L’analyse d’Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine, spécialiste du Digital et de l’IT.
Les jeunes talents ne se laissent plus prendre par les avantages secondaires que les managers ont longtemps mis en avant en pensant les séduire. Le « bien-être » et le « cool » au travail n'attirent plus les meilleurs ; il est temps de cerner pourquoi ces arguments ne suffisent plus à convaincre et en quoi la demande a changé.
Le malentendu du « bien-être » en entreprise
En pleine guerre des talents, on présente encore aujourd'hui comme des avantages des choses qui, dans l'entreprise, devraient aller de soi. Ainsi de la « bonne ambiance » ou des « bureaux confortables » – comme s'il pouvait y avoir des candidats convaincus qu'il est normal de venir travailler dans une mauvaise ambiance et sans chauffage... Il en va de même du fameux « bien-être » en entreprise, souvent envisagé de façon opportuniste plutôt que pensé sérieusement. Mais avant tout, qu'est-ce que ce « bien-être » au travail ? Si l'on en prend la définition de base, qui est large, il s'agit de fournir un environnement de travail propre à garantir l'absence de souffrance mentale et physique des collaborateurs - simple en apparence mais complexe à mettre en œuvre tant la mesure de la souffrance au travail est individuelle et soumise à des facteurs extérieurs à ce dernier. Il est en tout cas manifeste que le bien-être au bureau ne saurait être assimilé à une vague injonction à un confort adolescent « j'ai le droit de venir en jogging et de marcher en chaussettes sur un tapis à poils longs ». Malheureusement, esprit start-up aidant, cette dimension caricaturale a pris un peu trop de place dans l'imaginaire du management de la tech et de l'IT.
La flexibilité comme condition du « bien-être »
Le bien être en entreprise pour les jeunes talents n'est pas un babyfoot ou une corbeille de fruits sous les fleurs, ce n'est pas une déco hype ou un workshop massage mais, plus simplement, la possibilité de pouvoir « bien » travailler - c'est-à-dire : d'utiliser au mieux leurs compétences et de les sentir valorisées par l'environnement managérial. Au-delà de l'absence de souffrance mentale et physique au travail, il est donc aussi question de l'absence de ces petites mesures vexatoires qui cassent la motivation des jeunes recrues et amoindrissent le sens de leur action - telles ces promesses d'autonomie non tenues, ces exigences de présence continue (même si non nécessaire) et/ou l'ignorance des besoins spécifiques à une fonction (calme pour rédiger ou au contraire, émulation pour trouver des solutions). Le premier bien-être c’est donc les conditions individuelles du travail et le respect des compétences, forces et faiblesses de chacun. Aujourd'hui, ce que les jeunes candidats réclament en priorité, c'est une flexibilité nouvelle dans leur activité, propre à assurer leur bien-être en général et pas seulement pendant les heures de bureau.
Télétravail et flexibilité ne sont pas synonymes
On le comprendra, cette flexibilité, ce n'est pas seulement un jour ou deux de télétravail. Tout d'abord parce que ce ne sont pas tous les jeunes talents qui souhaitent télétravailler et qu'il doit s'agir d'un choix. La flexibilité, dans le contexte actuel, s'apparente à un mode de fonctionnement qui se négocie individuellement. Cela doit être mieux compris par les entreprises, mais aussi par les talents qui parfois ne saisissent pas bien eux-mêmes les enjeux de cette nouvelle flexibilité. On peut demander de la souplesse présentielle (ne pas avoir à revenir au bureau après un rendez-vous mais rentrer travailler chez soi pour être à son cours d'escrime à l'heure ou bien passer chez le dentiste) ; mais il faudra en contrepartie accepter ce coup de fil qui dérange pendant les vacances, ce mail reçu à 21h, ou cette demande de bouclage d'un dossier le vendredi soir. Le bien-être dans l'activité doit être... pour tout le monde, manager inclus. Lui aussi peut avoir besoin de la certitude rassurante que ses équipes lui débloqueront en cinq minutes un dossier qui, sans cela, lui ferait perdre un temps précieux. C'est pourquoi on ne doit pas hésiter à parler franchement aux candidats, car entre la baisse des levées de fonds et les coûts qui explosent, les marges de négociations salariales sont réduites. Dire « vous serez payés 7% de moins, mais avec une différence énorme en termes de bien-être : un babyfoot et un atelier yoga mensuel ! » n'est pas concevable.
En revanche, pouvoir proposer : « ici, vous vous organiserez comme vous l'entendez si vous posez clairement les choses dès le départ » fera vraiment la différence.
Certaines normes du travail salarié doivent évoluer
Ce qui importe avant tout aux jeunes talents, c'est qu'on leur permette d'accorder au mieux leurs besoins individuels aux exigences d'un travail en commun. Certains ont besoin d'être soutenus dans leur action, d'autres réclament une autonomie totale pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Les lignes sont en train de bouger car les jeunes générations ont conscience de ce que le « bien-être » est multifactoriel, et qu'au travail, il relève surtout de la confiance accordée. S'il est vrai qu'il y a eu un temps où les jeunes talents de la Tech étaient en demande de prise en charge - qu'ils aimaient « vivre » au bureau, y disposer d'une salle de sport, d'un coiffeur et autres menus services - ce n'est plus le cas. Ce qui leur importe désormais c'est de minimiser les effets improductifs de certaines normes (obsolètes) du travail salarié. Nous sommes dans une période de réévaluation des bases du contrat passé entre l'entreprise et ses collaborateurs - à ce titre, le management est en première ligne pour faire entendre que tout est possible... dans un esprit de réciprocité et non de rapports de force déséquilibrés d'un côté ou bien de l'autre.