S’il est indéniable que la généralisation du télétravail a permis de sauver des emplois, elle a également généré de nouvelles souffrances en perturbant la « fonction contact » des personnes qui en ont été victimes.
Ce concept met en évidence cinq plans de contact responsables des interactions d’une personne avec son contexte. Quand ils fonctionnent sans entrave, l’homéostasie (l’équilibre) individu-contexte est assurée et la personne se sent à sa juste place. Selon cette théorie, nous pensons que la souffrance au travail serait le symptôme d’un dysfonctionnement d’un ou plusieurs plans de contact.
Les conditions de travail, (moyens techniques, espace de travail, horaires…) sont les éléments constituants du premier plan de contact : le plan matériel. Les relations entre collègues, les pauses à la machine à café, les repas partagés au restaurant d’entreprise … sont le deuxième plan de contact : le plan émotionnel.
Si le télétravail présente, à priori, certains avantages (il supprime la fatigue et la perte de temps liées aux transports et permet de travailler à son rythme, chez soi, avec les proches), il entraine cependant une carence de stimuli qui finit par générer des pathologies psycho-sociales. Notre pratique auprès des personnes borderline nous permet de faire l’hypothèse que la fracturation du travail collectif est responsable de l’émergence et/ou de l’aggravation de symptômes spécifique de ce trouble, qui peuvent conduire à des accès de paranoïa, des psychoses de persécution, à des tentatives de suicide.
Parmi les symptômes qui peuvent être activés par le télétravail on trouve
- La peur de l’abandon: je ne vois plus mes collègues, ils vont m’oublier…,
- La peur du jugement : on doit penser que je me la coule douce…,
- L’affaiblissement de l’image de soi: je vais perdre mes compétences, me faire licencier…,
et l’apparition de phobies sociales et de différentes formes d’addictions, qui peuvent conduire à des situations d’auto-sabotage (démission, arrêts maladie, par exemple).
En référence à l’approche systémique nous proposons donc l’hypothèse selon laquelle la souffrance AU travail d’une personne pourrait bien être la conséquence de la souffrance DU travail. En effet, quand il y a un manque de moyens matériels, financiers, ou des conditions de travail inadaptées, le travail souffre. La pénibilité de certaines tâches, un climat de travail délétère, empli de jalousies, d’ambivalences managériales, créent un contexte de travail insécurisant à l’origine des maladies professionnelles et alimentent les risques psychosociaux.
Du bore-out au burn-out
Il peut arriver que le contexte-travail réactive des blessures ou des traumatismes vécus pendant l’enfance. L’absence de directives précises, une fiche de poste incomplète, l’absence ou l’insuffisance de relations avec le management peuvent générer dans l’esprit du collaborateur un sentiment de désintérêt, d’inutilité qui conduit à un désinvestissement professionnel, au « bore-out », qui est une forme grave de la démotivation.
De même, confrontées à un encadrement qui ne reconnait pas la valeur du travail des collaborateurs, certaines personnes développent une perte de confiance en elles, perdent tout esprit d’initiative et deviennent des exécutants timorés, démotivés.
Nous avons constaté que les 11 schémas de Jeffrey Young initialement utilisés en psychothérapie pour comprendre le processus d’installation des comportements dysfonctionnels des personnes hypersensibles peuvent s’avérer très efficaces pour repérer les origines traumatiques d’un contexte-travail. En voici quelques-uns directement liés au contexte de travail :
- La carence affective = manque de reconnaissance, taches et missions mal définies. Ce schéma apparaît lorsque la hiérarchie est coupée du terrain.
- L’abandon = absence de soutien de la part de la hiérarchie. Ce schéma est fortement activé dans les situations de plans sociaux ou de réorganisation d’un service
- Méfiance et abus = harcèlement, transgression du règlement par la hiérarchie. Cela caractérise les entreprises coutumières des heures supplémentaires.
- Isolement social = placardisation, exclusion d’un collègue ou manque de cohésion au sein de l’équipe.
Ce ne sont là que quelques exemples. Certains schémas décrivent plus particulièrement des comportements dysfonctionnels d’un encadrement autocratique et narcissique tels que les exigences élevées, le sentiment de toute puissance, la punition, par exemple. D’autres caractérisent des collaborateurs potentiellement corvéables comme le schéma d’abnégation, le manque d’autonomie, l’hypervigilance.
N’attendez pas qu’il soit trop tard
En renforçant la souffrance existentielle de certaines personnes déjà fragiles, la souffrance au travail peut être le déclencheur de pathologies qu’il faut traiter dès qu’elles sont détectées. Avant de penser consulter votre médecin pour lui demander de vous prescrire des anxiolytiques ou des antidépresseurs ou un somnifère, il faudrait avoir le bon réflexe de consulter un psychothérapeute qui pourra repérer l’origine de votre mal-être et vous proposera alors des solutions adaptées.