Tribune de Sabrine Aouida, Head of ESG Expertise de WeeFin
La refonte du label ISR (Investissement Socialement Responsable) fait l’objet d’une consultation de place jusqu’au 31 mai prochain. Sa nouvelle mouture est attendue pour fin septembre. Face à de nouvelles contraintes, l’offre risque de se polariser entre des fonds ESG (Environnement, Social, Gouvernance) « plus que parfaits » et des fonds articles 8 qui ne répondront plus aux critères de l’investissement ISR.
L’intégration de la durabilité dans les stratégies d’investissement est un enjeu majeur pour les sociétés de gestion et leur écosystème. D’une part, l’harmonisation entre les réglementations européennes et nationales en matière de finance responsable progresse. D’autre part, les divergences d’approche en matière de finance durable et l’évolution rapide du cadre réglementaire et de la supervision compliquent la donne.
Directives européennes, propositions d’évolution des textes, les prises de positions de nombreuses instances politiques et de régulation se multiplient en matière de finance durable. Non sans soulever des ambiguïtés quant à l’application des textes. Ainsi, la future voie vers laquelle évolue l’investissement ESG illustre à la fois la complexité mais aussi l’incertitude réglementaires qui entourent le secteur de la gestion d’actifs.
L’offre de fonds ESG pourrait se réduire comme peau de chagrin
Par de nouveaux critères et un renforcement des critères positifs, des directives plus claires sont données en matière d’engagement actionnarial et le suivi des controverses permettra une approche plus dynamique de l’analyse ESG. Le label ISR instaure ainsi une base d’exigences minimales nécessaires afin d’éviter les incohérences.
Cependant, ce dernier va rendre obligatoire des règles jusqu’ici facultatives pour les fonds « article 8 » au regard de SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et certaines exigences risquent d’exclure certains fonds, notamment thématiques. En effet, parmi les propositions de révision du référentiel du label ISR, figure une pondération minimale de 20% de chacun des piliers E, S, G dans la note globale. Une nouvelle exigence porte également sur les exclusions sectorielles et normatives, ce qui semble être une bonne chose. Mais il faut savoir que les fonds ISR sont investis dans des sociétés qui, en moyenne, réalisent 20% de leurs chiffres d’affaires (CA) dans les énergies fossiles. Or, le nouveau seuil d’exclusion serait fixé à 5% du CA réalisé dans le pétrole ou le gaz. Cela inciterait fortement les fonds ISR flagship à baisser leurs seuils d'exclusion et à utiliser de manière plus raisonnée l'argumentaire de l'engagement. On pourrait alors s'attendre à ce que le critère d'exclusion soit un levier d'accélération pour les entreprises polluantes à modifier leur activité pour être moins exposées aux énergies fossiles. Un ajustement sera donc fait dans la stratégie des fonds, car en plus d’être conformes à la réglementation SFDR, ils devront également répondre aux exigences de la refonte du label ISR.
Les fonds « article 8 », au sens de la réglementation SFDR, bien qu'ils intègrent des critères ESG de manière plus ou moins systématique, ne pourront pas répondre à un cahier des charges strict tels que proposé par la refonte du label ISR, et par conséquent, communiquer à large échelle ou se faire référencer. On risque de voir apparaître deux tendances opposées :
- D’un côté, la marche pour atteindre la catégorie 9 ne sera plus si haute pour les fonds « article 8 » qui avaient déjà une stratégie durable robuste et intégraient les Principal Adverse Impacts (principales incidences négatives ou PAI.
- De l’autre, des acteurs risquent de voir ce label trop contraignant et préfèreront déclasser leur fonds en Article 6.
En outre, le marché risque de se polariser vers des fonds « plus que parfaits » avec des fonds « article 9 » intégrant des objectifs ESG et des fonds qui en seront dépourvus et qui retomberont dans la catégorie « article 6 ».
Sans oublier qu’avec ces nouvelles directives, on tend vers une standardisation des sociétés de gestion et des produits qu’elles proposent, laissant de moins en moins la possibilité aux acteurs d’avoir leurs propres stratégies ESG en alignement avec leurs convictions.
Le futur référentiel ISR risque ainsi de freiner l’incitation à la transition des acteurs les moins vertueux en matière d’environnement et de climat. Faute de nuance, la finance durable pourrait embarquer moins d’acteurs alors que les enjeux de durabilité nécessiteraient d’orienter massivement les flux financiers vers de nombreuses entreprises en cours de transformation et qui feront l’économie de demain. La réglementation devrait plutôt prévoir de servir toutes les stratégies et classes d’actifs, en poussant à la transparence plutôt qu'à la standardisation.
Un cadre réglementaire fragmenté et ambigu
La mise en œuvre et les évolutions à venir de la réglementation SFDR offrent un autre exemple des enjeux d’adaptation pour les acteurs de la gestion d’actifs à la complexité des textes. Outre la Commission Européenne, les Autorités Européennes de Surveillance (ESA) - qui réunissent l’Autorité bancaire européenne (ABE), l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEFM) - apportent des précisions techniques sur l’application de la réglementation SFDR. Les ESA ont ainsi publié le 12 avril un « Consultation Paper » sur la révision du niveau 2 de SFDR prévue pour 2025. Or, l’application de ce dernier, et l’adaptation des formats de reporting et notamment des documents précontractuels, ne remonte qu’à janvier dernier, ce qui demande une grande flexibilité de la part des acteurs.
Enfin, la Commission Européenne a publié récemment un question-réponse (Q&A) qui implique les acteurs financiers responsables en leur demandant d’effectuer leur propre évaluation pour chaque investissement responsable, comme de définir leurs propres seuils sur les conditions permettant de qualifier un « investissement durable ». Au niveau national, l’AMF a été plus directive en matière de méthodologie. Ses propositions ont ainsi pu apparaître contraignantes à certains, alors que ce n’est pas le cas. L’AFG (Association Française de la Gestion Financière) propose de son côté une trame un peu plus généraliste.
Un tel flou technique et juridique incite les acteurs de la gestion d’actifs à s’interroger sur la direction à prendre au plan stratégique et peut les conduire à un certain attentisme, en attendant de recevoir des directives plus claires.
La pédagogie devrait donc être le maître mot des régulateurs pour les années à venir, afin d’indiquer au mieux aux acteurs financiers ce qui est attendu d'eux et de les guider pour que ces derniers puissent répondre opérationnellement aux attentes du cadre réglementaire.