Professionnaliser la gestion des compétences revient à organiser, in fine, la transmission des savoirs. C’est un indéniable facteur de résistance aux chocs économiques et un levier de satisfaction collective.
L’analyse de Baptiste Gendron, Directeur et co-fondateur de Yelhow
Réapprendre à industrialiser
La gestion des compétences est l’ensemble des actions prises visant à faire correspondre les compétences disponibles avec les besoins de l’organisation. Une définition factuelle qui ne dit cependant rien des enjeux auxquels elle se rapporte : humains, économiques, organisationnels.
La désindustrialisation de la France a pesé lourd sur le niveau de qualification scientifique et technique des entreprises et de leurs collaborateurs, dont le savoir-faire menace de se perdre dans les grandes largeurs.
Alors que l’État cherche à revigorer son industrie française, les freins sont nombreux. Au-delà des problématiques foncières et du poids de l’impôt, la qualification demeure un point d’achoppement qu’on peine encore à dépasser. Investir dans la recherche et les laboratoires est une chose. Préserver le capital de connaissances en est une autre, qui incombe, quoi qu’on en dise, à l’entreprise.
Or cette notion de compétence englobe les certifications et les qualifications certes, mais également le savoir-faire issu de l’expérience, lequel se prête difficilement à la catégorisation et échappe au suivi et à la capitalisation. Il est pourtant la pierre angulaire du processus de transmission, ce phénomène indubitablement vital à l’entreprise.
Les peines d’un processus
La mainmise des pays étrangers sur l’effort industriel n’est pas la seule raison d’une gestion des compétences imparfaite.
Souvent laissée de côté au profit des urgences quotidiennes (supply chain interrompue, panne d’une chaîne de fabrication, contraintes externes, etc.), la gestion des compétences n’échappe pas non plus à une certaine standardisation des méthodes. Mission certes régalienne des ressources humaines, le domaine reste principalement cantonné à un ensemble d’items génériques (formation initiale, permis, visite médicale), par trop décorrélé des spécificités d’un poste donné.
Et ce, quand encore, l’industrie parvient à suivre le rythme imposé de la réglementation. Pour certains secteurs spécifiques, comme le pharmaceutique, l’agroalimentaire ou encore l’aéronautique, un agent peut posséder jusqu’à 300 ou 400 compétences clés, dont il faut assurer le renouvellement et en apporter la preuve. La correction des écarts que les audits relèvent est à elle seule un sacerdoce. Pour autant, le succès de l’industrie française repose moins sur l’aptitude à fournir les preuves de formations en temps et en heure lors des audits de certification (que l’on retrouve généralement après beaucoup de temps perdu) que sur la capacité d’une organisation à déterminer si elle possède ou non et en suffisance les compétences dont elle aura besoin demain.
La transmission, un talent industriel
- Gère-t-on si bien le départ à la retraite d’un chef d’atelier ?
- Une absence prolongée d’un opérateur clé ?
- Que sait-on réellement de l’étendue de leurs connaissances et comment s’assurer que leur savoir-faire, longuement et patiemment construit au fil des ans, bénéficiera à d’autres ?
Deux ans, c’est le temps minimum nécessaire pour reconstruire le savoir-faire perdu d’un expert qui quitte l’entreprise, quelle que soit sa taille. Entre-temps, il faut à nouveau trouver des solutions à des problèmes qui ne se posaient plus. Chaque départ est une perte de savoirs sèche, qu’il faut ajouter aux effets de la délocalisation.
Correctement conduite selon une matrice objective de polyvalence, l’évaluation des compétences et de la maturité acquise sur le terrain permet de réduire drastiquement les délais d’adaptation à un nouveau poste. Ces notions renvoient à la cartographie des savoir-faire, qui a pour but de reconnaître, saisir, capitaliser et protéger ces inestimables ressources. Et si les grands groupes dédient des task forces à ce sujet, preuve, s’il en faut, que la problématique est identifiée et prise au sérieux, il n’en demeure pas moins que sa mise en œuvre opérationnelle est complexe.
Un levier de fidélisation et d’attractivité
Pour intégrer pleinement à la gestion des compétences la capitalisation des savoir-faire et leur processus de transmission, autant en considérer les impacts sur les personnels et les équipes directement.
Rappelons, car l’on peut avoir tendance à l’oublier, que les entreprises ne sont pas les seules à manquer d’une vision globale et à jour du degré de maîtrise de leurs équipes. Les salariés également sont assez hésitants quant à l’étendue de leurs compétences. La formalisation de leur progression et de leurs nouvelles acquisitions leur permet à la fois de se positionner et d’en faire valoir les bénéfices. Qu’y a-t-il en effet de plus objectif qu’une rémunération calculée sur une expertise rigoureusement reconnue ?
Au-delà d’une certaine paix sociale, la mesure du progrès devient source de réengagement à travers une demande soutenue de formation. Elle représente aussi la valorisation en interne d’une expertise connue de tous. Le passage au statut de formateur en est enfin facilité, promesse du maintien dans l’entreprise de la conservation du savoir et certainement, de sa bonification.
On y verra également un outil d’autogestion des équipes, capables alors de repérer tant les manques que la polyvalence.
Puisqu’il est admis que nous évoluons dans une économie maintenant volatile, incertaine, complexe et ambiguë, toute mesure susceptible d’amortir ses chocs est la bienvenue. Une gestion des compétences complète et mature en est une particulièrement efficace.