Charge mentale du dirigeant : Les chefs d’entreprise sont confrontés à une multiplication et une accentuation des défis à relever avec, en conséquence, une charge mentale de plus en plus lourde à assumer. Pour tenir et projeter leur entreprise à moyen terme, ils n’ont pas d’autre option que d’accepter de lâcher du lest et, pour se faire, d’ajuster leur organisation opérationnelle et de s’appuyer sur des partenaires.
Le point de vue de Sébastien Cochard, operating partner chez I&S Adviser
De par la nature de leur métier, les dirigeants de start-up, PME et ETI sont toujours fortement exposés au risque d’épuisement professionnel. L’enchaînement des crises au cours des 3 dernières années, les modifications des conditions économiques avec l’inflation et les pénuries, et la persistance des incertitudes et des menaces, créent de surcroît une situation anxiogène particulièrement propice à l’effondrement moral et physique des dirigeants.
Plusieurs prises de parole récentes attestent d’une préoccupation montante sur le sujet. En octobre 2022, la CAPEB du Rhône (confédération de l’artisanat des entreprises du bâtiment) lançait une alerte sur la santé mentale des chefs d’entreprise de la filière face au défi d’honorer les devis signés. Même préoccupation dans les start-up du web : en juin 2022, une des conférences du Web2Day était consacrée au sujet avec des témoignages de startuppers comme Alexandre Dana (LiveMentor), Nicolas Bergerault (L’Atelier des chefs) ou encore Alice Vivian (Momoj).
Et parmi les chiffres qui circulent : 2/3 des chefs d’entreprise sont stressés, plus de 40% sont angoissés, et 1 sur 2 souffrent de troubles du sommeil. Et surtout, 1 à 2 chefs d’entreprise se suicident chaque jour (selon l’observatoire de la santé des dirigeants).
Sur le terrain, on observe que les dirigeants les plus exposés à ce type de risque sont en priorité ceux qui délèguent peu et continuent de vouloir tout gérer eux-mêmes, en essayant d’être partout et d’avoir des solutions à tous les problèmes. A cela s’ajoute pour certains la pression de la famille, explicite ou implicite, l’entreprise étant souvent intrinsèquement liée au patrimoine familial.
Anticiper en agissant sur la structuration opérationnelle de son entreprise
Si tout chef d’entreprise est prêt à endosser les conséquences liées à sa prise de risque et à sa fonction, il doit prévoir une organisation en conséquence qui, sans lui ôter la décision finale, lui permet de ne plus devoir tout assumer seul. Structurer opérationnellement l’entreprise est aussi fondamental pour qu’elle ne chute pas si son dirigeant a un pépin de santé ou craque psychologiquement face à une pression devenue insoutenable par une seule personne.
Plusieurs moyens. Le premier est d’accepter de déléguer en s’appuyant sur des collaborateurs de confiance et/ou des pairs. On ne peut pas envisager de développer sa société si on n’accepte pas de déléguer. Déléguer permet de lever la tête du guidon, d’avoir du temps pour réfléchir à l’avenir. Quand une entreprise grandit, il n’est ni possible, ni recommandé que le fondateur continue à gérer l’intégralité des dossiers comme il le faisait au temps où son entreprise était en démarrage ou plus petite.
L’une des façons de le faire est de mettre en place un comité de direction. Pour réaliser sa mission qui est de développer les activités de l’entreprise, il réunit des personnes qui vont prendre ensemble des décisions structurantes et piloter l’exécution du plan stratégique. Selon le secteur d’activité, il réunit des directeurs métier (finance, RH, marketing, communication …) et/ou opérationnels (innovation, production, logistique, service client…). Il s’agit du premier étage de la fusée du « management system », sa mise en place ayant à la fois un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’organisation et un impact positif rapide sur la gestion de l’entreprise, la détection d’opportunités et le suivi des actions.
Ensuite, le dirigeant doit rester focus sur ses objectifs et son plan de développement afin de faire les arbitrages qui s'imposent au moment qui s’impose. C’est sans aucun doute le processus le plus difficile à respecter pour le dirigeant. Mais il est de loin de loin le plus important. Sans focus sur les objectifs du plan de développement, c’est la stagnation, voire les difficultés qui s'invitent. Pour le dirigeant, c’est le risque d’être à nouveau happé par le quotidien et les difficultés opérationnelles multiples liées au non-respect de la stratégie et du plan, à l’absence de focus, et de délégation des responsabilités.
Anticiper en se donnant la capacité d’écouter les signaux faibles
Second point : le dirigeant doit accepter d’écouter les signaux faibles. Dès lors qu’un événement qui, en temps normal, lui serait apparu anodin et gérable crée chez lui un sentiment de panique et semble insurmontable, aussi mineur soit-il, il doit réagir.
Comment ?
- Première piste : en aménageant son emploi du temps pour avoir des temps de respiration et de prise de recul face aux problèmes – peu importe l’objet de ces soupapes (sport, culture, méditation, retraite spirituelle, voyage...).
- Deuxième piste : en étant attentif à sa santé et en réfléchissant à une assurance qui prendra le relais financier en cas de soucis de santé physique ou psychologique pour que l’absence n’ait pas d’incidence sur les charges dues (ex. indemnités journalières, assurance type « homme-clé »).
- Troisième piste : en s’appuyant sur des partenaires qui vont l’aider concrètement, certains sur les aspects personnels (coachs, mentors, médecins...), et d’autres sur les aspects business (operating partners). Par exemple, un operating partner va travailler avec le dirigeant et copiloter l’entreprise en s’appuyant sur sa propre expérience de chef d’entreprise et en s’engageant sur des résultats. Sans le déposséder de son rôle à la tête de sa société, il va l’aider dans ses prises de décision, la structuration et la conduite opérationnelle des opérations prévues dans le plan stratégique, la définition et l’ajustement des indicateurs de performance, le management et la mobilisation des équipes, en tenant compte de son état de santé et en relativisant ce qui doit et peut l’être.
Les défis des entreprises et entrepreneurs français pour 2023 sont gigantesques dans un environnement business où la visibilité reste toujours aussi faible. Pour tenir, assurer la pérennité de leurs entreprises et se projeter dans l’avenir, les dirigeants n’auront d’autre option que d’accepter de lâcher du lest et, pour se faire, d’ajuster leur organisation opérationnelle et de s’appuyer sur des partenaires. La corde est déjà très tendue, il suffirait de très peu pour qu’un surplus de charge mentale la fasse céder. Il est donc urgent de faire de la santé mentale des dirigeants des PME une priorité. Leur charge est parfois bien lourde à porter, et leur résilience conditionne la pérennité de 146 000 PME françaises et l’emploi des 4 millions de salariés qui les composent.