3 questions à Michel Raud, Directeur Général Délégué, Directeur de la Gestion chez Fourpoints IM.
Une étude récente du bureau de recherche GaveKal s’intéresse à un phénomène que l’on observe aux Etats-Unis et dans les pays développés : la dominance grandissante des grandes entreprises aux dépens des petites. Confirmez-vous cette tendance ?
Les sociétés de grande taille ont des avantages spécifiques dans un monde globalisé. Elles sont en mesure d’optimiser leur base de coûts en s’implantant dans les pays qui disposent d’avantages comparatifs en termes d’accès aux ressources, que ce soit au niveau du travail, des matières premières ou des capitaux. Elles bénéficient d’une chaîne d’approvisionnement globale et ainsi achètent les produits les mieux adaptés au meilleur prix. Elles optimisent leur fiscalité dans des juridictions plus accueillantes et libèrent ainsi des moyens financiers supplémentaires. Elles sont capables de supporter les coûts d’implantation dans les pays émergents et de mettre en place forces de vente et réseaux de distribution locaux afin de tirer parti du potentiel de croissance supérieur de ces marchés.
Les plus petites entreprises ont en revanche tendance à se concentrer sur leur marché national, ce qui constitue un problème dans un environnement où la croissance économique des pays développés est durablement atone.
La dynamique actuelle est ainsi favorable aux grandes entreprises, comme en témoigne l’évolution de l’emploi aux Etats-Unis depuis 30 ans : le pourcentage de personnes employées dans des entreprises de plus de 500 salariés est passé de 46% du total en 1988 à 51% en 2010. Le nombre de sociétés de moins de 5 ans a également baissé de 47% du total en 1983 à 36% en 2010, tandis que la part de ces sociétés dans l’emploi total a diminué de 19% à 11% sur la même période.
Donc seules les entreprises aux capitalisations boursières ou aux chiffres d’affaires élevés profitent de la mondialisation afin d’accroître leur leadership ?
Le vrai critère n’est pas la taille absolue, mais plutôt la part de marché et la capacité d’une société à la conserver, voire à l’accroître. Il existe dans le monde des petites sociétés positionnées comme leader mondial sur des marchés de niche, souvent oligopolistiques car disposant de fortes barrières à l’entrée, qui, à l’instar des grandes multinationales évoquées plus haut, vont pouvoir capitaliser sur leurs avantages compétitifs afin d’accélérer leur développement et conquérir de nouveaux marchés aux dépens d’acteurs n’ayant pas la taille critique. Arguer d’une prime à la taille, de multiples de valorisation mécaniquement plus élevés pour les grandes capitalisations, ne semble dès lors pas justifié.
Dans la santé, des sociétés européennes ont su tirer profit des défis de la mondialisation, comme Stratec et de Tecan, qui développent des instruments pour le compte des grandes sociétés de diagnostic médical. L’Allemand et le Suisse génèrent un chiffre d’affaires inférieur à 500 M€, mais sont devenus des acteurs incontournables sur le marché du assure une bonne visibilité à moyen terme. Ces contrats exclusifs portent sur toute la durée de vie du produit, généralement 10/15 ans, et couvrent à la fois les instruments et la fourniture de services/pièces détachées, activité récurrente et très rentable.
A contrario, de nombreuses multinationales positionnées sur des marchés concurrentiels, où les barrières à l’entrée sont trop faibles pour écarter l’émergence de nouveaux acteurs, notamment asiatiques, souffrent depuis plusieurs années d’une remise en cause de leurs positions dominantes. Les équipementiers Télécoms comme Ericsson et Alcatel-Lucent ont perdu des parts de marché face à une concurrence chinoise très agressive. Le géant de l’électronique Philips s’est résolu à céder à perte son activité TV à l’un de ses concurrents taïwanais, après des années où sa part de marché a fondu et les prix de ses téléviseurs ont baissé de 15% par an.
Quelles leçons en tirer pour la gestion de nos portefeuilles ?
Dans tous les secteurs, on trouve aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis des multinationales qui ont su tirer parti des avantages que leur procurent leur taille et leur solidité financière afin d’accroître leur compétitivité et leur domination à l’échelle mondiale.
Pour autant, la prime de valorisation doit aller au leader incontestable sur son marché, peu importe sa taille. Elle doit aller à la société qui domine de manière durable son marché et qui est capable d’accroître son leadership à l’heure de la mondialisation. C’est ce type de sociétés que nous recherchons et dans lesquelles nous investissons, indépendamment de leur taille, dans la mesure où les marchés ont généralement tendance à sous-estimer leur capacité bénéficiaire et leurs perspectives de croissance à long terme.