chercheurs. « De même, il a été démontré qu’un ragot en appelle souvent un autre au cours d’une conversation où chacun peut être tantôt émetteur, tantôt récepteur. La dynamique complexe des commérages au travail et leurs conséquences sont donc loin d’avoir révélé tous leurs secrets », conclut Helena González-Gómez.