L’analyse de Laurent Chaudeurge, Responsable de l’ESG, Porte-parole de la Gestion de BDL Capital Management
Le Say on Climate est une initiative simple et pertinente. Elle propose que lors de l’assemblée générale, les actionnaires aient un vote consultatif sur la qualité de la stratégie climat de l’entreprise. Cette méthode permet non seulement de favoriser le dialogue au sein de l’entreprise mais aussi la responsabilisation collective autour du plus grand défi de notre génération : la lutte contre le réchauffement climatique.
Généralement, les idées simples et de bon sens se répandent rapidement et largement. Mais ce n’est pas le cas du Say on Climate. En 2021, 3 entreprises françaises ont soumis un vote Say on Climate à leur AG, en 2022 elles étaient 10, moins de 10% du SBF120.
Même s’il est plein de bon sens, le Say on Climate n’a pas d’existence juridique. Jusqu’à maintenant, seules les actions volontaires des entreprises ou les résolutions de certains actionnaires ont permis de mettre le Say on Climate à l’ordre du jour de quelques assemblées générales. L’absence de réglementation freine la majorité des entreprises et inquiète certains actionnaires. Leurs raisons sont légitimes.
L’interrogation la plus répandue porte sur la notion juridique de séparation des pouvoirs entre le conseil d’administration et les actionnaires. En droit français, la mise en place de la stratégie est de la responsabilité du conseil d’administration. Pour certains, les actionnaires ne sont donc pas habilités à voter sur la stratégie climat qui est une partie de la stratégie générale de l’entreprise. L’interprétation des textes est plus nuancée, notamment car le vote proposé n’est que consultatif et ne « contraint » pas le conseil d’administration dans l’élaboration de sa stratégie d’entreprise. Dans son rapport récent, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) écrit d’ailleurs que reconnaître aux actionnaires la possibilité de voter sur la stratégie climatique de la société au moyen d’un vote consultatif ne heurte aucune règle juridique.
Cependant, même si la tenue d’un vote Say on Climate est juridiquement acceptable, les entreprises comme les actionnaires s’inquiètent parfois des conséquences possibles d’un tel vote. Que se passe-t-il si le vote est défavorable ? Qu’en est-il s’il est favorable mais que la stratégie climat n’est pas assez ambitieuse ? Si l’entreprise a soumis une fois le vote à ses actionnaires, est-il attendu qu’elle le soumette désormais chaque année ? Le HCJP propose que le conseil d’administration explicite ex ante quelles seraient les actions prises dans l’hypothèse d’un vote défavorable. Il explique aussi que le fait d’avoir obtenu un vote favorable de la part des actionnaires ne modifie en rien le régime juridique de responsabilité du conseil d’administration en l’allégeant, ou des actionnaires, en le renforçant. Enfin, il indique qu’il n’est pas judicieux de fixer in abstracto une fréquence de proposition du Say on Climate. Il suggère que ce soit le conseil d’administration qui la détermine. De son côté, la Commission Climat et Finance Durable (CCFD) a elle aussi publié récemment des recommandations concrètes pour favoriser l’institutionnalisation du Say on Climate.
En parallèle, les entreprises ont fait beaucoup de progrès dans la transparence de l’information environnementale à destination des actionnaires. Pour la plupart, elles se sont aussi fixé des objectifs chiffrés de réduction des émissions de GES à horizon 2030. Elles entament la troisième étape : le déploiement de leur stratégie pour atteindre ces objectifs. Cette phase est la plus importante car elle concrétise les initiatives nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique. Elle permet à l’entreprise de réduire ses risques comme des hausses de coûts liés la réglementation du CO2, un coût du capital plus élevé ou des attaques de greenwashing par exemple. C’est donc la pérennité du modèle économique qui est en jeu.
Dans ce contexte, il est illusoire de penser que le Say on Climate est la solution ou la garantie d’une stratégie réussie. Il est un point de passage possible et peut contribuer à la responsabilisation des parties prenantes. Mais ne nous y trompons pas, qu’il soit présent ou absent des assemblées générales, le Say on Climate n’exonère pas les actionnaires de leur nouvelle obligation : savoir analyser la qualité et l’exigence de la stratégie climat des entreprises dans lesquelles ils investissent.