Le point de vue de Sébastien Cochard, operating partner chez I&S Adviser
Alors que les années 2000 ont été marquées par un krach boursier souvent qualifié de “rampant”, le risque de la période actuelle se concentre sur le non coté. Les investisseurs attendent de leurs participations qu’elles déroulent leur business plan et atteignent l’équilibre financier. Seules les start-up qui sauront s'entourer survivront, les autres disparaîtront ou seront, pour celles encore viables, rachetées.
Si le Nasdaq a perdu près de 30% depuis le début de l'année 2022, la valorisation des sociétés détenues par des fonds de capital-investissement a, elle, augmenté de plus de 3% au cours des 12 derniers mois. Le capital-investissement a même battu son propre record en 2021, dépassant la barre des 1 100 milliards investis. Record qui s’explique notamment par l’augmentation historique du volume de capitaux disponibles (source Bain).
Conséquence : un énorme fossé, en valeur et en volume, s’est creusé entre les sociétés technologiques cotées en bourse et leurs homologues non cotées. Ce qui laisse les capitaux-risqueurs résolument optimistes en dépit du contexte...
Vers un renversement de tendance
Toutefois, la tendance pourrait s’inverser en 2023, notamment du fait de l’augmentation des taux. La possibilité d’une explosion de la bulle du non coté est réelle car tous les ingrédients sont en train d’être réunis. Outre la hausse des taux déjà évoquée, on observe une survalorisation des entreprises, une croissance déconnectée du business plan, un début de restriction des liquidités, la montée d’une certaine frilosité chez les investisseurs sur fond de contexte économique inédit patiné d’inflation et de crise énergétique.
La tendance est de plus en plus perceptible. Le temps des beaux discours est en train de s’achever… Depuis le printemps 2022, les médias relaient les interrogations sur un nouvel éclatement de la bulle technologique qui ont été relancées cet automne par les annonces de résultats en baisse par plusieurs champions de la tech, dont Amazon, Meta et Snap, ou encore le moindre nombre de nouvelles licornes. On a notamment lire dans une dépêche AFP que pour Patricia Braun, la présidente d'In Extenso Innovation, « le pic de la bulle a été atteint au premier trimestre de 2022 et (que) la tendance s'oriente globalement vers un atterrissage, avec des prévisions de temps difficiles ».
Les leçons de la bulle des années 2000
La situation est néanmoins différente de celle observée en 2000-2002. La fin des années 1990 avait été marquée par une tendance spéculative nourrie par la fascination pour la “nouvelle économie” chez tous les investisseurs de la planète. L’avènement d’Internet avec les premiers navigateurs web et moteurs de recherche a donné naissance à des start-up technologiques, majoritairement issues de la Silicon Valley. On parlait de 4e révolution industrielle. Tout le monde s’y est engouffré. L’argent coulait à flot, dopé par un excédent d'épargne financière et des taux bas ; quant aux investisseurs, ils ont un peu perdu le Nord de peur de manquer une opportunité, et ils ont mis de côté l’analyse des fondamentaux lors des phases préliminaires aux levées. Les valorisations se sont alors envolées et l’indice Nasdaq a culminé à plus de 5000 points (soit une multiplication par 5 de 1995 à 2000).
Le revirement est survenu quand la Fed a remonté subitement ses taux d'intérêts à long terme, et que les marchés ont pris conscience des dérives en termes de valorisation de ces start-up cotées. Le 10 mars 2000, le Nasdaq avait atteint son plus haut à 5 048 points. 16 mois plus tard, en juillet 2002, l'indice était redescendu à 1 328, soit une chute vertigineuse de 74%. L’éclatement de la bulle en mars 2000 et le krach du Nasdaq s'était étendu à l'ensemble des bourses et a provoqué une récession économique généralisée.
Un changement d’échelle
Ce qui s’est passé au début des années 2000 est une goutte d’eau par rapport à la situation de 2023. L'ensemble des profits réalisés entre 1995 et 2000 par les quelques 4 000 sociétés du NASDAQ a été littéralement effacé par le krach boursier, soit environ 150 Mrds$. En 2021, les fonds ont investi 284 Mrds€ dans des sociétés technologiques (dont 90% concernaient des logiciels), soit presque deux fois plus d’argent investi en un an que de profits boursiers réalisés en cumulé en 5 ans, sur le Nasdaq, pendant sa période la plus euphorique des années 2000… Un véritable changement d’échelle.
Le retour aux fondamentaux
Une prudence relative s’installe du côté des fonds depuis début 2022 : ils regardent de plus près les fondamentaux des start-up candidates à la levée de fonds (adéquation produit marché, seuil de rentabilité, évolution du CA, cash burn, expériences des fondateurs et des équipes dans le secteur …).
La barre est donc désormais haute pour les sociétés qui veulent lever des fonds en série A. Celles qui n’ont pas encore trouvé leur marché et atteint l’équilibre financier, risquent d’avoir toutes les peines du monde à se financer. Les start-up vont devoir afficher des résultats tangibles et apporter des garanties aux fonds sur l’atteinte des niveaux de rentabilité qu’ils attendent de leurs investissements. Faute de quoi, elles ne trouveront plus les financements indispensables à leurs prochaines phases de croissance.
Autre point sensible : le manque d'expérience des dirigeants de start-up créées dans les années 2020. C’est bien souvent leur première création d’entreprise, et, ce qui est nouveau en comparaison des entreprises technologiques nées fin 1990 - début 2000, ils n’ont pas non plus l'expérience du secteur d’activité.
La botte secrète de ceux qui réussissent
De ce fait, la clé pour ces entreprises est d’avoir les moyens d’anticiper. Il appartient notamment aux fonds d’investissements et aux dirigeants des entreprises, de mesurer l’étendue de ce qui arrive et de l’anticiper très sérieusement, en travaillant sur des plans de restructuration et de retournement pragmatiques. L’aide d’entrepreneurs expérimentés et aguerris pourrait s'avérer utile dans cette étape cruciale.
Il est donc urgent d’agir et de regarder l’avenir avec lucidité, afin de mettre en place les plans qui pourront permettre de sauver une partie substantielle de nos startups. Comme pour l’éclatement de la bulle en 2000, l’inaction à court terme des dirigeants et de leurs partenaires financiers entraînera immanquablement des faillites en cascade, des destructions d’emplois et des pertes abyssales pour de nombreux investisseurs, mais à une tout autre échelle qu’en 2001 …